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Droit du travail
Congés et arrêt maladie : la réforme en pratique

05/06/2024

Désormais, les arrêts de travail pour maladie permettent d’acquérir des congés payés. De nouvelles règles et obligations s’imposent donc aux employeurs. Les points de vigilance en détail.

Un arrêt pour maladie professionnelle ouvre droit à 2,5 jours ouvrables de CP par mois, soit 5 semaines par an.

En réponse aux retentissants arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation de septembre 2023 en matière d’acquisition des congés payés (CP) pendant un arrêt maladie [1], l’article 37 de la loi n° 2024-364 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne du 22 avril 2024 opère un jeu d’équilibriste. Entre mise en conformité du Code du travail avec le droit européen et régulation des effets du revirement de jurisprudence, éclairage sur les nouvelles règles applicables et les principales interrogations soulevées par les gestionnaires.

1) Combien de CP un salarié malade acquiert-t-il ?

 Qu’elles soient d’origine professionnelle ou non, et sans limitation de durée [2], les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie sont désormais assimilées à du travail effectif pour l’acquisition des CP. En revanche, le nombre de jours ainsi acquis dépend du caractère professionnel ou non de l’arrêt :

- un arrêt pour accident du travail, maladie professionnelle (AT-MP) ou accident de trajet [3] ouvre droit à 2,5 jours ouvrables de CP par mois, soit 5 semaines par an ;

- pour maladie « simple », un arrêt ouvre droit à 2 jours ouvrables de CP par mois, soit 4 semaines par an.

À noter. Si la structure décompte les CP en jours ouvrés, il convient d’appliquer l’équivalence : 2 jours ouvrables acquis pendant un arrêt pour maladie non professionnelle représentent 1,66 jour ouvré.

2) Comment gérer la succession de périodes travaillées et d’arrêts ?

Il convient désormais de tenir deux décomptes de CP qui s'additionneront au cours de l’année d’acquisition :

- l’un permettant au salarié d’acquérir 2,5 jours ouvrables par mois (temps de travail effectif, arrêt lié à un AT-MP) ;

- l’autre limitant cette acquisition à 2 jours par mois (arrêt maladie simple).

En cas de mois incomplet, il convient d’effectuer une proratisation, sachant qu’un mois de travail effectif équivaut à 24 jours ouvrables travaillés (ou 20 jours ouvrés dans une structure fonctionnant sur 5 jours par semaine). Aussi et conformément à la règle de l’arrondi, si en fin d’année d’acquisition, la vérification des droits d’un salarié conduit à lui attribuer un nombre décimal de congés, il faudra arrondir à l’entier supérieur [4].

3) Les congés conventionnels sont-ils concernés ?

Dans l’attente de précisions pouvant être apportées par la jurisprudence, il convient de se référer au texte instaurant les congés supplémentaires concernés pour déterminer s’ils suivent le même régime d’acquisition que les congés légaux. En effet, seules quatre semaines de congé sont prévues par le droit européen, raison pour laquelle la cinquième semaine française, plus favorable, fait déjà l’objet d’un traitement distinct. Il en serait donc logiquement de même des congés supplémentaires, sauf dispositions plus favorables et position contraire de la Cour de cassation.

4) Quelles nouvelles informations l’employeur doit-il délivrer ?

À l’issue d’un arrêt maladie, l’employeur est désormais tenu de porter à la connaissance du salarié, dans le mois suivant sa reprise du travail, le nombre de jours de congé dont il dispose ainsi que la date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris [5]. En l’absence de limitation prévue par la loi, cette nouvelle obligation d’information s’applique à tout arrêt de travail, quelle que soit sa durée. Le texte précise que cette information peut être réalisée par tout moyen conférant date certaine à sa réception, notamment via le bulletin de paie. Attention au décalage de paie : si un salarié reprend son poste en fin de mois, après l’édition des bulletins de paie, la prochaine édition interviendrait au-delà du délai d’un mois.

