Vecteur d’attractivité et de responsabilité sociétale des entreprises, la semaine de quatre jours se fraye un chemin au sein du secteur social et médico-social à but non lucratif. Sa mise en œuvre n’est toutefois pas sans soulever de problématiques juridiques et pratiques.
1) Par où commencer ?
Comme tout projet impactant le collectif de salariés et plus généralement le fonctionnement de la structure, instaurer la semaine de quatre jours implique plusieurs réflexions préalables pour fixer un cap.
- Peut-elle s’appliquer au sein de l’ensemble de l’organisation ou seulement à certains établissements et services ? Quelles sont les catégories de personnel susceptibles d’en bénéficier ?
- S’imposerait-elle à tous ou serait-elle soumise au volontariat ?
- La durée hebdomadaire de travail demeurerait-elle identique ou serait-elle réduite ?
- Qui déterminerait le jour supplémentaire de repos ? Serait-il collectif ou individuel, fixe, variable ou par roulement ? Quelles dérogations ?
- Quels sont les effets positifs attendus mais également les risques identifiés ?
- Faut-il débuter par une période expérimentale, et le cas échéant pour quelle durée ?
Une fois ces réflexions menées, il est recommandé d’engager une étude auprès des salariés et de leurs représentants afin de mesurer leur engouement mais également recueillir les éventuelles inquiétudes.
2) Quels salariés éligibles ?
Si la semaine de quatre jours raisonne plus spontanément pour les salariés occupant des fonctions support, le personnel d’intervention (médical, paramédical, éducatif et social…) n’en est pas exclu par principe. L’impérative continuité de la prise en charge impliquera un système de roulement pour l’octroi du jour de repos supplémentaire. Les salariés en contrat de travail à durée déterminée ou les intérimaires ont également vocation à en bénéficier dès lors qu’ils sont présents au moins une semaine continue.
En revanche, cela apparaît difficilement adaptable pour les salariés en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, l’employeur n’ayant aucune marge de manœuvre sur l’organisation des périodes de formation. En pratique, la semaine « compressée » peut être envisagée pour les semaines complètes de présence.
3) Qu’en est-il des salariés en forfait-jours ?
La mise en place de la semaine de quatre jours n’apparaît pas incompatible avec la situation des salariés sous convention de forfait annuel en jours mais elle nécessite des adaptations.
En pratique, deux options :
- la plus fastidieuse implique de conclure un avenant à chaque convention individuelle afin de réduire le nombre de jours travaillés dans l’année ;
- la plus simple consiste à conserver le nombre de jours inclus dans le forfait, tout en allouant au salarié des jours de repos spécifiques, dans un cadre hebdomadaire, assimilés à une journée de travail pour les droits liés à la rémunération et aux congés payés.
À noter. Pour permettre aux salariés bénéficiant d’un forfait-jours dit réduit, de bénéficier de la semaine compressée sans inégalité de traitement, la conclusion d’un avenant formalisant le passage à un forfait intégral avec augmentation à due proportion de leur rémunération devrait leur être proposée.
4) Quel vecteur de mise en place ?
Si d’anciens décrets ont pu fixer des règles de répartition du temps de travail par secteur d'activité, exigeant pour y déroger de passer par la voie d’un accord collectif, le secteur n’est pas visé. La mise en place de la semaine de quatre jours peut donc s’effectuer de manière unilatérale, dans le cadre de la fixation des plannings de travail. L’employeur doit toutefois s’assurer que les dispositions conventionnelles applicables ne comportent pas de restrictions sur le sujet de la répartition du temps de travail, par exemple en la fixant expressément sur cinq jours.
L’article 8 de l’accord de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif du 1er avril 1999 prévoit déjà que « la durée hebdomadaire du travail peut être répartie de manière égale ou inégale sur 4, 5 ou 6 jours ». L’employeur doit également s’interroger sur les éventuels usages et décisions unilatérales qui existeraient en la matière.
Néanmoins, l’accord collectif devrait être le vecteur privilégié. Pour les structures dotées d’un délégué syndical, cette nouvelle répartition du temps de travail peut d’ailleurs être évoquée à l'occasion des négociations annuelles obligatoires portant sur la rémunération et le temps de travail ou sur la qualité de vie et des conditions de travail. Plus encore, une journée non travaillée supplémentaire au cours de la semaine peut constituer une mesure de nature à « répondre aux enjeux de la transition écologique » de la négociation triennale sur les conditions de travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences [1]. Enfin, la primauté de l’accord d’entreprise sur l’essentiel des dispositions conventionnelles de branche [2] permet de simplifier la lisibilité du cadre conventionnel en matière d’organisation du temps de travail.
Quel que soit le vecteur choisi, il est préconisé de prévoir une durée déterminée de nature à permettre une première phase d’expérimentation.
5) Faut-il consulter les représentants du personnel ?
Pour rappel, si les projets d’accord collectif ne sont pas soumis à la consultation obligatoire du comité social et économique (CSE) [3], l’instance doit être informée et consultée sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur les conditions de travail et de durée du travail [4] : c’est le cas de la semaine de quatre jours. Un arrêt du 29 mars 2023, ayant tranché la question de la consultation du CSE sur les mesures de mise en œuvre d’un d'accord de GPEC [5], semble d’ailleurs confirmer que l’employeur doit consulter le comité sur les mesures ponctuelles intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise résultant de la mise en œuvre d’un accord collectif. À noter que le défaut de consultation du comité n’a pas pour effet d'entraîner l’inopposabilité de l’accord aux salariés, mais peut être sanctionné selon les règles régissant le fonctionnement du comité [6].
