La facture de 2020 est salée pour les établissements et services d'aide par le travail (Esat). « Même si la très grande majorité a repris une activité, la perte de chiffre d’affaires s’établit autour de 30 % », comptabilise Jérôme Voiturier, délégué général de l’Union nationale interfédérale Uniopss, qui a mené une enquête en novembre avec cinq autres organisations du secteur [1]. Parmi les difficultés rencontrées par les structures ? Le manque de débouchés ou de contrats à réaliser (56 %), la gestion des questions sanitaires (41 %) ou encore le renouvellement des investissements et le développement d'activités (35 %). « L’impact du premier confinement a été catastrophique. On a estimé à tort que les personnes handicapées étaient plus fragiles. Pour maintenir une activité, des Esat ont dû mobiliser les moniteurs d’atelier, des salariés d’autres établissements…, illustre Didier Rambeaux, président de l’Association nationale des directeurs et cadres d'Esat (Andicat). En outre, depuis septembre dernier, ils font face aux mêmes difficultés que les autres entreprises : absentéisme, temps supplémentaires nécessaires à la désinfection, équipement… »
Des structures dans le rouge
Une enquête à prendre néanmoins avec prudence selon le directeur général de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh). « Elle a donné une image intéressante, mais à un instant T, avant que les comptes ne soient clos, et ne montre pas la diversité des réalités des établissements, développe ainsi Jean-Louis Leduc. Certains secteurs tirent leur épingle du jeu comme la blanchisserie ou la cuisine. À l’autre bout, des Esat ont dû mettre la clé sous la porte pendant plusieurs mois, comme dans la restauration, le tourisme, l’aéronautique ou encore l’industrie automobile. »
Une forte disparité illustrée par une autre enquête menée par l'Union nationale des associations Unapei auprès de son réseau. « De nombreux clients ayant choisi de réinternaliser des activités sous-traitées, ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont développé des activités propres (espaces verts, production alimentaire). Les autres doivent alors reprendre leur bâton de pèlerin pour trouver de nouveaux contrats dans un contexte économique compliqué », illustre Patrick Maincent, son vice-président. Sans compter le développement des troubles et impacts sur la santé mentale des travailleurs. « Ils présentent majoritairement des déficiences intellectuelles ou des troubles psychiques. La période pèse très lourd sur leur état de stress et il faut renforcer leur accompagnement. »
Pas de fonds d’urgence…
Crédits non reconductibles pour faire face aux surcoûts, maintien des dotations de fonctionnement versées par les agences régionales de santé (ARS), mais aussi compensation de la partie salaire versée par l’établissement pour un coût de 160 millions d’euros de mars à octobre, rappelle la secrétaire d'État en charge des Personnes handicapées… Face à la situation, les pouvoirs publics ont jusqu’ici été à la hauteur, jugent les acteurs, qui demandent d’une même voix de monter d’un cran en créant un fonds d’urgence pour les structures encore dans le rouge. « Comme sur le modèle de ce qui a été fait pour compenser à temps la perte financière des entreprises adaptées (EA), effectué par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) », détaille Jean-Louis Leduc.
En réponse aux alertes, Sophie Cluzel a ouvert des discussions mi-janvier portant sur l’accompagnement des Esat et la transformation de l’offre médico-sociale avec des organismes gestionnaires, associations, ARS ou encore des personnes en situation de handicap. Et s’il n’y aura pas de mesures financières nationales, le secrétariat d'Etat se dit prêt « à ce que l’on regarde chaque situation, objectivée par des éléments budgétaires ». Une prochaine notice a été promise aux gestionnaires.
… mais des évolutions structurelles
En revanche, la revendication d’une aide à l’investissement afin de permettre un repositionnement de l’offre commerciale sur des marchés porteurs (fabrication de masques, circuits courts en matière de production maraîchère, recyclerie…) reste sur la table. Surtout qu’elle rentre dans les clous des objectifs du plan de relance. « Les Esat en difficulté sont ceux qui étaient déjà fragiles avant la crise. Se lancer dans de nouvelles activités demande du temps avant d’arriver à l’équilibre », relève le directeur général de l’Apajh.
