Pourquoi douter de la finalité d’une telle mesure ?
Guillaume Chéruy. L’État prétend que cet échange de données (comprenant les noms, prénoms et adresses) lui permettra d’améliorer la fluidité des parcours. Or, l’Ofii dispose déjà de ces informations. En outre, si on ne peut qu’adhérer à l’ambition, aucune fluidité n’est possible en l’état actuel du dispositif national d’asile (DNA) : faute de solutions suffisantes, 75 000 personnes se retrouvent aujourd’hui en hébergement d’urgence ou à la rue. C’est pourquoi les associations de solidarité craignent un dévoiement des missions de l’hébergement d’urgence au profit de la politique migratoire de l’État. Lequel pourrait par ce biais disposer de l’adresse actualisée de personnes en situation administrative précaire, alors exposées à une fin de prise en charge et à des mesures coercitives (obligation de quitter le territoire, assignation à résidence…).
Cette instrumentalisation est-elle une première ?
G. C. Non. Les circulaires «Collomb » [1], voire la dernière instruction budgétaire du secteur Accueil, hébergement, insertion – AHI [2], participaient déjà de la même stratégie de contrôle et d’identification des étrangers sans abri. L’État semble oublier que dans ce champ, l’accueil est inconditionnel, quel que soit le statut administratif des personnes. Sans compter que le texte néglige aussi la législation sur la protection de données personnelles ! Enfin, des réunions mensuelles associant les travailleurs sociaux des SIAO aux services de la préfecture et de l’Ofii étant envisagées pour évoquer des situations individuelles, que dire du respect du secret professionnel, principe fondateur de l’action sociale ? Autant de raisons qui expliquent pourquoi, si l’État ne réagit pas à notre mobilisation, nous demanderons, avec les associations, l'annulation de cette circulaire devant le Conseil d’État.
Que conseiller aux gestionnaires de SIAO ?
G. C. De ne rien transmettre pour le moment. Ce même si la pression est forte, certains ayant, dès cet été, reçu des services déconcentrés des notices d’utilisation pour ce futur transfert de données. De nombreux SIAO en ont d’ailleurs bien saisi l’enjeu: les huit services franciliens notamment (qui représentent plus de la moitié du public de l’hébergement d’urgence) ont déjà signifié leur opposition au préfet.
[1] Lire Direction[s] n° 161, p. 18
[2] Lire Direction[s] n° 176, p. 10
Instruction interministérielle n° DGCS/SD1A/DGEF/2019/143 du 4 juillet 2019
Propos recueillis par Gladys Lepasteur
Publié dans le magazine Direction[s] N° 178 - septembre 2019