5) En quoi consiste la période de report ?

En principe, les CP acquis et non pris à l’issue de la période de référence sont perdus, sauf pratique plus favorable de l’employeur. Par exception, la loi instaure un droit de report de quinze mois lorsque le salarié est dans l’impossibilité de poser, au cours de la période de prise, les congés qu’il a acquis du fait de son arrêt maladie. Au contraire, qu’il s’agisse des congés acquis avant ou pendant la maladie, il n’y a pas de report si le salarié est encore en mesure de les poser au cours de cette période.

En principe, le point de départ du délai de report de quinze mois débute à la date à laquelle le salarié reçoit, après sa reprise du travail, les informations sur le nombre de jours de congé dont il dispose et la date jusqu’à laquelle ils peuvent être pris. Toutefois, la loi prévoit un cas particulier pour les congés acquis pendant la maladie si le salarié est arrêté depuis au moins un an à la date d’expiration de la période d’acquisition de ces congés : le point de départ du report est alors fixé à la fin de cette période d’acquisition (et non à la fin de la période de prise), même si le salarié est toujours en arrêt de travail. En conséquence, si le salarié n’a toujours pas repris le travail à l’issue de cette période de report, les congés reportés sont perdus. Si,  au contraire, le salarié reprend le travail avec l’expiration du délai de report, ce dernier est suspendu jusqu’à ce que le salarié ait reçu de l’employeur les informations précitées.

Ainsi, cette règle permet, avec un mécanisme d’expiration, d’éviter le cumul de congés lorsque l'arrêt de travail excède un an.

6 ) Quid de la période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi ?

Applicable depuis le 24 avril 2024, la loi prévoit que certaines de ses dispositions sont rétroactives au 1er décembre 2009, date d’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Il en va notamment ainsi de l’acquisition de deux jours ouvrables de congé pendant un arrêt de travail non professionnel, de la période de report de quinze mois, de l’obligation d’information de l’employeur ou encore des modalités de calcul de l’indemnité de CP. Il s’agit donc d’une mise en conformité rétroactive avec la jurisprudence européenne. De façon surprenante, la suppression de la limite d’un an pour l’acquisition des congés pendant un arrêt maladie d’origine professionnelle n’est pas rétroactive.

7) Faut-il procéder à une régularisation rétroactive immédiate ?

Pragmatiquement, cela impliquerait un travail d’audit titanesque au sein de l’organisme gestionnaire – sans compter la reconstitution fastidieuse de périodes d’arrêt de travail anciennes –, outre l’explosion budgétaire engendrée au sein d’un même exercice. Juridiquement, certains points restent à fixer par la jurisprudence, sans que l’employeur ne soit dépourvu d’arguments en cas de contentieux, parmi lesquels figurent la forclusion et la prescription.

8) Quid de la forclusion et de la prescription ?

Pour les salariés toujours en poste, la loi instaure un délai de forclusion de deux ans, soit jusqu’au 24 avril 2026, pour saisir le conseil de prud’hommes de demandes visant l’octroi de jours de congé en application des dispositions rétroactives. Au-delà de ce délai, plus aucune demande au titre de la période du 1er décembre 2009 au 23 avril 2024 ne sera recevable.

En revanche, la loi ne traite pas de la prescription. Il convient donc d’appliquer le droit commun : le salarié en poste a deux ans pour réclamer un rappel de congé – et non pas une indemnité – à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit [6] . Le salarié dont le contrat a été rompu a, quant à lui, trois ans à compter de ce même jour pour réclamer un rappel d’indemnité compensatrice de CP. Tout le débat, en cas de litige, portera donc sur le fait de savoir si cette prescription a commencé à courir alors que le salarié n’a pas bénéficié de l’information nouvellement fixée par la loi. En défense, l’employeur pourrait arguer que si nul n’est censé ignorer la loi, cela s’applique aux deux parties, de sorte que le salarié « aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit » et n’était pas dans l’impossibilité de l’exercer dès lors qu’il s’est bien vu délivrer chaque mois un bulletin de paie indiquant le solde de ses CP [7]. Preuve en est, les arrêts du 13 septembre 2023 émanent bien de contentieux initiés par des salariés réclamant, bien avant la réforme, un rappel de congés payés sur le fondement du droit européen. Naturellement, cela implique que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombaient légalement (information des salariés sur la période de prise des congés et l’ordre des départs notamment).

