Comment jugez-vous l’adoption le 11 décembre du projet de loi de ratification par une petite poignée de députés [1] ?
Sophie Diehl. C’est ce que l’on craignait : une telle réforme mise en œuvre par ordonnance ne laisse en réalité que peu de place au débat. La plupart des rares amendements adoptés n’étaient en réalité que rédactionnels. Dans une actualité parlementaire chargée, les députés ont privilégié les textes sur lesquels ils pouvaient peser, en lieu et place d’un simple texte de ratification. Pourtant, n’oublions pas que la réforme de l’ordonnance de 1945 est nécessaire. Le Code de justice pénale pour mineurs (CJPM) réussit son pari en clarifiant les procédures et simplifiant les mesures éducatives. Un bémol toutefois : les Codes pénal et de procédure pénale restent malheureusement encore la norme, y compris pour les mineurs. Une séparation stricte devrait être établie.
Quel est désormais l’enjeu prioritaire ?
S. D. La césure pénale assurément ! Elle promettait d’être une excellente procédure permettant de considérer les victimes, de déclarer rapidement la culpabilité et d’ouvrir une vraie période éducative. Or, le texte prévoit aujourd’hui de l’appliquer aux primo délinquants et de réserver une audience unique aux réitérants et récidivistes, ceux-là mêmes pour lesquelles la césure était prévue dans le projet de Nicole Belloubet ! Ce sont eux qui constituent pourtant le cœur du problème : 7 % des mineurs mis en cause commettent à eux seuls 36 % des délits. On passe à côté de tout l’intérêt de la césure qui doit devenir la norme, non l’exception. Par ailleurs, la notion du discernement établie par défaut à 13 ans doit impliquer l’instauration de réponses administratives spécifiques en infra judiciaire. Or, le texte est muet sur ce point.
La mesure éducative judiciaire unique constitue toutefois une avancée ?
S. D. Absolument. Elle permet un accompagnement dans la durée en pré et post-sentencielle, via une mesure adaptée et adaptable à chaque situation. Sous réserve, encore une fois, de disposer d’une césure pénale de qualité, pouvant donner lieu à une déclaration de réussite éducative par le juge ! Tout est lié. Autre bonne nouvelle : l’annonce par le Premier ministre l’été dernier dans le cadre de la justice de proximité d’un budget destiné à financer les alternatives aux poursuites qui, il est vrai, n’ont pas été réfléchies dans le cadre du CJPM. Cela pourrait constituer une véritable première réponse pénale qualitative pour peu que les magistrats et la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) s’en saisissent, en s’appuyant sur les associations.
[1] Le texte est arrivé au Senat le 14 décembre.
Propos recueillis par Gladys Lepasteur
Publié dans le magazine Direction[s] N° 193 - janvier 2021