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Contrats aidés
Dommages collatéraux

20/09/2017

Inquiets de la réduction annoncée du nombre de contrats aidés, les professionnels du secteur s’alarment de l’absence d’alternatives jugées crédibles pour l’insertion des plus éloignés de l’emploi. Comme pour la pérennité de leurs activités. Réclamant une concertation, ils avancent leurs propositions d’évolution du dispositif.

Emplois aidés chez Emmaüs Défi. © Christophe Boulze

« Oui, la question de l’efficacité des contrats aidés peut se poser. Mais avant tout, elle doit se ré-flé-chir ! » La formule, empruntée au président de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire – ESS (Udes), Hugues Vidor, résume le sentiment partagé dans le secteur, encore ébranlé par la décision unilatérale du gouvernement tombée dans la torpeur estivale : la réduction drastique du nombre de ces contrats, y compris ceux conclus dans le secteur non marchand. En jeu ? 150 000 emplois potentiellement non renouvelés dans l’ESS. Sonnés, les gestionnaires du champ, employeurs privilégiés des signataires d’emplois d’avenir et autres contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE), insistent sur leur utilité en matière de cohésion sociale comme d’insertion professionnelle. Et réclament une évaluation concertée avant toute décision.

Repenser le système

« Il faut sortir de l’hypocrisie collective. » C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a justifié le 5 septembre sa décision de réduire la voilure en matière de contrats aidés, jugés « inefficaces ». Et accessoirement « coûteux » pour l’État, à la recherche d’économies pour boucler son budget 2018. Après avoir atteint un volume de 459 000 fin 2016, leur nombre flirtera avec les « 310 000 à 320 000 » d’ici à la fin de l’année, et ne devrait pas dépasser les 200 000 l’an prochain, a même laissé entendre Matignon. Les crédits ainsi préservés devraient permettre le financement d’un plan quinquennal de formation (15 milliards d’euros) des chômeurs de longue durée et des jeunes sans qualification, promis pour cet automne.

Et pour expliquer ce changement de braquet, l’exécutif liste les maux du dispositif, accusé d’abord d’être mal ciblé et d’afficher de faibles taux de retour à l’emploi [1]. « Le sujet ne peut pas être considéré que sous l’angle du ratio économique, recadre Hugues Vidor. Ces contrats sont importants en termes aussi de remobilisation de publics qui ne pourraient trouver seuls le chemin de l’emploi dans les conditions classiques du marché du travail. Et auxquels on adresse aujourd’hui une fin de non-recevoir.» « Car en réalité, quelle est l’alternative pour eux ? Le RSA ?, renchérit Florent Guéguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité. Au-delà d’un non-sens social, cette décision est un non-sens économique, voulue par les mêmes qui fustigeaient hier ceux vivant de l’assistanat ! » 

Gueule de bois

Sur le terrain, c’est l’incompréhension. « La brutalité de l’annonce a porté un coup d’arrêt à de nombreux projets, déplore Jean Burneleau, président de la fédération Coorace. Personne ne prend plus le risque de recruter dans les structures de l’insertion par l’activité économique (IAE). » Là, mais aussi ailleurs. Car dans tous les champs du social et du médico-social, l’inquiétude règne au sujet de « ces salariés qui participent d’une politique de solidarité de proximité, sur des activités à forte utilité sociale », martèle la Fédération des acteurs de la solidarité. Exemple dans l’aide à domicile, où les services sont pris au dépourvu, relaient les fédérations patronales : « D’ici à la fin de l’année, ils pourraient être contraints à ne plus accomplir leur mission, laissant des milliers de personnes fragilisées sans accompagnement, ou à les faire payer plus en augmentant leur reste à charge. » Même désarroi dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), constate la fédération de directeurs Fnadepa à l’issue d’une enquête dans son réseau : « 92 % des répondants y ont recours, en majorité pour des postes logistiques (agents d’entretien, d’hôtellerie, de service…) et des emplois participant notamment à l’animation et au maintien du lien social. » Pour le Syncass-CFDT, cette fois, la coupe est pleine. « Réforme tarifaire, contraction des dotations, convergence des tarifs soins et dépendance… Et maintenant ça ?, s’exaspère Yvan Le Guen, permanent national. Comme les autres, les Ehpad ont pourtant été fortement incités par les pouvoirs publics à recruter ces profils. Tout cela relève de la maltraitance institutionnelle ! » 

Concurrence entre prioritaires ?

