« Ce dossier est devenu un prétexte pour le secteur associatif qui déplore le manque de financement de l’économie sociale et solidaire (ESS). Nous refusons d’entrer dans ce débat qui n’est pas le nôtre : ne confondons pas politique sociale et politique de transport ! » La fermeté du Groupement des autorités responsables de transport (Gart), exprimé par la voix de Guy Le Bras, son directeur général, donne le ton. À l’origine des tensions ? Le redécoupage du périmètre des exonérations aux versement transport [1] via la loi de finances rectificative (LFR) pour 2014 réintègrant ainsi la majorité des gestionnaires de structures sociales et médico-sociales dans les bataillons des contributeurs. Coût de la facture ? 500 millions d’euros, a alerté cet été le secteur dans une adresse, par voie de presse, au Premier ministre. Historique.
Exemptions de fait ?
Créée en 1971 (à l’époque pour la seule Ile-de-France), cette contribution des employeurs [2] est destinée à financer les transports en commun. À l’exception entre autres « des associations reconnues d’utilité publique à but non lucratif, dont l’activité est de caractère social ». Une définition, objet d’une construction jurisprudentielle empirique, explique l’avocat Thierry Guillois : « Dans les années 1990, les premières décisions des tribunaux des affaires de Sécurité sociale et de la Cour de cassation ont donné une interprétation restrictive de la notion de caractère social en posant le principe de son incompatibilité avec l’existence de financements publics et la nécessaire implication directe et massive des bénévoles. » Compliqué à justifier dans un secteur qui, ces dernières années, a largement joué la carte de la professionnalisation… Pour les autorités organisatrices des transports (AOT), confrontées à une période de vaches maigres, l’argument est irrecevable. « Toute exonération devait de toute façon être confirmée par une délibération expresse, rectifie Guy Le Bras. Or, certaines associations, considérant qu’elles remplissaient les conditions requises, se sont dispensées d’en faire la demande. » Une « erreur d’appréciation » qui jusque-là n’a pas semblé troubler les Urssaf chargées de la collecte, souligne à son tour Éric Pliez, directeur général de l’association Aurore, à Paris. « Il y a trois ans, notre dernier contrôle n’a pas remis en cause notre exonération. Jusqu’à l’interpellation de l’Urssaf, en 2013, concernant l’un de nos établissements, pour lequel le contentieux est toujours en cours. Depuis, un nouveau contrôle portant cette fois sur la majorité de nos structures est intervenu, avec un possible redressement sur deux ans. »
Situations disparates
Pourtant sur certains territoires, des gestionnaires sont déjà assujettis au versement transport. À l’image de l’Association des paralysés de France (APF), dont près de 50 % des structures sont concernées, qui compte bien voir cette éventuelle manne consacrée à l’accessibilité des transports, insiste Prosper Teboul, son directeur général : « Après négociation avec les autorités de tarification, nous avons progressivement pu intégrer cette charge dans les budgets des établissements, là où l’exonération était refusée. »« Leurs charges sont donc compensées, traduit Benoît Ménard, directeur général de l’union nationale Uniopss. Si cette contribution devait être étendue, ce ne sera probablement pas le cas pour tout le monde, faute de crédits inscrits au budget de l’État. Quant aux structures financées par les collectivités, cela se traduira, au pire, par un transfert de charges déguisé, au mieux, par un transfert de conflits, car elles se retourneront vers les financeurs locaux. » Qui, de leur côté, n’ont pas laissé planer le doute : « Circulez, il n’y a rien à voir », a fait savoir l’Assemblée des départements de France (ADF).
