C’est l’histoire d’un secteur prenant racine dans la charité. Arrosé, pour germer, par le courage d’une poignée de parents concernés. Nourri pendant cinquante ans par un État solidaire, puis récemment arraché à la racine et jeté au compost par ce dernier. Et aujourd’hui ? Une société inclusive prônée comme la quête du XXIe siècle. Une vie dans le droit commun pour tous, sans y mettre le prix.
La politique inclusive transforme inévitablement la typologie des publics. Nous repensons nos organisations pour répondre aux besoins en soins exponentiels, à la dépendance croissante, aux troubles associés multiples, au contexte social complexe. Nous devenons les pilotes agiles d’une frustration grandissante, née de l’écart qui se creuse entre nos objectifs et nos ressources.
La société inclusive, prétexte au désengagement
Des textes de loi bientôt datés de vingt ans relatant l’accessibilité, la compensation et qui n’ont que partiellement été suivis de moyens ! Une pensée tourne en boucle : celle d’une quête basée sur de mauvaises motivations… Une société inclusive illusoire prônée afin de servir de socle noble à une politique émergente : celle du désengagement.
Octroyons aux personnes vulnérables une place normée dans une société où les « hors-norme » nous coûtent trop cher. Encourageons l’autodétermination et la pair-aidance, limitant ainsi la nécessaire intervention de professionnels qu’il nous faudrait rémunérer. Leur motivation est-elle vraiment ici : donner aux personnes le pouvoir d’agir ? La file active est une notion purement mathématique qu’on nous impose comme référence pour absorber nos listes d’attente. Quand les pouvoirs publics reconnaîtront-ils qu’ils nous encouragent à donner moins à plus de personnes, au risque de voir proliférer des prestations médiocres ? Ces nouveaux concepts résonnent comme une autorisation donnée à l’État, et plus généralement à la société, de détourner le regard.
Et pourtant, nous avons besoin d’eux. L’inflation enraye nos belles initiatives. Les sources d’économies qui permettaient, il y a peu, de financer de nouveaux dispositifs, des innovations et des places supplémentaires ne servent plus qu’à éponger partiellement les déficits qui se creusent. Nous vivons sur des trésoreries qui s’amenuisent, attendant patiemment des arrêtés budgétaires pour percevoir « notre dû ». Alors même que nous devons déposer nos EPRD/ERRD dans des temps records à l’aide d’outils complexes, où l’argumentaire devient étriqué, nos financeurs s’octroient des mois de délibération, nous laissant sans pilotage efficient.
Les centres de formation se vident. L’aide à la personne devient un choix par défaut pour de nombreux candidats, dont un tiers n’ira pas au bout du cursus, laissant les professionnels à bout de souffle. Des professionnels certes, mais surtout de nouveaux artistes qui jonglent avec l’injonction de faire toujours mieux avec moins.
Les contrôles se renforcent, les inspections s’enchaînent. Rendre des comptes et définir des objectifs de conformité représente une part de plus en plus importante de notre temps. Les directeurs « uni-site » sont devenus des directeurs de pôle, portant la responsabilité d’un effectif souvent multiplié par cinq. L’encadrement de proximité se noie dans la chasse aux remplaçants. Les personnels deviennent des coureurs de fond pour tenir la distance au fil de journées rythmées par les urgences.
Nous sortons du huis clos médico-social pour trouver des alternatives. Le benchmark est devenu incontournable. Depuis une demi-décennie, on se tourne vers d’autres secteurs afin de trouver des solutions à nos problèmes d’attractivité, de rationalisation, de recherche de fonds privés... les idées qui y sont glanées ne servent que de check point, créditant de quelques mois la survie de nos structures.
Besoin d'oxygène !
Recrutez des contrôleurs de gestion, on nous dit ! Une pression de nos financeurs qui devient insistante. Cela ne les dédouanera pas de verser les sommes qui nous sont dues. L’expertise de cette fonction a atteint ses limites. N’ont-ils pas peur que ces cost killers, maîtres en tableaux de bord, fins connaisseurs du terrain, ne soient finalement ceux qui mettront en lumière nos manques de moyens ? Aujourd’hui, leurs rapports sonnent creux, leurs propositions résonnent sur les parois de nos budgets, vides comme des coquilles.
Les charges ont été passées au crible d’un tamis tellement fin qu’aucune poussière n’en a réchappé. Il nous faut trouver ensemble un accord permettant le financement de nos dépenses pour faire face au contexte inflationniste, à la revalorisation fréquente du point et à la prise en compte de l’ancienneté structurellement croissante de nos équipes. Ne laissons pas nos financeurs et les pouvoirs publics être les témoins passifs de notre noyade.
Charline Picaud
Carte d’identité
Nom. Charline Picaud
Fonction actuelle. Directrice générale de la Fondation Gabriel-François Richard (Lyon).
Publié dans le magazine Direction[s] N° 225 - décembre 2023