Les nouvelles orientations sont claires. Dorénavant, le robinet est fermé pour le secteur marchand [2]. Les moyens seront fléchés vers certains champs, où la priorité sera accordée au renouvellement des CAE, comme des emplois d’avenir. Parmi les rescapés ? Les communes rurales, les auxiliaires de vie scolaire (AVS) et les secteurs de « l’urgence en matière sanitaire et sociale ». Soit « les actions portées par le secteur associatif, telles que l’aide alimentaire, l’accompagnement social ou l’hébergement des enfants et des personnes dépendantes, sans abri ou atteintes d’un handicap ». Dans cette liste à la Prévert, chacun se cherche. « La fonction publique hospitalière en fait-elle partie ? », s’interroge la CFDT Santé sociaux. Tout comme l’IAE : « Je ne sais pas si le champ est épargné, mais sur le terrain les refus d’embauche ou de renouvellement de contrat se multiplient », témoigne Jean Burneleau. Et pour arbitrer entre toutes ces priorités, les préfets sont à la manœuvre. « Attend-on vraiment que, comme les maires, les directeurs aillent pinailler pour le maintien de deux ou trois emplois dans leur structure ? », s’agace Yvan Le Guen. « On s’achemine vers une politique à la carte sur les territoires, résume Florent Guéguen. Laisser cela à l’appréciation des préfectures engendrera une insupportable concurrence entre les gestionnaires. »

D’abord les bœufs, la charrue ensuite

« Le débat est réduit aujourd’hui à "pour ou contre les contrats aidés ?". Mais ce n’est pas le sujet !, balaie Stéphane Racz, directeur général de la fédération d'employeurs Nexem. Le seul qui vaille est de savoir s’il y a une réelle appréhension par les pouvoirs publics de la politique d’insertion et ce qu’on y met ! » Pour cela, une évaluation préalable aurait été nécessaire, acquiesce même le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves). Un message à l’adresse de son ancien président, Christophe Itier, nommé début septembre haut-commissaire à l’ESS ?

En attendant, la nécessité de faire évoluer le dispositif fait consensus, en y incluant notamment des obligations renforcées en matière de formation qualifiante. Quitte pour cela, après concertation, à envisager une réduction partielle des aides publiques, suggèrent même les employeurs de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass). « Car il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, prévient à son tour Prosper Teboul, directeur général de l’Association des paralysés de France (APF). Oui, une réforme est nécessaire, avec plus de formation, de tutorat et des objectifs de retour à l’emploi. Mais cela requiert d’abord de repréciser l’objectif du dispositif, qui doit être un levier d’accès pour les plus éloignés de l’emploi, avant de définir les éventuels secteurs concernés. » Assurément du grain à moudre pour la mission du président du Groupe SOS, Jean-Marc Borello, désigné pour repenser les dispositifs d’insertion. Reste que le cap a été fixé par le chef de l’État en personne : « La réforme doit être conduite jusqu’à son terme, avec détermination, mais sans brutalité en accompagnant notamment les associations les plus fragiles. » Elles apprécient déjà l’attention.

 

[1] Les contrats aidés : quels objectifs, quel bilan ?, Dares Analyses n° 21, mars 2017, sur http://dares.travail-emploi.gouv.fr

[2] À l’exception de ceux cofinancés par les départements.

Gladys Lepasteur

Repères 

  • « Le secteur public de la santé compte 25 000 contrats aidés, dont la moitié dans les Ehpad », chiffre la FHF.
  • 7 % : c’est le pourcentage d’emplois aidés dans l’ESS, où 80 000 emplois d’avenir ont été créés, assure l’Udes.
  • 473 000 salariés étaient en contrat aidé fin mars 2017, dont 227 000 en CUI-CAE (Dares Indicateurs n° 39, juin 2017)

Fin de la précarité des AVS ?

Non, les élèves handicapés ne feront pas les frais de la baisse du nombre de contrais aidés, a rassuré Sophie Cluzel à la veille de la rentrée. Outre les 30 000 accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), la sanctuarisation de 50 000 auxiliaires de vie scolaire (AVS) en contrats aidés était annoncée. Au-delà, la transformation de ces derniers en emplois publics de l’Éducation nationale, déjà amorcée sous la précédente mandature, « va se poursuivre et s’amplifier», fait savoir le cabinet de la secrétaire d’État. À ces fins, une réflexion interministérielle portera notamment sur leur statut, leurs conditions de recrutement et d’exercice ou encore sur la continuité de l’accompagnement et des parcours vers l’alternance, la formation et l’emploi. Un sujet également promis à l’ordre du jour du Comité interministériel du handicap (CIH), qui était prévu le 20 septembre. 

Publié dans le magazine Direction[s] N° 157 - octobre 2017






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