Passer en 2021 à côté d’une solide réforme du statut des assistants familiaux (AssFam) reviendrait-il à condamner la protection de l’enfance, comme le clament les représentants de la profession ? Cela semble en tout cas être l’avis du secrétariat d’État qui, dans la foulée des concertations préalables à sa Stratégie nationale, a réuni jusqu’en février dernier organisations professionnelles et employeurs publics et associatifs pour des négociations. Leur feuille de route, conduite par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) : avancer des propositions « en recherchant le consensus au maximum » pour moderniser le statut et améliorer les pratiques professionnelles, tout en conciliant intérêt de l’enfant et droits dus aux assistants familiaux.
Car l’urgence est là : ces dernières années, les services de placement familial font face à une inquiétante pyramide des âges, annonçant une vague prochaine de départs à la retraite. Et peinent à trouver des candidats pour assumer cette mission exigeante, à la rémunération précaire. Sans compter « les difficultés persistantes posées par la complexité, et parfois le flou, des dispositions relatives à la rémunération, aux congés, aux licenciements ou aux fins d’exercice », pointait dès 2013 l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) [1]. Or, les besoins ne faiblissent pas : la moitié des enfants placés le sont en famille d’accueil. Il faut donc rapidement renforcer l’attractivité de cette pièce maîtresse du dispositif de protection de l’enfance.
Un statut « ni-ni »
Fini l’image d’Épinal des nourrices, chargées d’élever comme les leurs les « enfants de la Ddass ». En 2005, la loi a professionnalisé la fonction d’assistant familial, en la dotant d’une formation sanctionnée par un diplôme d’État [2]. Sauf que leur statut, régi par le Code de l’action sociale et des familles (CASF), reste complexe. « Voilà des professionnels liés par un contrat de travail à un employeur public ou privé, et pour lesquels on déroge au Code du travail, comme au statut général de la fonction publique en ce qui concerne les rémunérations, le temps de travail, les jours fériés…, résume Benjamin Vitel, secrétaire fédéral de la CFDT Santé sociaux. C’est une relation salariée, mais sans les droits qui vont avec. » « C’est un statut du ni-ni, confirme Bruno Roy, secrétaire général de la Confédération associative syndicale Casamaaf. Résultat, dans la fonction publique où ils sont très majoritairement recrutés, ils sont assimilés à des contractuels dits non permanents, au même titre que les CDD et les stagiaires, alors qu’ils exercent leur mission à titre permanent ! Leur contrat étant le seul document cadrant les relations de travail, les employeurs ont toute latitude pour y mettre ce qu’ils veulent… » Y compris en termes de rémunération, variable selon les territoires. Et source de difficultés, même dans le secteur associatif. « La disparité entre les politiques départementales, et donc entre les financeurs plus ou moins volontaristes, complique la donne pour les gestionnaires, abonde Dorothée Bedok, directrice générale adjointe de l’organisation patronale Nexem. Des traitements divers peuvent exister entre les établissements d’une même association s’ils relèvent de territoires voisins. »
Sur la fiche de paie des assistants familiaux, la précarité est palpable, le départ d’un enfant amputant aussitôt une partie de la rémunération. « Ils perçoivent des revenus “à la prestation” en fonction du nombre d’enfants accueillis, rappelle Évelyne Arnaud, chargée de mission au syndicat SAF Solidaires. Ce, alors même qu’on attend d’eux une permanence éducative, qui engage toute leur famille, avec des investissements importants pour atteindre les normes exigées pour leur logement. Et tout ça, pour 120 heures de Smic par mois ! Comment espérer attirer de nouvelles recrues dans ces conditions ? » Un minimum légal à revaloriser et à harmoniser d’urgence, préconisait en 2019 la députée MoDem Perrine Goulet dans un rapport parlementaire [3]. Une piste qui semble avoir été entendue. « L’idée d’une rémunération atteignant le Smic dès le premier enfant a fait consensus autour de la table, témoigne Martine Orlak, présidente de l’union fédérative nationale des associations de familles d’accueil Ufnafaam. Selon nous, ce montant devrait aussi être
dû pendant l’attente entre deux accueils. »
Besoin de souffler
Autre sujet sur la table ? La gestion des périodes de répit et des jours de congé. Car tous le savent, l’épuisement émotionnel de l’AssFam peut conduire à des fins de placement précoces, délétères pour la stabilité et la cohérence des parcours… « L’objectif est de structurer le répit pour qu’il devienne une réalité organisée et, au-delà, de réaffirmer le droit aux congés, indique le cabinet d’Adrien Taquet. C’est un subtil équilibre à trouver qui met clairement en tension l’intérêt de l’enfant et celui du salarié. » Pas le choix pourtant, a bien compris le conseil départemental de Loire-Atlantique, où une équipe spécifique de huit assistants familiaux répond au « besoin de souffler » de leurs collègues. « La souplesse du cadre légal, indispensable en protection de l’enfance, rend d’autant plus nécessaire ce répit, en particulier pour les accueils les plus exigeants, soutient Clément Sevrin, responsable de l’unité Parcours des enfants accompagnés à la direction Enfance Famille. C’est essentiel contre l’usure professionnelle des assistants familiaux qu’il nous faut soutenir, l’idée étant d’anticiper au mieux les ruptures ultérieures. » Reste qu’envisager de permettre aux familles d’accueil de lever le pied une fois par mois ne semble visiblement pas simple à organiser. « Personne ne peut y être opposé, mais le rendre systématique par principe reviendrait à évacuer la question de l’intérêt des enfants qui, ne l’oublions pas, ont tous une histoire traumatique de l’attachement, souligne Bénédicte Aubert, présidente de l’Association nationale des placements familiaux (ANPF). Le sujet du répit ne peut être transposable à l’accueil d’un enfant en protection de l’enfance. Ces professionnels exercent un métier à part, qui doit le rester. » Pas d’accord à la CFDT. « Ils ne peuvent être à disposition 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 au titre de l’intérêt de l’enfant, objecte Benjamin Vitel. Celui-ci étant d’abord confié à l’aide sociale à l’enfance (ASE), c’est à l’employeur d’organiser les relais nécessaires. »