Ces groupes de travail qui s’ouvrent sont aussi l’occasion de concrétiser la concertation promise en 2019 après le rapport des inspections générales [2] sur le modèle des Esat. Ce, dans le cadre de la Stratégie « Osons l’emploi » et dans le sillage de la réforme de l’obligation d’emploi (OETH), rappelle le secrétariat d’État. Objectif fixé : aboutir à des propositions « concrètes et opérationnelles » sur l’offre de services, la sécurisation des parcours, le renforcement des droits des travailleurs handicapés ou encore l’accompagnement des professionnels pour s’adapter au public en évolution. Un groupe de réflexion se penchera notamment sur le modèle économique (contractualisation, amélioration du taux d’occupation, montant des mises à disposition).
Construire un véritable droit au retour
Sans nul doute, le passage vers le milieu ordinaire sera au cœur des discussions. Oui, à l’inclusion, mais pas à n’importe quel prix, préviennent déjà les organisations. « Nous avions été soulagés au rendu de la copie des inspections générales. La mission médico-sociale des Esat y est réaffirmée. Leur rôle est même qualifié de bouclier social, rappelle Didier Rambeaux. Si 0,5 % des travailleurs handicapés passe annuellement en milieu ordinaire, le rapport propose un palier à atteindre de 5 % par an. On voit bien que lever quelques freins, ce serait déjà une belle performance. »
Comment ? « Les Esat peuvent être plus offensifs en matière de passerelles vers le milieu ordinaire. On peut envisager aussi plus de perméabilité avec les dispositifs de l’emploi accompagné », souligne Jean-Louis Leduc. Dans le viseur aussi, les partenariats avec les entreprises adaptées (EA) qui peinent à recruter en CDD Tremplin. « Notre seule exigence est que ce soit pour les travailleurs qui le souhaitent. Le premier impératif est donc de construire les conditions concrètes du droit au retour », pointe Patrick Maincent. Un droit qui relève pour l’instant d’une garantie formelle, faute de conventions d’appui signées ou de places garanties en Esat, selon les inspections. Celles-ci préconisent l’expérimentation du modèle allemand conduisant à explorer, en préalable à une décision d’orientation, toutes les possibilités d’accès au milieu ordinaire. Ou encore l’assouplissement du contingentement de l’aide aux postes, l’annualisation du taux d’occupation des places, l’autorisation des remplacements temporaires, plus de transparence sur le budget, voire une remise à plat de la tarification afin de mieux corréler les financements et l’intensité de l’accompagnement. Réponse des groupes de travail attendus à l'été.
[1] Enquête flash menée en novembre à l’initiative d’APF France handicap et de l’Uniopss, avec le Gepso, le Gesat, Andicat et l’Adapt, à laquelle 31 % des Esat ont répondu.
[2] Rapport des inspections générales des Finances (IGF) et des Affaires sociales (IGAS), octobre 2019
Laura Taillandier
« Vers 100 % d’entrées en milieu ordinaire »
Jean-Marc Collombier, directeur général de l’association Messidor
« Nous avons sept Esat dont le projet vise 100 % d’entrées en milieu ordinaire de notre public en situation de handicap psychique. Leur parcours se déroule en trois phases dont la première, dite d’intégration (six mois à un an), est ponctuée de stages de 15 jours en établissement avec des activités et secteurs différents. Objectif : évaluer si le travailleur doit bénéficier d’un temps d’adaptation ou peut intégrer une unité de production. Vient ensuite la phase de construction du projet professionnel avec des entretiens – a minima tous les trois mois avec le coordonnateur de parcours et le responsable de production – et des stages en entreprise et des mises à disposition de diverses durées. Durant la dernière phase, dite d’insertion, on travaille le CV et la recherche d’emploi. L’accompagnement par le coordonnateur se poursuit durant deux ans après l’entrée en entreprise, qui concerne 10 % des travailleurs chaque année pour un parcours moyen de trois à quatre ans. Notre association déploie aussi sur les mêmes territoires des entreprises adaptées (EA) et de l’emploi accompagné. Notre souhait ? Plus de souplesse pour que les travailleurs puissent évoluer d’un dispositif à un autre plus facilement. »
Repères
1 420 C’est le nombre d’Esat selon l’enquête ES « handicap ». Soit 119 400 places et 122 600 personnes accompagnées, dont une partie à temps partiel.
30 600 salariés y sont employés, majoritairement des moniteurs éducateurs.
200 activités y sont développées, dont une majorité dans l’entretien d’espaces verts, la restauration, le nettoyage, le conditionnement, les activités bois, la blanchisserie ou encore le maraîchage.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 194 - février 2021