Au-delà des obligations du Code du travail, l’association des élus permet plus largement de faire remonter les interrogations des équipes et participe à un dialogue social constructif.
6) Doit-on conclure un avenant ?
L’analyse des contrats de travail s’impose pour vérifier qu’aucune contractualisation des horaires de travail ou de leur répartition sur cinq jours n’a été opérée, ce qui contraindrait l’employeur à solliciter l’accord des salariés concernés préalablement au déploiement de la semaine compressée. Sous cette réserve, l’employeur ne fait qu’user de son pouvoir de direction en décidant une nouvelle répartition du travail sur la semaine [7], les salariés devant toutefois être informés dans un délai raisonnable de tels changements [8].
Il convient de veiller à certaines exceptions.
- Selon la jurisprudence, il y a modification du contrat nécessitant l’accord du salarié si le changement d’horaire implique un bouleversement très important des conditions de travail [9] ou si l’instauration d’une nouvelle répartition des horaires porte une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos [10]. La Cour de cassation a déjà jugé que le passage à une semaine de quatre jours constituait une modification du contrat de travail [11], mais les salariés reprochaient à leur employeur de devoir travailler un jour de plus par semaine.
- Pour les salariés à temps partiel, la loi exige que le contrat de travail précise la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, ainsi que les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition puisse intervenir et la nature de cette modification [12]. La nouvelle organisation du travail devra donc s’inscrire dans ce cadre ou faire l’objet d’un avenant.
- S’agissant des salariés protégés, le passage à la semaine de quatre jours ne peut leur être imposé sans leur accord exprès, sachant que leur acceptation ne peut résulter ni de l'absence de protestation ni de la poursuite par l'intéressé de son travail [13]. Toutefois, à défaut de motif légitime, le refus peut constituer une faute justifiant le licenciement sur autorisation de l’inspecteur du travail [14].
7) Et en cas de suspension du contrat ou de congés ?
Sauf disposition conventionnelle ou pratique plus favorable, si un salarié est en arrêt de travail pendant le jour non travaillé au titre de la semaine compressée, ce jour ne devrait pas être récupéré. Par ailleurs, la mise en place de la semaine de quatre jours devrait être sans incidence sur l’acquisition et la prise des congés payés : le jour non travaillé devrait être assimilé à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés. Corrélativement, le salarié ne devrait pas se prévaloir de la semaine compressée pour ne poser que quatre jours au lieu de cinq.
8) Quid des risques professionnels ?
Si la semaine de quatre jours s’inscrit dans une logique de qualité de vie au travail et de meilleure conciliation entre vies personnelle et professionnelle, elle peut avoir des incidences en matière de risques professionnels : journées de travail plus longues générant fatigue, stress accru, augmentation des durées d’exposition journalière à certains risques (posture sédentaire, exposition aux bruits ou aux vibrations), etc. Par ailleurs, dans une organisation où le télétravail est déjà régulièrement pratiqué, cela peut affecter davantage le collectif de travail.
Il est donc indispensable d’évaluer les risques, de prévoir des mesures de prévention et de mettre à jour le document unique d’évaluation des risques professionnels, après consultation du CSE. Les mesures peuvent être variées : sollicitation des préconisations du médecin du travail, entretien spécifique sur la gestion de la charge de travail, dispositif d’alerte, formation des salariés et du management intermédiaire, bilan à l’issue de la phase d’expérimentation… L’idée étant que la semaine de quatre jours conserve sa force d’attractivité et de qualité de vie au travail.
[1] C. trav., art. L. 2241-12
[2] C. trav., art. L. 2253-1 à L. 2252-3
[3] C. trav., art. L. 2312-14, al. 2
[4] C. trav., art. L2312-8
[5] Cass. soc. 29 mars 2023, n° 21-17.729
[6] Cass. soc. 18 septembre 2019, n° 17-31.274
[7] Cass. soc. 30 mars 2011, n° 09-70.853
[8] C. trav., art. L. 3121-42
[9] Cass. soc. 5 juin 2013, n° 12-12.953
[10] Cass. soc. 3 novembre 2011, n° 10-14.702
[11] Cass. soc. 23 janvier 2001, n° 98-44.843
[12] C. trav., art. L. 3123-6
[13] Cass. soc. 15 février 2023, n° 21-20.572
[14] CE 10 mars 1997, n° 170114
Cécile Noël, avocate counsel, Picard avocats
Aller plus loin
La semaine de 4 jours - Enjeux pour la santé et la sécurité au travail, Décryptage INRS, août 2023
Comment gérer le chevauchement entre un jour férié et un jour non travaillé ?
Assez récemment, la Cour de cassation a été appelée à répondre à cette question dans une affaire où, outre le jour de repos hebdomadaire fixé le dimanche, le salarié bénéficiait chaque semaine de deux jours de repos fixés par roulement, compte tenu de la répartition du travail sur quatre jours. Elle précise qu’à défaut de dispositions conventionnelles plus favorables, la coïncidence d’un jour férié avec un jour de repos n’ouvre droit ni à repos supplémentaire ni à indemnité compensatrice, à moins que les jours de repos en question n’aient vocation à compenser des heures de travail effectuées au-delà de la durée légale ou conventionnelle, ce qui n’est en l’espèce pas le cas [1].
[1] Cass. soc. 10 mai 2023, n° 21-24.036
Publié dans le magazine Direction[s] N° 226 - janvier 2024