Daniel Goldberg, président de l’Uriopss Ile-de-France © Agence 914
En quoi la protection de l’enfance s’en trouve-t-elle fragilisée ?
Daniel Goldberg. Avec la forte embolisation de leurs services d’aide sociale à l’enfance (ASE), des départements n'ont plus la capacité de répondre à leurs missions légales. En leur ouvrant la possibilité de transmettre aux préfectures de quoi alimenter le nouveau « fichier d’appui à l’évaluation de la minorité », consultable notamment par les agents de l’immigration, ce décret entretient une dangereuse confusion entre protection de l’enfance et contrôle de l’immigration. Le jeune considéré comme majeur étant menacé de reconduite à la frontière. On ne peut accepter que, pour régler le problème du nombre croissant des MNA, la procédure d’évaluation soit dévoyée et l’intérêt supérieur de l’enfant mis en péril. Sans compter le risque pour les travailleurs sociaux « réfractaires » officiant dans des départements favorables à l’application du texte : le délit de solidarité existe aussi pour eux, dont les pratiques pourraient être mises en cause.
De nombreux acteurs, conseils départementaux en tête, réclamaient pourtant un tel retour de l’État ?
D.G. C’est vrai, mais ce décret ne contribuera pas à des évaluations plus sereines. Or, l’enjeu est de s’assurer que le droit à la protection de l’enfance prévaut. Pour cela, trois balises doivent guider l’action publique : un mineur isolé est avant tout un enfant, le doute doit toujours lui bénéficier et son consentement éclairé est indispensable – en particulier sur la façon dont ses données sont collectées et sur leur utilisation. Aucun jeune ne doit être rejeté au terme d’une procédure méconnaissant ses droits fondamentaux.
Le recours restera tout de même possible ?
D.G. Il sera considérablement amoindri. Or, la moitié des décisions départementales de rejet a été invalidée par la justice ! Au-delà, maintenant que Paris et la Seine-Saint-Denis, qui accueillent la majorité des MNA de la région, ont annoncé qu’ils refusaient de participer au dispositif, celui-ci créera plus de problèmes qu’il n’en règle : leurs services et les tribunaux de leur juridiction seront davantage sollicités si leurs voisins, eux, appliquent le décret. Tout cela aggravera encore les disparités territoriales.
Décret n° 2019-57 du 30 janvier 2019
Propos recueillis par Gladys Lepasteur
Publié dans le magazine Direction[s] N° 173 - mars 2019