« Nous intervenons à domicile, en Ehpad ou en secteur hospitalier », indique Yanick Revel.
Depuis le début des années 2020, les thanadoulas (de « Thanatos », dieu grec de la mort, et « doula », servante), également appelées accompagnantes à la fin de vie et au deuil ou doulas de fin de vie, essaiment dans toute la France. Encore méconnu et rare chez nous – on recense à ce jour moins de 150 professionnelles formées –, le métier a déjà pignon sur rue aux États-Unis, au Canada, en Suisse et au Royaume-Uni. Il se décline très majoritairement au féminin, à l’instar de sa version d’accompagnement à la période périnatale.
Des missions diversifiées
Les doulas de fin de vie accompagnent les malades et les mourants, ainsi que les familles. « Nous pouvons intervenir à domicile, en Ehpad ou en secteur hospitalier, témoigne Yanick Revel, thanadoula à Lyon. Nos missions sont à 360 degrés avec un accompagnement émotionnel mais aussi informatif et pratique, en fonction des demandes : contribution à des rendez-vous médicaux, aide à la personne dans la rédaction de ses directives anticipées, ou encore assistance à la famille pour préparer les obsèques, gérer l’administratif… » Certaines proposent des services complémentaires : célébration des obsèques, artisanat funéraire, méditation, sophrologie, massages... Ou, comme Marine Nina Denis, qui exerce en région nantaise, des accompagnements collectifs, ouverts à tous, appelés « Apéros de la mort ». Seule limite réelle : l’interdiction de pratiquer des actes médicaux.
Une pratique empirique
Pour la plupart, ces professionnelles exercent en indépendantes, à la séance ou au forfait. Toutes vivent principalement d’une autre activité, souvent connexe (doula de naissance, fonctions dans le médico-social ou dans le bien-être…). Pour devenir thanadoula, aucun diplôme ni titre n’est obligatoire. Mais les professionnelles répondent généralement à trois critères. En premier lieu, faire montre de qualités humaines spécifiques : stabilité émotionnelle, capacités d’écoute, d’empathie, de communication et de bienveillance, organisation et adaptabilité, ouverture à la spiritualité... Ensuite, avoir suivi un programme de formation dédié parmi les deux actuellement disponibles en France – l’Institut deuils-doulas de fin de vie, en Bourgogne-Franche-Comté, et Couleur plume, dans le Gard. Ces cursus d’une centaine d’heures, étalées sur neuf mois à un an, balaient l’ensemble des réalités du métier : la mort et le mourir, les soins palliatifs et de bien-être, la communication avec la personne en fin de vie et ses proches, la gestion des émotions... Ils se soldent par l’obtention d’un certificat, sans reconnaissance à ce jour. Enfin, depuis février 2022, les adhérentes à l’association Deuil-doulas fin de vie [1] francophone doivent signer une charte professionnelle et éthique.
Ces garde-fous sont jugés minces par les praticiens du secteur médical et funéraire, qui voient souvent l’arrivée de ces nouvelles venues d’un mauvais œil. « Les thanadoulas interviennent en dehors de tout cadre formatif et réglementaire, exposant leurs clients à des abus de faiblesse », estime Florence Fresse, déléguée générale de la Fédération française de pompes funèbres.
La loi sur la fin de vie à l’agenda du quinquennat pourrait toutefois leur insuffler une légitimité accrue. C’est ce que professe en particulier Elsa Walter, autrice [2] et membre du groupe de réflexion initié par le ministère de la Santé. Dans une note publiée le 17 janvier 2024 par le think tank Terra Nova [3], elle propose notamment de « reconnaître les métiers émergents de l’accompagnement qui participent à la réhumanisation de la fin de vie ».
[1]
www.doulasdefindevie.fr
[2] À vous je peux le dire – Écouter les mots de la fin, Flammarion, 2022
[3] À consulter sur www.lagrandeconversation.com/societe/rehumaniser-la-fin-de-vie/
Catherine Piraud-Rouet
Point de vue
Kévin Herbin, directeur de l’Ehpad Solférino, à Carignan (Ardennes)
« Les Ehpad ont besoin des accompagnantes de fin de vie pour mener à bien leur mission de bientraitance. Mouroirs ou lieux de vie, les établissements médicalisés sont souvent coincés entre deux visions contradictoires, mais qui ont pour point commun d’éluder la question de l’accompagnement de fin de vie. C’est pourquoi je me suis rapproché de l’Institut deuils-doulas de fin de vie pour mettre en place un projet ambitieux et pionnier dans l’Hexagone : ouvrir une formation interne en la matière, de mars à décembre. Il s’agit de former huit personnes : cinq soignants – deux de notre Ehpad et trois du service de soins infirmiers à domicile de Sedan –, notre psychologue, l’un des bénévoles de notre programme “Visiteurs du soir” et moi-même. Le tout en lien avec le lancement, en janvier 2024, d’un comité éthique et de bientraitance mensuel, comprenant notamment une sensibilisation de tous nos personnels à l’accompagnement de fin de vie. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 229 - avril 2024