Enfin, il reste préconisé, en cas de rupture, de ne pas envoyer au salarié ses documents de fin de contrat mais de les lui tenir à disposition, étant rappelé que la signature du reçu pour solde de tout compte a un effet libératoire pour l’employeur à l’issue d’une période de six mois [8].

9) Quelques recommandations

Il est nécessaire de mettre à jour, dans les plus brefs délais, les outils de suivi du temps de travail et d’instaurer un process interne permettant de satisfaire à l’obligation d’information du salarié sur ses droits à congé. Plus globalement, il est important, pour chaque gestionnaire, d’adopter une position harmonisée : dans la mesure où le principe d’égalité de traitement s’applique au niveau de l’entreprise, il convient de veiller aux décisions locales – de régularisations notamment – qui pourraient avoir un effet ricochet sur les autres structures.

[1] Lire Direction[s] n° 224, p. 32

[2] C. trav., art. L. 3141-5, 5° et 7° modifié

[3] Cass. soc. 3 juill. 2012, n° 08-44.834

[4] C. trav., art. L. 3141-7

[5] C. trav., art. L. 3141-19-3

[6] C. trav., art. L. 1471-1

[7] Voir, en ce sens, Versailles, 27 mars 2024, n° 22/00821

[8] C. trav., art. L. 1234-20

Cécile Noël, avocate counsel, Picard avocats

Et en cas de dispositions conventionnelles plus favorables ?

Nombre de conventions et accords collectifs comportent des règles plus favorables en matière de congés payés. De telles règles continuent à s’appliquer puisque l’article L. 3141-9 du Code du travail, d’ordre public, rappelle que « les dispositions de la présente section ne portent atteinte ni aux stipulations des conventions et des accords collectifs de travail ou des contrats de travail ni aux usages qui assurent des congés payés de plus longue durée ». Par exemple, la convention collective du 15 mars 1966 prévoit l’absence de réduction du droit à congé payé du salarié en arrêt maladie pendant sept mois pour un non-cadre et treize mois pour un cadre : le cadre légal ne prend le relais qu’à l’issue de ces périodes.

Condamnation prud’homale: l’État est-il responsable ?

Il existe effectivement une responsabilité de l’État du fait des lois [1] avec un régime de responsabilité pour faute présumée en cas de méconnaissance, par l’État, des obligations découlant de la hiérarchie des normes et/ou des engagements internationaux de la France. En présence d’une condamnation budgétairement lourde, une telle action administrative pourrait être à envisager. Le cas échéant, il conviendrait d’attendre une décision définitive du juge judiciaire pour présenter une requête indemnitaire auprès du ministre compétent. Puis, en cas de décision de rejet, saisir le tribunal administratif dans les deux mois. À date, aucune juridiction ne s’est encore prononcée sur une telle indemnisation de l’employeur par l’État, lequel a toutefois déjà été condamné pour ne pas avoir totalement transposé le droit européen applicable en matière d’acquisition de congés pendant la maladie [2].

[1] CE, ass., 8 févr. 2007, M. Gardedieu

[2] CAA Versailles, 17 juill. 2023, n° 22VE00442

Tout savoir sur les congés payés et les arrêts maladie :

Retrouvez le replay du webinaire organisé avec le cabinet Picard avocats, le 15 mai 2024

Publié dans le magazine Direction[s] N° 231 - juin 2024






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