Tour de passe-passe
En écho aux propositions du Haut Conseil à la vie associative (HCVA) [3], les fédérations se sont mises très tôt en ordre de bataille. Mi-mai, leur message semblait bien être passé après l’adoption par les députés d’un amendement au projet de loi sur l’ESS, proposant l'octroi automatique d’une exonération aux détenteurs de l’agrément Entreprise solidaire d'utilité sociale (Esus). Votée contre l’avis du gouvernement, la disposition a été retirée, avant de réapparaître dans une version pour le moins « surprenante » au sein du projet de LFR pour 2014. Résultat ? Pour être exemptées de droit, des associations reconnues d’utilité publique doivent désormais satisfaire à plusieurs conditions… impossibles à remplir pour la majorité d’entre elles, analyse Laurent Bessède, délégué national aux affaires juridiques à la Croix-Rouge française : « Hormis celles financées par subvention, ce sont toutes les activités assurées par les structures tarifées qui en sont exclues : soit la totalité du champ du handicap, des personnes âgées et du domicile pour ne citer que ces secteurs clés ! Des pans entiers de missions, portées pour certaines essentiellement par le privé non lucratif, comme les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), seront désormais taxés. »
Double peine
Un nouveau coup dur en cette année des associations pour des employeurs déjà exclus du bénéfice du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). « La vie associative serait-elle passée à la trappe de la politique gouvernementale ?, interroge Benoît Menard. N’aurait-elle plus vocation à exister autrement que noyée au sein d’un grand concept ESS, où la non-lucrativité est, au mieux, limitée ? »« L’enjeu, c’est le devenir de ce secteur comme porteur d’une offre alternative de services au tout public et au tout lucratif », résume Laurent Bessède. Avec toujours en suspens, des nombreux contentieux en cours. « La seule solution est de parvenir à ce que les juridictions entérinent les quelques décisions plus favorables, intervenues en 2013 et 2014, espère Thierry Guillois. Mais pas sûr qu’elles puissent s’exonérer de la nouvelle législation… Dans tous les cas, ce ne pourra être qu’un baroud d’honneur. »
Pour l’heure, au sortir d’une réunion d’urgence convoquée fin juillet à Matignon [4], les professionnels fourbissent leurs armes en recueillant auprès de leurs adhérents de quoi donner corps à leurs prévisions financières les plus pessimistes. Objectif in fine, résume Florent Gueguen, directeur général de la fédération nationale Fnars? « Que les associations exonérées depuis deux ou trois ans le restent. Mais cela pose d’abord une difficulté juridique, car ces acquis, résultant à la fois d’exonérations expresses et de fait, sont difficiles à traduire en droit, mais également budgétaire, car ce manque de recettes pour les AOT devra être compensé. » La mission confiée par Matignon au député socialiste Yves Blein s’apparente déjà à la quadrature du cercle… Réponse début octobre au sein du projet de loi de finances (PLF) pour 2015 ?
[1] Applicable pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2015.
[2] Employeurs publics et privés de plus de neuf salariés dans une zone où la taxe est instituée.
[3] Rapport définitif sur le financement privé du secteur associatif, mars 2014
[4] Une autre était attendue en septembre.
Gladys Lepasteur
« Trouver une solution rapidement »
Yves Blein, député PS du Rhône
« Le périmètre des exonérations, qui n'est plus adapté pour le secteur associatif comme pour les AOT, pose une difficulté juridique. Destiné à alerter le gouvernement, mon amendement au projet de loi ESS a permis de réunir les acteurs sur ce sujet, pour lequel nous manquons de données économiques objectives : c’est l’objet de la mission dont j’ai été chargé, en lien avec la caisse nationale des Urssaf (Acoss). Le point de vue des AOT est certes compréhensible mais, avec la LFR, l’intention des députés n’était pas de "faire les poches" des associations. Aujourd’hui, l’idée de Matignon est de parvenir à trouver les conditions permettant le maintien du statu quo : que les associations déjà exonérées le restent. Il nous faut aboutir rapidement pour inscrire une solution dans le PLF pour 2015. Car de nombreux contentieux sont en cours, et la tendance va s’accélérer. »
Repères
- 6,5 milliards d’euros par an, c’est ce que rapporte le versement transport au transport public.
- 10 000 emplois seraient menacés par la nouvelle législation, selon le secteur.
- Parmi les conditions permettant aux associations du secteur reconnues d’utilité publique d’être exonérées de droit ? Des prestations « assurées à titre gratuit ou contre une participation des bénéficiaires sans rapport avec le coût des services rendus, sans contrepartie légale acquise […], notamment au titre [de la tarification] ».
Publié dans le magazine Direction[s] N° 124 - octobre 2014