En 2006, les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) ont acquis une existence juridique à part entière en devenant la 13e catégorie d'établissements sociaux et médico-sociaux répertoriée par le code de l'action sociale et des familles (1). Depuis cette date, force est de constater que les textes concernant leur fonctionnement ne manquent pas ! Les deux derniers en date, parus cet été (2), autorisent la réduction du taux d'accompagnement des demandeurs d'asile en Cada en même temps que l'assouplissement du niveau de qualification des intervenants sociaux. Qu'est-ce qui a bien pu motiver le ministère de l'Intérieur à prendre de telles décisions ?
Les missions imparties aux Cada auraient-elles été revues à la baisse ? La réponse est négative. Bien au contraire, les objectifs à atteindre, qui s'expriment entre autres en « taux cibles » (3), sont supérieurs pour 2011. De plus, les structures se voient confier une mission de veille sanitaire avec un nouveau rôle : signaler aux médecins des agences régionales de santé (ARS), en lieu et place du médecin-chef de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont le poste a été supprimé, tout problème de santé des résidants pouvant entraîner un problème de santé publique. Un système d'information supplémentaire va devoir être renseigné… Le temps passé en « reporting » divers augmente en permanence, pendant que les moyens humains diminuent… Cherchez l'erreur !
Des crédits à mieux répartir
En réalité, ces modifications trouvent simplement leur origine dans la baisse des crédits alloués aux Cada, prévue par la loi de finances votée en 2010, soit –4 % pour l'année 2011. Une baisse qui se poursuivra en 2012 et 2013 pour atteindre au total –11 à –12 %. La nécessité de réduire la dette publique (qui n'est pas nouvelle) est-elle responsable de cette décision ? Au regard de son montant (1600 milliards d'euros), que représente cette économie annuelle de 8 millions d'euros quand, en plus, on sait qu'elle va entraîner la suppression de 600 emplois ?
France terre d'asile est bien évidemment attachée à une bonne gestion des deniers publics. Cela fait des années que l'association plaide pour une répartition des crédits plus adaptée aux réalités locales. En tout état de cause, la convergence tarifaire devra prendre en compte cet élément et ne peut pas se confondre avec un nivellement par le bas ni avec l'injonction : « faire mieux avec toujours moins » !
Mais comment les pouvoirs publics ont-ils imaginé qu'il était possible de passer à un prix de journée moyen égal à 25,13 euros en 2011, puis à 24,12 euros en 2012 et à encore moins en 2013 ? La réponse est simple, et avant même que les textes parus cet été ne l'y autorisent, le ministère, dans une lettre adressée aux préfets en date du 21 avril 2011, a demandé que le taux d'accompagnement des demandeurs d'asile soit modifié, en le faisant passer d'un équivalent temps plein (ETP) pour 10 personnes à un ETP pour 15 ; mais aussi aux gestionnaires de diminuer le niveau de qualification des accompagnants. C'est le seul moyen trouvé pour que les établissements puissent équilibrer leurs budgets en 2011. Mais pour 2012 et 2013 la question n'est… pas réglée.
Des réserves ponctionnées
Par ailleurs, la réduction des crédits de 4 % en 2011 avait été annoncée comme étant une moyenne. Si effectivement elle n'est pas la même dans toutes les régions, il est actuellement impossible d'en connaître et d'en comprendre les raisons. Il est clair, en revanche, que ces différences ne prennent pas en compte le coût de l'immobilier par exemple. Dans le cas d'un établissement situé dans les Hauts-de-Seine (un département où ce coût arrive juste derrière celui de Paris), la baisse de crédits est pourtant supérieure à celle de certaines régions de province. Qui plus est, cette baisse de la dotation globale de financement est en réalité beaucoup plus importante puisque des consignes ont été données aux services déconcentrés pour que les réserves de compensation, quand elles existent, soient ponctionnées ! Ces réserves, fruit des excédents réalisés par les établissements, ont, par définition, vocation à venir compenser d'éventuels déficits créés par des situations exceptionnelles et imprévisibles ; et non pas à être intégrées à la dotation globale de financement, consacrant ipso facto un budget prévisionnel déficitaire ! Il s'agit là, de fait, d'une sanction à l'encontre des… bons gestionnaires. Il n'est pas difficile d'imaginer les conséquences pour les années à venir de cette façon de faire.
Manque de concertation
Les Cada étaient-ils alors financièrement surdotés ? La réponse est là aussi clairement négative.
Pour exemple, les résultats de l'étude de coûts (4) du dispositif « accueil hébergement insertion » (AHI), composé majoritairement de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) [ce qu'étaient les Cada jusqu'en 2006], donnent un prix de journée médian égal à 45 euros, alors que le prix de journée national de référence des Cada est fixé à… 25,13 euros. Comment imaginer, dans ces conditions, que les structures, avec des missions qui demandent un investissement en temps tout à fait comparable à celui nécessaire en CHRS, vont pouvoir continuer à répondre aux missions qui sont les leurs ?
