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Réforme de l'asile
Quels dispositifs d’accueil demain?

18/12/2013

Une réforme de l'asile est annoncée pour 2014. Mais la concertation lancée par le gouvernement avec les élus et le secteur associatif n'a pas encore permis de dégager de consensus sur les pistes d'évolution à privilégier. Les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) seront-ils les pivots du dispositif rénové ?

L’Europe n’attendra pas. Le nouveau régime d'asile européen adopté [1], la France doit ajuster sa procédure d’examen des demandes ainsi que ses modalités d’accueil d’ici à juillet 2015. Et aller plus loin ? Face à un système « à bout de souffle », Manuel Valls a annoncé une réforme de l’asile pour 2014. Elle fera l’objet d’un volet spécifique du projet de loi relatif à l’immigration, qui devait être présenté en décembre dernier. Outre la mise en œuvre des nouvelles règles communautaires, le ministre de l’Intérieur s’est fixé les objectifs suivants : « Renforcer l’efficacité des procédures, l'accès au système d’accueil et d’hébergement sur le territoire et l'insertion des bénéficiaires d'une protection internationale ». Pour les acteurs associatifs, ce serait l’opportunité de simplifier les démarches des demandeurs d’asile et de garantir leur égalité de traitement. Deux préoccupations rappelées en chœur, le 19 novembre dernier, par une vingtaine d'organisations du secteur.

Un dispositif d'hébergement saturé

Le diagnostic est amplement partagé depuis plusieurs années. Outre des phénomènes de concentration des demandeurs d’asile sur certains territoires, l’engorgement du dispositif d’hébergement est unanimement décrié. Au 31 décembre 2012, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) recensait encore 12 256 demandeurs en attente urgente d’une admission en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada). La durée d’examen est particulièrement longue : un peu plus de six mois en moyenne en 2012 auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et dix mois supplémentaires pour un jugement de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) [2]. « On atteint facilement deux ans si on ajoute les délais de domiciliation, d’enregistrement de la demande à l’Ofpra et, en cas de recours, d’accès à l’aide juridictionnelle », indique Gérard Sadik, responsable de la commission asile de l’association Cimade.

Dans un climat de suspicion à l'égard des demandeurs, c'est aussi l'augmentation de leur nombre (depuis 2008) qui est invoquée par les pouvoirs publics pour justifier la réforme. « En réalité, on en comptait autant en 2012 qu’au début des années 2000 ! », tempère Gérard Sadik. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) appelle également à la prudence et pointait encore récemment « la prolifération de discours sécuritaires "affolant" l’opinion publique [au risque] d’entraîner un repli identitaire, voire xénophobe qui ne pourra que porter préjudice à l’exercice du droit d’asile. » [3] De fait, la frontière entre la mise en œuvre de ce dernier et la gestion des flux migratoires est poreuse. « Près de 80 % des personnes sont déboutées de leur demande, dont une large part relève en réalité de motivations économiques et non de nécessité de protection », alertait le ministre de l’Intérieur le 15 juillet dernier, en guise d’introduction à la concertation lancée sur la réforme avec les acteurs de terrain, les élus et l’administration.

Un goût d'inachevé

Organisée autour de quatre groupes de travail thématiques – coanimés avec des organisations gestionnaires –, cette concertation a été pilotée par la sénatrice (UDI) Valérie Létard et le député (PS) Jean-Louis Touraine. « Elle s’est déroulée de manière globalement satisfaisante et la parole n’était pas bridée, salue Djamel Cheridi, responsable produit habitat social adapté de l’association Coallia. Mais les scénarios de l’État n’ont été présentés que très tardivement et nous n’avons disposé que d’une demi-journée pour en discuter. » D’où le sentiment, partagé par de nombreux acteurs associatifs, d’un débat inachevé. Pire, de conclusions courues d’avance. Et les recommandations, remises au gouvernement le 28 novembre par les deux parlementaires, sont loin d’avoir rassuré les troupes. « Ce rapport n’est pas le fruit de la concertation ! », s'insurge Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile. La proposition de maintenir les Cada comme « pivots » du système d’hébergement des demandeurs avait pourtant de quoi contenter les organisations gestionnaires. « Initialement, l’Ofii semblait promouvoir un modèle d’hébergement sec avec un accompagnement externalisé. Mais nous avons fait valoir l’importance d’une prise en charge de proximité par une équipe référente unique », se félicite Djamel Cheridi.

Également portée par le secteur, l’idée d’une loi de programmation de places de Cada n’est en revanche pas reprise. Le rapport est plutôt favorable au développement de places d’accueil temporaire du service asile (AT-SA, soit 2 178 places fin 2012), dispositif d’hébergement d’urgence dont la gestion a été confiée par l’État à la société d’économie mixte Adoma en 2000, présenté comme une alternative « crédible » aux nuitées hôtelières. Malgré un encadrement plus faible, « la création de nouvelles places peut être rapide, selon des règles plus souples [que] pour les Cada », justifient les parlementaires. « Cela revient à geler le système d’hébergement en Cada au profit du modèle AT-SA », s'alarme Pierre Henry. Même si l’idée de « sortir » les Cada du Code de l'action sociale et des familles (CASF), évoquée par les inspections générales des Affaires sociales (Igas), des Finances (IGF) et de l’Administration (IGA), [4] semble écartée, le risque de dérèglementation inquiète. « Nous militions au contraire pour l’intégration de l’ensemble des structures d’accueil dans le CASF qui, notamment grâce aux outils de la loi 2002-2, offre des garanties aux usagers et en matière de qualité et d’évaluation des prestations », confirme Djamel Cheridi.

