Les enjeux sociaux et médico-sociaux ont été peu abordés durant la campagne [1]. Comment l’expliquez-vous ?
Patrick Doutreligne. C’est assez compliqué à comprendre. Nous avons eu durant le précédent quinquennat trois crises majeures : celle des Gilets jaunes, l'épidémie de Covid-19, puis la guerre en Ukraine. Toutes appellent des réponses de solidarité. Or, mis à part le pouvoir d’achat – certes problématique forte avec la montée de l’inflation –, il n’y a pas eu de débat.
Concernant l'accès à la santé, nous avons traversé une épreuve qui a montré que nous étions au bord de la rupture. Le Ségur n’a fait que rattraper une accumulation de retards au niveau salarial, mais n’a pas modifié en profondeur l’organisation. Idem pour le coup de pouce aux travailleurs sociaux et médico-sociaux. Il manque une réflexion de fond, comme sur la société inclusive que l’on prône sans s’en donner réellement les moyens… On sait qu’on va dans le mur et on continue au même rythme ? Voire on accélère ?
Quelle doit être la priorité du nouveau quinquennat ?
P. D. Il y en a trois. Une grande loi Autonomie avec les moyens nécessaires pour la concrétiser, une réforme des politiques de solidarité et la transformation profonde du secteur hospitalier et du travail social et médico-social. Il manque une vision de société où chaque grande catégorie de population est examinée dans sa vie quotidienne et dans son avenir. Qu’est-ce qu’on fait pour les personnes âgées ? Est-ce que le secteur peut être laissé au lucratif ? Qu’est-ce qu’on propose à la jeunesse ? On a vu des étudiants faire la queue aux Restos du cœur pendant la crise ! Qu’est-ce qu’on fait pour les quartiers que l’on fustige sans rien proposer ?… Aussi, avant les législatives, il faut une grande conférence sociale et sociétale.
Le gouvernement précédent a consulté, mais n’a jamais réellement concerté. Les associations avaient une vision commune sur la loi Grand âge ou le revenu minimum pour les jeunes, mais n’ont pas été entendues. Sur l’accueil des réfugiés, c’est incroyable qu’il ait fallu la guerre en Ukraine pour que la question de la dignité de l’accueil soit abordée ! Il y a de l’espoir si on change la méthode.
Quel rôle pour le secteur associatif ?
P. D. Nos organisations sont vues comme des freins au changement, jugées « has been ». On parle de gains de productivité, de ruissellement… La non-lucrativité est presque devenue un gros mot ! C'est un problème idéologique. Le projet de société doit pourtant s’appuyer sur le trépied économie-écologie-social, sinon on va à la catastrophe. Il faut reconnaître aux associations des modalités de fonctionnement différentes de celles de la société économique. Par exemple, l'application de mécanismes de concurrence comme les appels d’offres a abouti à favoriser le moins-disant.
Nous devons aussi faire notre résilience : œuvrer au renouvellement et au rajeunissement de nos administrateurs, tout en donnant davantage de place aux usagers dans la gouvernance. C’est à nous d’être plus forts, de faire valoir cette démocratie participative, de prouver que le fait associatif reste d’actualité, mais surtout d’avenir. C’est l'enjeu de notre 34e congrès [2] dans une période politique charnière : faire des propositions concrètes en montrant les besoins, mais aussi les avantages. Face à ces défis, les associations doivent redevenir plus combatives. Elles ne sont d'ailleurs jamais aussi pertinentes que quand elles suivent cette voie.
[1] Ce numéro a été bouclé avant le second tour.
[2] Les 13 et 14 mai, à Rennes.
Propos recueillis par Laura Taillandier
Publié dans le magazine Direction[s] N° 208 - mai 2022