L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle peut conduire au licenciement, à condition que l’employeur se fonde sur des faits précis et vérifiables, hors de toute procédure disciplinaire.
1) Absence de faute
Lorsqu’il repose sur un motif personnel, inhérent au salarié (par opposition au motif économique), le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse [1]. Celle-ci repose alors :
- soit sur un motif disciplinaire (c’est-à-dire sur une faute du salarié) ;
- soit, en dehors de tout comportement fautif, sur des faits qui lui sont imputables.
La distinction revêt une grande importance car elle va irriguer toute la procédure de licenciement.
Si le premier motif est retenu, l’employeur devra respecter la procédure prescrite à ce titre par le Code du travail :
- délai d’un mois pour la notification de la sanction [2] ;
- prescription des poursuites disciplinaires au-delà de deux mois à compter de la connaissance des faits [3] ;
- sans oublier, le cas échéant, la procédure prescrite par la convention collective applicable : notamment (et sauf en cas de faute grave), avoir déjà notifié une (CCN du 31 octobre 1951 [4]) ou deux (CCN du 15 mars 1966 [5]) sanctions préalables.
Si c’est le second motif qui est retenu, la procédure ordinaire suffit [6].
Le licenciement pour insuffisance professionnelle repose sur un motif non disciplinaire. Il n’est pas une sanction, mais une mesure rendue nécessaire. En effet, pour les juges, l’incompétence d’un salarié n’est pas constitutive d’une faute [7], sauf – et c’est la seule exception – si elle résulte d’une volonté délibérée à ne pas ou à mal accomplir ses missions [8].
Dès lors, pour licencier pour insuffisance, l’employeur ne doit pas engager une procédure de sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, mais une simple convocation à un entretien préalable. Une attention particulière doit être portée à la rédaction du courrier de licenciement. Il ne doit pas contenir de reproches ou de griefs (réservés à la sanction d’une faute dans l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur), mais uniquement des constats de carences précises et durables dans les missions attendues.
Face à une lettre de licenciement pour insuffisance rédigée sur un ton disciplinaire, les juges du fond pourraient requalifier le motif de la rupture et s’emploieraient alors à chercher si une faute est réellement caractérisée et si la procédure disciplinaire a été respectée. Dans la négative, le licenciement serait jugé comme sans cause réelle et sérieuse [9].
À l’inverse, si l’employeur s'est placé sur le terrain disciplinaire en prononçant un licenciement pour faute, le juge devra nécessairement caractériser l’existence d’une faute imputable au salarié pour juger le licenciement comme reposant sur une cause réelle et sérieuse [10].
2) Carences objectives
L’appréciation de l’insuffisance professionnelle d’un salarié relève du seul pouvoir de direction de l’employeur. Cela étant, l’incompétence alléguée doit toujours reposer sur des éléments concrets et non purement subjectifs pour que le licenciement soit jugé comme reposant sur une cause réelle et sérieuse, dans le cas où le salarié viendrait à le contester. Il s’agira donc de pouvoir établir les attendus du poste occupé par le salarié (la fiche de poste est souvent une pièce déterminante dans ces contentieux) et de démontrer objectivement qu’il ne les atteignait pas depuis un moment significatif. Il est donc indispensable de conserver toutes les traces tangibles des carences constatées en amont de la décision, surtout si elles sont citées dans le courrier de licenciement :
- entretien annuel d’évaluation non satisfaisant ;
- documents rédigés par le salarié erronés ;
- attestation de collègues devant reprendre le travail effectué ;
- courriers d’insatisfaction des usagers...
À cet égard, les juges n’exigent pas que le courrier de licenciement pour insuffisance soit particulièrement développé [11], mais d’un point de vue pratique, il est recommandé d’y faire figurer les éléments précis et objectifs qui ont amené l’employeur à prendre cette décision et dont il devra justifier. Cela permettra de cadrer le débat devant une juridiction, le courrier de licenciement fixant les termes du litige.
