« J’ai découvert un monde nouveau, moi qui n’avais jamais touché qu’au cartonnage. » David Maia-Rodriguez, travailleur de l’établissement et service d’aide par le travail (Esat) Cart’Services, à Bon-Encontre (Lot-et-Garonne), a été accueilli par trois salariées du groupe pharmaceutique UPSA à Agen, le 30 mars dernier. Après une visite de l’entreprise, il a participé à plusieurs ateliers en chimie et en microbiologie. Une immersion dans le milieu ordinaire, sous la forme d’un stage, dont le jeune homme de 32 ans est sorti ravi. À quelques kilomètres de là, même enthousiasme chez Sébastien Verdon, 45 ans, venu de l’Esat Vérone, à Foulayronnes, et intégré l’espace de 24 heures au sein de Sud’n’sol, une PME agenaise de transformation de fruits et légumes. Sous l’égide d’Angélique Jouet, 26 ans, mise à disposition depuis trois ans en tant qu’agent d’entretien par l’Esat Agnelis, situé à Foulayronnes, il s’est initié au nettoyage industriel. « C’est un peu compliqué, car il y a beaucoup de précautions à prendre. Mais je suis très fier d’y être arrivé », déclare le travailleur handicapé jusqu’ici uniquement préposé aux espaces verts.
Une initiative européenne
Comme David et Sébastien, ce sont quelque 183 usagers volontaires issus de huit Esat du Lot-et-Garonne qui ont participé à la deuxième édition de Duoday, le 30 mars dernier. Une journée qui a pour but de sensibiliser les entreprises et collectivités au handicap via l’immersion en milieu dit ordinaire de travailleurs d’Esat. Une initiative née en Irlande en 2008, reprise en Belgique en 2010, puis en Allemagne et au Portugal, et enfin en France depuis 2016 par Stéphane Cornuault, directeur de l’Esat Agnelis. « Le Duoday vise un double objectif : permettre une découverte mutuelle entre Esat et employeurs, et donner un coup de pouce à l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés », explique-t-il.
Duoday est le fruit d’une préparation logistique au cordeau, mise en place dès le mois de septembre précédent, date à laquelle chaque établissement a soumis la proposition de participer à ses usagers. Première étape ? Coordonner les actions. « Quatre réunions de préparation se sont succédé, rassemblant directeurs, chargés d’insertion et moniteurs d’atelier », retrace Stéphane Cornuault. Deuxième temps fort : démarcher les entreprises. Chaque structure a prospecté ses partenaires privilégiés, le directeur écumant quant à lui les rencontres de décideurs d’entreprise et organisant des petits déjeuners. Pari gagné puisque les partenaires affluent : agglomérations du département, conseil départemental, entreprises de toutes tailles (grands groupes, PME, artisans…) et de tous secteurs.
Dans ces structures, le responsable des ressources humaines (RH) prend alors le relais auprès des salariés et agents. « Nous lançons un appel à volontariat un mois avant l’événement, explique Valérie Sireix, responsable RH et référente Handicap et diversité chez UPSA, qui participe au Duoday depuis 2016. Puis nous envoyons aux Esat la liste des salariés volontaires pour former des duos, ainsi que les profils requis. »
Travail pluridisciplinaire
Autre challenge pour les Esat ? Ajuster ces profils aux souhaits des travailleurs handicapés. « Nous essayons de répondre au plus près de leurs attentes, en nous appuyant sur leur projet personnalisé et leurs besoins en accompagnement », pointe Jean-Jacques Crayssac, chargé d’insertion à l’Esat Vérone. L’affinage des duos se fait ensuite en équipe pluridisciplinaire. « Nous vérifions notre choix auprès du moniteur d’atelier, qui connaît le mieux les personnes, précise Patrick Richard, son collègue à l’Esat Agnelis. Et en cas de doute, nous consultons la psychologue. »
Cette phase bouclée, les chargés d’insertion dressent une feuille de route logistique (horaires, repas, transports…) et organisent, si besoin, un entretien de présentation avec le responsable RH. « Ce rendez-vous vise, d’une part, à rassurer les travailleurs handicapés et à leur donner des repères sur la journée à venir et, d’autre part, à faire tomber les craintes des entreprises et à tisser la relation en vue de l’accueil du stagiaire », pointe Delphine Scopel, secrétaire de direction à l’Esat Agnelis.
