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Entretien
“ L’État doit réinvestir la protection de l’enfance ”

27/10/2020

Création d’une agence nationale en 2022, contractualisation avec les départements, négociations sur les assistants familiaux, travaux sur les conditions d’accompagnement et les taux d’encadrement… Un an après la présentation de la Stratégie de prévention et de protection de l’enfance, le secrétaire d’État Adrien Taquet fait le point sur sa mise en œuvre. Et entend tirer les leçons de la crise sanitaire.

Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles © Thomas Gogny

Situations explosives dans certains foyers ou dans les domiciles, fort absentéisme… Au début de la crise, des acteurs de l’enfance se sont sentis oubliés. Quels enseignements tirez-vous de la première vague de l’épidémie pour leur permettre  de faire face à la situation actuelle ?

Adrien Taquet. Tout d’abord, je salue l’engagement des professionnels, qui ont fait montre de beaucoup de souplesse, d’adaptation, d’inventivité et d’engagement surtout, pour que l’accompagnement des enfants se passe dans les meilleures conditions possibles.

Avant même le confinement, j’ai réuni les acteurs chaque semaine en visioconférence pour qu’ils me remontent leurs difficultés afin d’adapter les mesures aux réalités du terrain. Ce qui nous a permis de construire ensemble les protocoles sanitaires, dont l’utilité et la pertinence ont été saluées par tous. Je me suis battu pour que les enfants des personnels aient accès à l’école. Ce qui a été effectif une semaine après les soignants. Je me suis également fait le relais des inquiétudes des gestionnaires sur les délais de paiement auprès des départements. Nous avons donc accompagné le secteur dans cette période.

Au début du confinement, comme les professionnels, j’étais très soucieux à la perspective de situations « cocotte-minute » dans les foyers. Sans généraliser, car il y a eu des cas compliqués, moins d’incidents ont été constatés qu’en temps normal : moins de fugues et moins de violences, entre les enfants et avec les éducateurs.

Comment l’expliquez-vous ?

A. T. Les professionnels avancent trois explications, qui doivent interroger nos pratiques et alimenter l’après. La première, c’est qu’il y a eu un recentrage sur les enfants, les éducateurs étant moins occupés par la rédaction de rapports, les conduites chez le juge, la famille… Ensuite, il n’y avait pas d’école qui, pour certains, est synonyme d’angoisses, de stigmatisation voire d’échec. Enfin, selon d’autres, il n’y avait pas les parents, ce qui a pu représenter un facteur de sérénité.

Cela doit alimenter notamment les travaux pilotés par le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) sur la normalisation des conditions d’accompagnement des enfants et les taux d’encadrement dans le cadre de la Stratégie nationale 2020-2022. Ses conclusions sont attendues fin novembre. Avec, si cela est nécessaire, une traduction législative au premier trimestre, avec les dispositions sur la gouvernance.

Par ailleurs, j’organise un séminaire début novembre réunissant les têtes de réseaux et les départements pour tirer les leçons de la crise. Taux d’encadrement, usages du numérique, coordination sur le terrain… Il s’agit de capitaliser sur les bonnes pratiques et de les pérenniser.

Si les internats n’ont pas « explosé » pendant le confinement, les appels au 119 ont connu quant à eux une forte hausse…

A. T. Là aussi, grande prudence : il est toujours plus difficile de savoir ce qui se passe dans l’intimité des foyers. Si les appels au 119 ont augmenté significativement (+80 % certaines semaines), ce qui était effectivement très inquiétant, on a constaté dans le même temps une hausse des appels des voisins et des amis. Cela traduit aussi une vigilance collective accrue. Mais ce réflexe n’est pas encore acquis. D’où l’organisation des états généraux de lutte contre les violences faites aux enfances, le 17 novembre prochain. Cela sera l’heure d’un bilan du plan présenté l’année dernière et l’occasion de voir comment aller plus loin, notamment au regard des enseignements de la crise.

Pour les employeurs, les revalorisations salariales prévues par le Ségur de la santé pour certains secteurs font peser un risque de perte d’attractivité pour les métiers exerçant aussi dans le social. Comment y remédier ?