Un travailleur social aussi
Mais c’est peut-être ailleurs que se joue l’avenir du métier. « La problématique des reven-dications salariales est certes importante, confirme Séverine Euillet, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’université Paris Nanterre. Mais elle n’est en réalité que l’antichambre du sujet essentiel : celui de la reconnaissance professionnelle. Si un assistant familial se sent illégitime, voire désavoué, cela aura nécessairement des conséquences sur la sécurité affective de l’enfant. » Une question que l’on aurait pourtant pu croire réglée en 16 ans, la loi les ayant reconnus comme travailleurs sociaux membres de droit de l’équipe éducative… Les AssFam, parties prenantes du projet pour l’enfant (PPE) ? Ou systématiquement associés aux réunions de synthèse ?… « Il faut avouer qu’il y a encore du travail pour faire admettre leur légitimité, consent Bénédicte Aubert. Comme si leur proximité quotidienne avec l’enfant venait entacher leur parole, alors que c’est justement le croisement des regards qui compte. » Du côté du secrétariat d’État, on prévient : « Même si le principe de leur intégration est déjà inscrit dans le CASF, on ne s’interdit pas de le renforcer par la loi pour relancer la dynamique. »
Un soutien nécessaire
Reste que ces professionnels se sentent souvent isolés, face à des enfants « de plus en plus abîmés ». « Nous devons pouvoir bénéficier d’un soutien spécifique de l’équipe, avec notamment un dispositif mobilisable en urgence en cas de crise, avec au bout du fil un éducateur ou un psychologue selon la nature du problème, martèle Bruno Roy. Le but étant de poursuivre l’accompagnement et d’éviter les ruptures. » Le conseil départemental du Nord en a bien compris l’enjeu. Depuis 2011, huit services d’accueil familial (responsables, personnels administratifs, psychologues, travailleurs sociaux…), répartis sur le territoire, sont dédiés à l’accompagnement professionnel et au management direct des 2 600 assistants familiaux. Pour les y aider, 56 AssFam ressources leur sont rattachés et perçoivent une gratification supplémentaire pour assurer écoute et soutien de leurs pairs, organiser des temps de réunion de proximité, participer au temps de recrutement… « Nous avons aussi organisé un soutien collectif à l’analyse de pratiques et des temps de réflexion avec des partenaires extérieurs, ajoute Aurélie Pruvost, responsable du pôle Accueil familial à la direction Enfance Famille. L’objectif est d’étoffer et de sécuriser les pratiques, pour avancer sur la voie d’une culture commune. » Autre piste avancée au sein du groupe de travail national pour y parvenir ? Faire évoluer la formation, pour y inclure des temps communs avec les autres travailleurs sociaux, couplés à de possibles temps d’immersion.
Le temps du politique
Début février, le politique a repris la main. « Pour les aspects réglementaires, nous préparons avec la DGCS un calendrier sur lequel nous engager, indique le secrétariat d’État. Nous travaillons aussi à la rédaction des mesures législatives. Elles seraient portées par une proposition de loi, examinée à l’Assemblée nationale d’ici juin. » Une manière d’éviter la traditionnelle paralysie précédant les grandes échéances électorales… D’autant que la question de l’impact financier des mesures, soigneusement évitée jusqu’ici, se pose déjà. « La consigne des débats était claire : imaginer tous les possibles sans se préoccuper du coût, rapporte Bénédicte Aubert. Le problème avec une telle méthode, c’est qu’elle peut ensuite générer des frustrations, voire de la colère. »
[1] Mission d’enquête sur le placement familial au titre de l’aide sociale à l’enfance, rapport Igas, mars 2013.
[2] Loi n° 2005-706 du 27 juin 2005
[3] Rapport de la mission d’information sur l’aide sociale à l’enfance, juillet 2019.
Gladys Lepasteur
« Des experts de la vie de l’enfant »
Séverine Euillet, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’université Paris Nanterre
« L’enjeu majeur est celui de la reconnaissance professionnelle de ceux qui doivent être reconnus comme des experts de la vie de l’enfant. Leur intégration au sein des équipes pluridisciplinaires, telle qu’elle est prévue par la législation, doit se traduire notamment par une présence aux réunions, celles où les décisions importantes sont prises. Le problème, c’est que l’application de la loi de 2005 s’est heurtée parfois à des résistances sur le terrain. Car si elle a propulsé les assistants familiaux comme travailleurs sociaux, elle a oublié au passage les autres professionnels indispensables que sont les référents de l’ASE. Modifier le périmètre des compétences des premiers a eu des conséquences sur celles des seconds. Toute réforme à venir devra desserrer la focale, en travaillant sur tous les acteurs de l’accueil familial pour servir l’intérêt de l’enfant. Faute de quoi, elle risquerait de n’être que du saupoudrage. »
Repères
- 28 100 euros annuels : c’est, en 2017, la dépense moyenne de placement par bénéficiaire en famille d’accueil (69 900 euros en établissement).
- 4 thèmes de négociation : conditions d’emploi, soutien professionnel, conditions matérielles et garanties d’exercice.
- Parmi les propositions ? En cas d’instruction judiciaire consécutive à une information préoccupante, maintien du salaire intégral durant la procédure au titre de la présomption d’innocence.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 196 - avril 2021