Il apparaît assez clairement qu'un manque de concertation croissant est à l'origine de ce qui s'apparente à une casse progressive de l'action sociale en faveur des demandeurs d'asile. Cette concertation éviterait, sans aucun doute, à un certain nombre d'idées toutes faites de circuler çà et là dans les hautes sphères. En effet, sur quels fondements reposent des formules « attention aux appels d'air », qui signifie « si nous faisons trop bien les choses, nous allons être envahis », ou encore « si les gens sont trop bien intégrés, ils ne voudront plus repartir » ? En réalité sur rien, si ce n'est au nom d'un soit-disant bon sens, cette notion si bien partagée disait Descartes, que personne n'ose remettre en cause en demandant simplement les résultats d'une évaluation de ces affirmations !
« N'apprenons pas le français aux demandeurs d'asile car ils n'ont pas vocation à rester en France. » Tant pis pour le retard pris en termes d'insertion par les quelque 60 à 70 % de ceux qui, en Cada, vont obtenir leur statut de réfugiés et donc rester en France ; tant pis pour le rayonnement de la France pour lequel on dépense beaucoup par ailleurs ; tant pis pour les difficultés que vont rencontrer des parents, pendant en moyenne plus de deux ans, en face d'enfants scolarisés qui eux maîtrisent la langue en quelques mois.
« Les Cada n'ont pas vocation à faire de l'insertion. » Cela signifie-t-il qu'il suffit de sortir les réfugiés dans les délais impartis ? Ce ne serait guère sérieux et, au final, beaucoup plus coûteux. Ce n'est évidemment pas la pratique des structures qui s'emploient, autant que faire se peut, et avec les faibles moyens dont ils disposent, dans des contextes souvent difficiles en particulier en région parisienne, à ce que les réfugiés réussissent leur intégration au sein de la société française. Pour le coup, de nombreuses études existent pour montrer cette réussite. Enfin, quand l'occasion nous a été donnée d'entendre que nous ne devrions surtout pas nous « inquiéter » des conséquences des traumatismes subis par de nombreux demandeurs d'asile au motif qu'ils sont forcément « résilients » puisqu'ils ont réussi à quitter leurs pays, nous devons avouer en être restés stupéfaits. Nul doute que tout un chacun gagnerait à relire attentivement les ouvrages de Boris Cyrulnik consacrés à ce sujet.
Les idées ne manquent pas
Pour avoir été destinataire, avant l'été, du questionnaire élaboré par un cabinet privé, commandité le ministère de l'Intérieur, qui doit servir à déterminer un référentiel coûts/prestations, il est assez évident que le travail réel réalisé en Cada n'est pas pris en compte et que cette collecte d'informations va juste servir à justifier ces différentes baisses. La concertation annoncée avec quelques associations gestionnaires n'a visiblement pas débouché. Était-elle fictive ?
Ce ne sont pourtant pas les idées qui manquent pour améliorer l'accueil des demandeurs d'asile conformément à la directive européenne de 2003. Un seul exemple : la diminution de la durée de la procédure de demande d'asile, qui résulterait de la prise en compte par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de la jurisprudence de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), permettrait d'abaisser la durée de prise en charge en Cada de manière significative. Par là-même, un plus grand nombre de demandeurs, aujourd'hui à la rue ou hébergés dans le dispositif d'urgence, pourraient être accueillis avec le même nombre de places. Cela, par ailleurs, n'enlève rien au fait que celui-ci est très insuffisant au regard des besoins (5).
Le 24 octobre prochain, à l'initiative de différentes associations (Aftam, Croix-Rouge française, Fnars, Forum réfugiés et France terre d'asile), se dérouleront les Assises de l'asile, à la Cité internationale universitaire de Paris. Pouvons-nous espérer que les pouvoirs publics seront à l'écoute des propositions qui ne manqueront pas d'y être faites ?
(1) Code de l'action sociale et des familles, article L312-1
(2) Décret n° 2011-861 du 20 juillet 2011 modifiant le décret n° 2007-1300 du 31 août 2007 relatif aux conventions conclues entre les centres d'accueil pour demandeurs d'asile et l'État et aux relations avec les usagers et circulaire n° NOR IOCL1114301C du 19 août 2011 relative aux missions des centres d'accueil pour demandeurs d'asile et aux modalités de pilotage du dispositif national d'accueil. Lire Direction(s) n° 88 p 13
(3) Il existe plusieurs taux cibles qui concernent le taux d'occupation, le taux de déboutés ou de réfugiés en présences indues à ne pas dépasser (un mois pour les déboutés, six mois pour les réfugiés) sous peine de sanctions financières.
(4) Lire dans ce numéro, p. 4
(5) Rapport d'information au Sénat n° 584 du 8 juin 2011
Philippe Lemaire
Carte d'identité
Nom. Philippe Lemaire
Fonction actuelle. Responsable départemental, France terre d'asile. Directeur du Cada des Hauts-de-Seine. Formateur en travail social. Membre du bureau du comité d'orientation stratégique de l'Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm)
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Publié dans le magazine Direction[s] N° 89 - novembre 2011