A. T. Nous avons sur un certain nombre de métiers des problèmes d’attractivité, qui ne sont pas uniquement liés à la rémunération, et qui se couplent à des pyramides démographiques défavorables. Je pense aux médecins de la protection maternelle et infantile (PMI) ou aux assistants familiaux. Nous commençons à y remédier en réinvestissant dans la PMI dans le cadre de la contractualisation avec les départements et du projet « 1000 premiers jours ». Nous avons également lancé des négociations collectives avec les assistants familiaux et leurs employeurs. 

Quatre chapitres sont ouverts, avec quatre rounds de discussions pour chacun : les conditions d’emploi (agrément, formation, passerelles vers d’autres professions…), le soutien professionnel (intégration au sein des équipes éducatives, coordination et relais avec d’autres assistants familiaux…), les conditions matérielles (rémunérations, indemnisations, avantages annexes) et les garanties d’exercice (congés, accueils relais, cumul emploi-retraite, rôle du conjoint…). L’objectif est d’aboutir en février prochain.

Où en est justement la contractualisation avec les 30 premiers départements, un des piliers de la Stratégie 2020-2022 ? Que retenez-vous de cette première vague ?

A. T. La logique est d’améliorer et de faire converger la qualité de la prise en charge au regard des besoins des enfants sur chaque territoire. Les 30 premiers départements, pour qui 80 millions d’euros sont délégués au titre de 2020, sont en train de voter leurs plans. Nous allons accélérer le mouvement en 2021, avec 40 nouveaux départements qui seront sélectionnés d’ici peu, ce qui portera le soutien de l’État à 200 millions d’euros l’année prochaine dans ce cadre.  

C’est enthousiasmant car c’est l’aboutissement d’un an de travail avec l’ensemble des acteurs et cela se matérialise avec des projets très concrets, par exemple de renforcement de la PMI ou des solutions pour les enfants handicapés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), avec la création d’équipes mobiles.

Quelle place dans ces plans pour les jeunes majeurs, dont l’avenir est menacé par les sorties « sèches », d’autant plus dans un contexte de crise économique grave ? Allez-vous interdire définitivement ces ruptures de parcours ?

A. T. Le gouvernement a interdit toute remise à la rue jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire. Par ailleurs, j’ai fait adopter 50 millions d’euros répartis dans tous les départements pour qu’ils financent les dispositifs nécessaires afin qu’aucun jeune majeur ne sorte jusqu’à la fin de l’année.

Mais je ne reviens pas sur ma conviction profonde. Notre responsabilité est de les accompagner vers l’autonomie. Ce que nous leur devons et ce qu’ils veulent, c’est le droit commun, c’est être des jeunes comme les autres. Je ne serai pas le ministre de l’« amendement Creton » dans la protection de l’enfance, qui engendrerait la saturation des foyers avec des gamins de 21 ans, faute de places ailleurs. Pour autant, leur problématique est réelle. Des dispositions de la proposition de loi Bourguignon sont intégrées via la contractualisation : accès prioritaire aux bourses, au logement étudiant, développement du parrainage, partenariats avec des foyers de jeunes travailleurs, avec Adoma et la banque des territoires pour l’accès au logement…

Rappelons aussi que via la Stratégie Pauvreté, des crédits ont été délégués aux collectivités pour le financement du maintien du lien avec les sortants. 12 millions d’euros par an sont engagés pour mettre fin aux sorties sèches de l’ASE (accompagnement professionnel, accompagnement dans le logement…). En ce qui concerne la problématique, je l’espère conjoncturelle, liée à la crise économique et sociale, le gouvernement investit afin qu’il n’y ait pas de « génération Covid » sacrifiée avec le plan Jeunes, notamment pour l’accompagnement vers l’emploi. Notre enjeu est que ces mesures de droit commun bénéficient bien aux jeunes de l’ASE. Avec la ministre Brigitte Klinkert, nous étudions les modalités idoines.

Défaut de mise à l’abri de mineurs non accompagnés (MNA) pendant le confinement, évaluation de l’âge décriée, disparités territoriales… Comment entendez-vous garantir l’effectivité des droits de ces enfants ? Et la continuité de leur parcours à leur majorité ?