Un système directif

Autre enjeu de la réforme ? Mieux équilibrer la répartition des demandeurs d’asile sur le territoire. Les rapporteurs plaident ainsi pour un « pilotage directif des personnes dès leur entrée dans le pays ». Le dispositif actuel de mise à disposition, au niveau national, de 30% des places de Cada vacantes en régions « ne fonctionne pas de façon satisfaisante », relèvent-ils à cet égard. D’autant que celles-ci ne sont pas légion. « Dans le schéma que nous privilégions, à l’État de définir des critères de péréquation entre les régions. Pour qu’ils ne soient pas mis devant le fait accompli, les élus doivent être associés à la décision du préfet », explique Valérie Létard, également vice-présidente de… l’Association des maires de France (AMF). Plusieurs organisations soutiennent le principe d’un tel mécanisme. « Il doit aussi valoir pour la programmation des places ; en la matière, le système doit être également directif vis-à-vis des élus locaux », insiste Florent Gueguen, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars). En revanche, pour le secteur, pas question de continuer à conditionner l’octroi de l’allocation temporaire d'attente (ATA) à une demande d’hébergement, comme préconisé par le rapport. « L’État considère l’ATA comme le bâton ou la carotte, mais cela a essentiellement pour conséquence de faire gonfler la demande, fustige Florent Gueguen. Il serait plus judicieux de laisser la possibilité à certaines personnes d’être logées chez un tiers, tout en percevant l’ATA. »

Changements à l'Ofpra

Enfin, la priorité est donnée à la réduction des délais d'examen. Ce afin de fluidifier le parcours des demandeurs d’asile et de se mettre en conformité avec la nouvelle directive européenne « Procédures », qui prévoit de limiter la durée de traitement des demandes à six mois en première instance (neuf mois dans certains cas). Depuis le début de l’année 2013, l’Ofpra a ainsi engagé une série de réformes internes destinées à améliorer son fonctionnement : mutualisations de services, recrutements d’agents, harmonisation des procédures… Des mesures d’autant plus urgentes que les nouvelles garanties exigées par l'Europe (présence d’un tiers à l’entretien, enregistrement de celui-ci ou possibilité pour le demandeur de faire des rectifications sur le compte-rendu…) pourraient avoir pour effet d’allonger les délais. Valérie Létard et Jean-Louis Touraine proposent notamment de supprimer la domiciliation comme préalable à toute démarche. Plus globalement, ils se disent favorables à la mise en œuvre d’un guichet unique d’accueil associant les préfectures, l’Ofii, ainsi que l’Ofpra au niveau territorial. Cette dernière verrait alors son organisation déconcentrée. « Cela permettrait une plus grande proximité avec les demandeurs d’asile et avec les autres acteurs, administratifs et associatifs, considère Pascal Brice, directeur général de l’Ofpra […]. Si elle était retenue, une présence pérenne devrait cependant être articulée avec les impératifs de l’indépendance de décision de l’Ofpra, en particulier. » Jean-François Ploquin, directeur général de l’association Forum réfugiés-Cosi est sceptique : « Une telle déconcentration nécessiterait des moyens conséquents. Quant à une agence de l’asile, difficile d’y être hostile, mais une telle évolution paraît tellement lointaine ! » Au vu du budget 2014, une réforme d'ampleur peut sembler être une gageure.

[1] Directives du Parlement européen et du Conseil n° 2013/32/UE (« Procédures ») et n° 2013/33/UE (« Accueil ») du 26 juin 2013 ; règlements n° 603/2013 (« Eurodac ») et n° 604/2013 (« Dublin III ») du 26 juin 2013 ; directive n° 2011/95/UE (« Qualification ») du 13 décembre 2011

(2) Données issues des rapports d’activité 2012 de l’Ofpra, de l’Ofii et de la CNDA.

(3) Avis sur le régime d’asile européen commun, avis de la CNCDH rendu public le 29 novembre 2013.

(4) « L’hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d’asile », rapport Igas-IGF-IGA, septembre 2013.

Aurélia Descamps

Repères

21,6 % des demandeurs d’asile ont obtenu une protection en 2012.

66 % des dépôts de demande d’asile sont concentrés dans cinq régions.

41 254 demandes de protection ont été déposées en 2012.

21 410 places de Cada sont ouvertes, 4000 supplémentaires doivent être créées d'ici à mi-2014.

98,2 %, c’est le taux d’occupation des Cada.

11,7 % des admissions en Cada sont administrées au niveau national.

Sources : Données 2012 de l'Ofpra et de l'Ofii

Point de vue

Philippe Lemaire, directeur du Cada des Hauts-de-Seine et responsable départemental de France Terre d’asile

« La question du coût des Cada occupe le devant de la scène depuis plusieurs années. Pourtant, la généralisation, par exemple, du dispositif AT-SA ne serait pas moins onéreuse [1], tout en  proposant un moindre accompagnement social. Ce dernier doit au contraire être conforté ; sans quoi les demandeurs d’asile se tourneront vers leur communauté pour obtenir le soutien dont ils ont besoin, avec le risque de repli que cela comporte. L’accompagnement social à l'œuvre en Cada doit être considéré comme un investissement. Or, nous devons faire face à la baisse consécutive de nos financements depuis plusieurs années. Quant au référentiel de coûts [élaboré en 2011 puis actualisé], il ne prend pas en compte la réalité du travail réalisé. L’idée d’une dégradation volontaire du dispositif national d’accueil qui consiste à dire qu’il ne faut pas de trop bonnes conditions d’accueil pour dissuader les demandeurs de venir en France, n’est-elle pas en train de gagner du terrain, dans le plus grand mépris des conventions internationales, de la tradition de la France et des valeurs de la République ? »

[1] Le prix de journée en Cada s’élève à environ 24 euros, contre environ 15 euros en AT-SA, auxquels il faut ajouter 11,20 euros au titre de l’ATA.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 116 - janvier 2014






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