Pour finir, une convention de mise à disposition d’une journée est conclue entre Esat et structure d’accueil. Calée sur la journée-type du salarié référent, celle-ci ne comporte aucun engagement d’embauche ou de mise à disposition ultérieurs. « Le prérecrutement n’est pas l’objectif premier du Duoday, commente Joël Follet, directeur de l’Esat Cart’Services. Cette initiative doit rester un outil simple et lisible pour l’entreprise. Même si, bien sûr, toute retombée positive est un plus. » D’ailleurs, au terme de la première édition, trois contrats de mise à disposition ont été signés, une personne a été embauchée et une deuxième embauche est en réflexion.
Taux de satisfaction record
Le jour J, les structures partenaires s’organisent à leur gré pour recevoir les travailleurs handicapés. Ainsi chez UPSA, c’est un trio qui a encadré David. « Une formule plus souple pour nous relayer auprès de lui, et plus pratique pour lui montrer l’ensemble des facettes de nos métiers », explique Anne-Christelle Castera, technicienne en microbiologie et en dissolution. Les salariées se sont calées sur les envies et le rythme de David. « Il faut prévoir des pauses et miser au maximum sur le concret », relève Laetitia Tomiet, secrétaire assistante au laboratoire de contrôle qualité. De plus, dans ce secteur pharmaceutique, assez technique, il a fallu rivaliser d’imagination pour vulgariser. « Nous avons calé les ateliers pour David sur ce que nous proposons aux stagiaires de 3e », précise Sylvie Ruant, technicienne en microbiologie.
Pour les travailleurs handicapés, le taux de satisfaction était de 100 % en 2016. « À leur retour, les usagers – dont un tiers n’avaient jamais connu le monde de l’entreprise – ont pris conscience du fossé entre l’atelier et le milieu ordinaire, en termes de rythme de travail, de complexité des tâches et de prise de responsabilités, témoigne Pascal Galiné, moniteur d’atelier à l’Esat Agnelis. Mais l’expérience les valorise et renforce leur confiance en leurs capacités. »
Pour les établissements et services, le Duoday constitue aussi la double opportunité de décloisonner le secteur protégé et de développer leur réseau d’entreprises. Un enthousiasme partagé dans les structures partenaires où, selon une enquête, neuf salariés sur dix ont changé de regard sur les personnes en situation de handicap. « Outre cette sensibilisation, l’expérience est très porteuse pour nous en termes d’image et de responsabilité sociale des entreprises (RSE) », pointe Isabelle Mathé-Quelard, DRH de Sud’n’sol. L’an prochain, le Duoday s’étendra-t-il au-delà des frontières du Lot-et-Garonne ? Tous l’appellent de leurs vœux.
Catherine Piraud-Rouet
« Le regard des salariés sur le handicap a changé »
Valérie Sireix, responsable RH et référente Handicap et diversité chez UPSA, à Agen
« L’entreprise est signataire d’un accord Handicap depuis 2007, et nous sommes partenaires de l’Esat Agnelis depuis 2011 pour diverses prestations de conciergerie. Nous travaillons avec eux dans une relation de confiance et une logique d’innovation permanente. D'où notre adhésion immédiate à la proposition de participer au Duoday, dès 2016. D’autant plus que l’initiative peut recouvrir l’ensemble des volets de notre accord : recrutement, maintien dans l’emploi, communication, sensibilisation et recours au secteur adapté et protégé. Les retours sur la journée sont tous positifs et enrichissants. Au travers du Duoday, nous donnons aux collaborateurs l’opportunité de vivre une journée chargée de sens. C'est un outil supplémentaire dans notre politique Handicap, ils deviennent de vrais ambassadeurs, dont le regard sur le handicap a complètement changé. »
En chiffres
En 2017, 8 Esat (6 en 2016), 183 duos (80 en 2016) et 94 d’entreprises et collectivités partenaires (28 en 2016).
Coût de l’opération : 30 000 euros par an sur trois ans, financés par l'ARS Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes (communication, bonus des chargés d’insertion, logistique).
Publié dans le magazine Direction[s] N° 155 - juillet 2017