A. T. Tout d’abord, je regrette la grande confusion sur ce sujet en ce moment, qui malheureusement imprime la perception collective. On a un vrai enjeu : ne pas rajouter de la confusion à de la confusion. Concernant le statut de ces jeunes, il s’agit d’enfants avant tout, et ils ont droit à la protection de notre pays. Empêcher un môme de 15 ans de prendre un radeau de fortune pour traverser la Méditerranée, ce n’est pas une question migratoire, c’est de la protection de l’enfance. Cela nécessite de travailler avec les pays d’origine pour l’empêcher, sur la question de l’état civil, du développement économique, éducatif…

Quant à l’évaluation de la minorité, c’est un sujet très complexe car rien ne permet d’avoir des certitudes. Nous avons élaboré un guide pour harmoniser les conditions d’évaluation sur le territoire et aider les professionnels. Je sais que le fichier Appui à l'évaluation de minorité (AEM) n’est pas consensuel auprès des associations et de certains départements, mais c’est un premier outil.

Enfin, sur l’accompagnement vers l’autonomie des MNA, une circulaire récente demande aux préfets de conventionner avec les départements pour évaluer leur situation dès 17 ans afin de préparer l’après et d’éviter les ruptures de droit et faire baisser la pression sur ces jeunes.

Plus un seul rapport qui ne souligne l’urgence de refonder la gouvernance nationale de la protection de l’enfance, priorité de votre Stratégie. Concrètement, quel scénario allez-vous suivre pour assurer un pilotage plus efficient de cette politique aux mains des conseils départementaux ? 

A. T. Si les défaillances en matière de protection de l’enfance sont certainement dues à certains endroits aux départements, c’est aussi le fait d’un désengagement de l’État. Il doit donc se réinvestir dans cette politique, car le droit à l’éducation, à la santé, à la protection, à l’équité de traitement, ce sont bien des compétences régaliennes. La protection de l’enfance est donc une politique partagée et la réforme de la gouvernance doit traduire cette ambition, dans l’objectif de renforcer son pilotage. Nous allons réunir le CNPE, le groupement d’intérêt public Enfance en danger (Giped), l’Agence française de l'adoption (AFA) et le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop) au sein d’une agence de la prévention et de la protection de l’enfance, au statut de GIP, qui devrait être opérationnelle au 1er janvier 2022. Il s’agit de mettre en commun leurs compétences, expériences et expertises, voire de les enrichir, pour que chacun ressorte plus fort. Il y aura des moyens supplémentaires pour qu’il n’y ait pas l’ambigüité sur le sens de cette réforme, qui est une réforme de sens, non de rationalisation budgétaire. Cette nouvelle instance de pilotage doit permettre à tous les acteurs de contribuer à cette politique, à son animation et de créer du référentiel et de la norme pour homogénéiser les pratiques sur tout le territoire, en partant des besoins de l’enfant. La gouvernance territoriale est en discussion avec l’Assemblée des départements de France (ADF), pour développer le lien entre le national et le local. Enfin, nous visons aussi une amélioration de la connaissance des réalités du terrain via les études statistiques pour nourrir le pilotage de cette politique publique partagée.

En matière de contrôle des structures, l’État annonçait en début d’année vouloir reprendre la main si besoin. Où en êtes-vous ?   

A. T. C’est un sujet dont certains départements s’emparent dans le cadre de la contractualisation, comme dans l'Allier, où un référent contrôle sera créé. Par ailleurs, je suis très favorable à la généralisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) entre départements et gestionnaires. Le contrôle ne peut plus se contenter d’être administratif et comptable. Ce qui est en jeu, c’est la qualité de service.

La protection et la sécurité des personnes sont de la responsabilité de chacun, y compris de l’État, les préfets en l’occurrence. En février, suite à un drame dans les Hauts-de-Seine, je leur ai demandé de se rapprocher des départements pour accéder à leurs plans de contrôle – désormais annuels - et de réaliser un état précis de l’effectivité des procédures de remontées d’informations en cas d’incident. Ce travail est presque finalisé et nous en restituerons une synthèse. Si des départements s’avèrent défaillants, je le réaffirme, nous prendrons nos responsabilités.

Propos recueillis par Noémie Gilliotte - Photos : Thomas Gogny

Carte d’identité

Nom. Adrien Taquet.

Formation. Diplômé de Sciences Po, DEA/Master 2 en sociologie politique, Master program in Public policy, université de Georgetown (États-Unis).

Parcours. Cofondateur de l’agence de publicité Jésus et Gabriel, député LREM des Hauts-de-Seine, membre de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale (2017-2019) et du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).

Fonction actuelle. Secrétaire d’État auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargé de l’Enfance et des Familles.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 191 - novembre 2020






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