À noter. L’ancienneté ou l’existence de succès antérieurs du salarié dans son poste n’empêchent pas son licenciement régulier pour insuffisance dès lors que depuis, un manque total d’autonomie et une impossibilité de mener ses missions ont été constatés [12]. Toutefois, une promotion et/ou une augmentation récente [13], le versement d’une prime exceptionnelle rétribuant de bons résultats quelques mois avant le licenciement [14], la confirmation de la période d’essai à l’issue de laquelle l’incompétence était prévisible [15], ou encore l’inadéquation entre les missions demandées et le poste du salarié [16] affaibliront la cohérence du dossier devant le conseil de prud’hommes.
3) Respect de l’obligation de formation
Enfin, le manque de compétence du salarié invoqué ne doit pas être la conséquence du manquement de l’employeur à son obligation de formation et d’adaptation. Il lui incombe en effet de fournir à ses salariés tous les moyens matériels et humains nécessaires à la bonne exécution du travail attendu et de veiller à leur adaptation, notamment au regard de l’évolution des emplois et des technologies [17].
Avant de lancer une procédure de licenciement pour carences d’un salarié, l’employeur doit donc s’attacher à vérifier que celles-ci ne découlent pas d’une organisation défectueuse de l’entreprise (surcharge de travail en raison d’un sous-effectif [18], nouvelles méthodes de travail auxquelles le salarié n’a pas été formé [19], non mise à disposition du matériel adapté [20]). Ici encore, au niveau probatoire, les mesures d’accompagnement correctives mises en place pour aider le salarié et soutenir sa remise à niveau (feuilles de présence en formation, points outlook d’échange, compte rendu d’entretien, attestation de collègues de leur soutien, etc.) devront être conservées afin d’être versée au débat en temps opportuns devant une juridiction.
[1] C. trav., art. L. 1232-1
[2] C. trav., art. L. 1332-2
[3] C. trav., art. L. 1332-4
[4] Chapitre 3, titre 5, art. 05.03.2
[5] Titre III, art. 33
[6] C. trav., art. L. 1232-2 et suivants
[7] Cass. soc. 13 janv. 2016, n° 14-21.305 ; 27 févr. 2013, n° 11-28.948 ; 11 mars 2008, n° 07-40.184
[8] Cass. soc. 27 nov. 2013, n° 12-19.898 ; Cass. soc. 6 janv. 2011, n° 09-67.334
[9] Cass. soc. 9 janv. 2019, n° 17-20.568 ; Metz, 24 janv. 2024, n° 21/02498
[10] Cass. soc. 17 janv. 2013, n° 12-10.051 ; Cass. soc. 22 juin 2016, n° 15-10.149
[11] Cass. soc. 3 oct. 2007, n° 06-42.646
[12] Cass. soc. 16 mai 2018, n° 16-25.552 ; Cass. soc. 20 janv. 1982, n° 80-40.002
[13] Cass. soc. 11 juin 1987, n° 84-41.456
[14] Amiens, 8 févr. 2024, n° 22/04600
[15] Cass. soc. 18 avr. 1985, n° 82-43.829
[16] Cass. soc. 2 févr. 1999, n° 96-44.340
[17] C. trav., art. L. 6321-1
[18] Cass. soc. 5 oct. 1989, n° 87-42.073
[19] Aix-en-Provence, 23 févr. 2024, n° 20/07442
[20] Cass. soc. 4 oct. 1990, n° 88-43.946
Amélie Nadin, avocate, Picard Avocats
Et en cas de coexistence d’une insuffisance et d’une faute ?
L’insuffisance professionnelle n’est pas une faute en elle-même et ne peut fonder régulièrement une procédure disciplinaire. Cela étant, le constat de l’insuffisance d’un salarié ne l’immunise pas de toute sanction s’il vient en plus à commettre une faute. Autrement dit, si en plus de carences constatées dans l’exercice de ses fonctions, le salarié adopte un comportement fautif, l’employeur pourra faire coexister ces deux motifs dans le courrier de licenciement. La Cour de cassation juge en effet que l’employeur, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu'ils procèdent de faits distincts [1]. Cette option exige de l’employeur qu’il respecte les délais et obligations conventionnelles applicables aux procédures disciplinaires pour le licenciement, même si ce dernier est partiellement fondé sur un motif non disciplinaire.
[1] Cass. soc. 17 janv. 2024, n° 22-19.733
Publié dans le magazine Direction[s] N° 232 - juillet 2024