La rédaction d’une lettre de licenciement en cas d’incrimination pénale d’un salarié, devra mentionner les faits reprochés en référence au règlement intérieur.
Lorsque des faits reprochés à un salarié sont sujets à une qualification pénale, la précipitation pousse parfois les détenteurs du pouvoir disciplinaire à prendre des dispositions radicales, jusqu’au licenciement pour faute grave. Pourtant, si la décision du juge pénal intervient en parallèle d’un contentieux prud’homal, elle influencera le bien-fondé du licenciement. Que faire ?
Des risques associés
Les procédures disciplinaire et pénale sont indépendantes. L’exercice du pouvoir disciplinaire ne méconnaît donc pas la présomption d’innocence, quand bien même il prononcerait une sanction, pour des faits identiques [1]. Si l’employeur n’est pas tenu d’attendre l’issue de la procédure pénale en cours pour notifier un licenciement [2], il n’en demeure pas moins que les prud’hommes, saisis aux fins d’apprécier le caractère réel et sérieux d’un licenciement conduit pour faits susceptibles de revêtir une qualification pénale, ne pourront pas ignorer le jugement. Aussi, en cas de relaxe, il sera en principe interdit au juge prud’homal de rechercher si les faits en cause sont susceptibles de justifier un motif réel et sérieux de licenciement [3]. La conséquence simple mais sévère ? Le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse.
Pour que la décision pénale ait autorité de chose jugée, elle doit ne plus être susceptible de recours. Aussi, si le jugement pénal ne réside que dans un rappel à la loi [4], un classement sans suite [5] ou une ordonnance de non-lieu [6], le juge prud’homal sera obligé de rechercher si les faits reprochés constituent un motif réel et sérieux de licenciement [7], sans être tenu par le sens de la décision.
D’ailleurs, le respect de l’autorité de la chose jugée n’interdira pas au juge prud’homal d’apprécier la gravité de la faute au regard de l’exécution du contrat de travail : la reconnaissance définitive de culpabilité intervenue devant les juridictions répressives n’exclura pas que les prud’hommes requalifient en licenciement pour cause réelle et sérieuse au regard de l’ancienneté du salarié, l’absence de passé disciplinaire ou la qualité de ses états de service [8]. Ainsi, la plus grande attention est requise dans la rédaction de la lettre de licenciement.
Quelles solutions pour l’employeur ?
Pour se prémunir de toute requalification, et si l’employeur entend se prévaloir de faits susceptibles de revêtir une qualification pénale au soutien du licenciement, il peut surseoir à sanctionner dans l’attente de l’issue de la procédure pénale [9]. Ce, en prévoyant le cas échéant, une mise à pied conservatoire.
Se constituer partie civile permettra d’offrir un droit d’accès privilégié au dossier pénal et, le cas échéant, aux éléments de preuve.Reste que si cela aura le mérite de garantir les intérêts en présence, cela répondra peu efficacement à l’urgence à réagir et pourra s’avérer coûteux en cas d’annulation de la mise à pied.
Toute l’attention de l’employeur doit donc se porter sur la rédaction de la lettre de licenciement. Mieux vaut ne pas mentionner les faits reprochés sous leur seule qualification pénale, en y préférant les références aux dispositions violées du règlement intérieur [10]. Il sera utilement stipulé des faits distincts de ceux ayant donné lieu aux poursuites qui permettront, le cas échéant, de justifier la mesure de licenciement en dépit d’une relaxe [11]. Une enquête interne, parallèle de l’éventuelle investigation pénale, est conseillée pour recueillir les éléments à même de justifier de la proportionnalité de la mesure et réaffirmer l’indépendance de la procédure disciplinaire.
S’agissant de sanctionner des faits commis en dehors du cadre professionnel, l’employeur sera invité à la plus grande prudence. En effet, tout licenciement prononcé en méconnaissance du droit à la vie privée encourt la requalification [12]. Pour échapper à une condamnation, les faits susceptibles d’une qualification pénale devront nécessairement traduire un manquement à une obligation contractuelle justifiant un licenciement disciplinaire [13], comme l’obligation de loyauté. À défaut, la jurisprudence réserve une autre voie : l’existence d’un trouble objectif au fonctionnement de la structure [14]. Ce que l’employeur devra bien sûr démontrer.
[1]
Cass. soc. 13 décembre 2017, n° 16-17.193
[2]
Cass. soc. 26 janvier 2012, n° 11-10.479
[3]
Cass. soc. 9 novembre 2022, n° 21-17.563
[4]
Cass. soc. 20 mai 2015, n° 14-11.603
[5]
Cass. soc. 19 février 2014, n° 13-14.247
[6]
Cass. soc. 1er février 2011, n° 09-41.468
[7]
Cass. soc. 21 mars 2006, n° 04-46.163
[8]
Cass. soc. 3 mars 2004, n° 02-41.583
[9]
Cass. soc. 15 juin 2010, n° 08-45.243
[10]
Cass. soc. 31 mai 2006, n° 03-48.224 ; Cass. soc. 9 avril 2008, n° 07-40.880
[11]
Cass. soc. 26 novembre 2003, n° 01-42.085
[12]
Cass. soc. 29 septembre 2014, n° 13-18.344
[13]
Cass. soc. 5 février 2014, n° 12-28.255 ; Cass. soc. 8 novembre 2011, n° 10-23.593
[14]
Cass. soc. 26 septembre 2012, n° 11-11.247 ; Cass. soc. 13 avril 2023, n° 22-10.476
Hugo Steverlynck, avocat au barreau de Paris, Picard avocats
Publié dans le magazine Direction[s] N° 222 - septembre 2023