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Accueil des Ukrainiens
L’urgence absolue

20/04/2022

Depuis plus de deux mois, des dizaines de milliers d’Ukrainiens ont rejoint la France dans le plus grand dénuement. Mise à l’abri, ouverture de droits, logement, insertion… Têtes de pont de la mobilisation nationale, les acteurs du social sont sur tous les fronts pour garantir un accueil digne de ces populations. Et peut-être tirer de cette crise des enseignements pour demain ?

© Anef 63

« Si les services de l’État m’appellent dans une heure pour me prévenir qu’un nouveau bus arrive, je sais que nous serons prêts une fois encore, assure Sébastien Martinet, directeur général de la Fédération médico-sociale des Vosges. Car ces deux dernières années, nous sommes tous devenus experts dans la gestion de l’incertitude. » Plus de 44 000 personnes ont franchi les frontières en provenance d’Ukraine depuis le début du conflit, indiquaient mi-avril les pouvoirs publics. En train, en voiture, par leurs propres moyens, souvent de façon désorganisée, toujours dans la plus grande détresse.

Comment les nourrir ? Leur offrir une nuit de répit, puis les loger ? Comment leur ouvrir les droits attachés à la protection temporaire [1], statut juridique mis en œuvre par l’Union européenne pour la première depuis sa création ? Pour les acteurs du social, chevilles ouvrières de la mobilisation nationale pilotée par l’État en lien avec les collectivités et leurs centres communaux d’action sociale (CCAS), le défi logistique est grand. Et ce n’est pas fini : le pays s’est dit prêt à accueillir 100 000 déplacés au moins. Priorités des priorités, résume-t-on au cabinet deMarlène Schiappa, à la tête de la cellule interministérielle de crise : l’hébergement, l’emploi, l’éducation et l’apprentissage de la langue.

Des lieux « tout en un »

Dès le début, à Paris, c’est à partir des gares qu’ont eu lieu les arrivées, dirigées vers les sas de premier accueil. Comme celui ouvert le 3 mars par Emmaüs Solidarité dans un hôtel de Pantin, où mi-avril 3 500 personnes avaient été prises en charge essentiellement pour la nuit, raconte son directeur général Bruno Morel : « L’objectif ici est d’examiner leur situation et de leur offrir une nuit au chaud, le temps, pour les personnes en transit vers un autre pays, de récupérer un billet pour repartir. » Et pour les autres, d’être orientées vers l’accueil unique qui a d’abord été, un temps, organisé avec l’État dans des locaux du 18e arrondissement de France Terre d’asile (FTA). Un lieu à partir duquel, seulement quelques heures après leur arrivée, des bus pouvaient emmener les déplacés vers des dispositifs hôteliers du territoire gérés, là aussi, par des acteurs associatifs. « Au début, c’était surtout de la gestion de crise, la priorité étant la mise à l’abri, raconte la directrice générale de FTA, Delphine Rouilleault. Puis, très vite, la préfecture et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) y ont installé un bureau pour octroyer aux Ukrainiens les cartes d’allocation pour demandeur d’asile (ADA) et la protection temporaire. Dans ce lieu “tout en un”, jusqu’à 500 orientations par jour ont été réalisées vers l’hébergement. » Une logique de « hub » conservée après le déménagement, mi-mars, sur un site porte de Versailles piloté par la préfecture de région, comportant davantage de services (caisse d’assurance maladie, préfecture, ville, associations…) et adossé à un centre d’hébergement pour les accueils nocturnes. 

Des enfants à protéger

Le profil des publics accueillis ? Des personnes âgées, des étudiants… et une immense majorité de femmes et d’enfants, parfois très jeunes. « Seuls, ou accompagnés d’un adulte sans qu’on puisse d’ailleurs tout le temps établir le lien qui les unit, rapporte Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations Cnape. S’ils ne sont certes pas d’emblée dans le champ de la protection de l’enfance, tous ayant besoin de soins, d’éducation et de sécurité, ils peuvent tout de même en relever à ce titre. » De quoi pousser le garde des Sceaux à clarifier leur situation juridique [2].

Et c’est notamment leur présence qui rend le défi inédit pour le secteur Accueil, hébergement, insertion (AHI). Inédit, vraiment ? « N’oublions pas les débuts de la crise sanitaire, où il a fallu héberger près de 40 000 personnes supplémentaires en plein confinement, nuance le délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), Sylvain Mathieu. En revanche, il est vrai que la composition des ménages et leur état physique et psychologique confèrent bien un caractère exceptionnel à cette crise. Laquelle survient, en outre, alors que notre dispositif, maintenu à un haut niveau, réquisitionne déjà de nombreux hôtels. » D’autant que, pour l’État, pas question de donner le sentiment de « déshabiller Pierre pour habiller Paul » en recourant aux centres généralistes déjà saturés, ni même aux places vacantes du dispositif national d’accueil (DNA). Pas question, non plus, de mobiliser des logements sociaux en zones tendues où certains ménages attendent parfois depuis dix ans. En un mot, surtout pas de concurrence des publics. Conséquence, une fois la mise à l’abri assurée : l’ouverture de places ad hoc pour des séjours pouvant aller jusqu’à plusieurs mois. Et là, toutes les options sont bonnes à prendre : un Ehpad désaffecté inutilisé avant sa reconversion en logements, un village vacances mis à disposition par une ville, des hôtels…

10 000 postes en insertion

La question de l’emploi des déplacés ukrainiens, autorisés à travailler dès l'obtention de leur autorisation de séjour, est dans toutes les têtes. Et c’est tout naturellement que les entreprises, sociales inclusives en tête, ont été invitées à prendre leur part [4]. Dès la fin mars, la Fédération des entreprises d’insertion (FEI), qui milite pour l’ouverture d’un droit au travail pour tous dès l’arrivée sur le territoire, a mis en avant leur potentiel de 10 000 emplois. « Notre métier, c’est l’insertion des personnes en situation de fragilité, rappelle Olivier Dupuis, son secrétaire général. Tous ces postes sont directement accessibles, sans prérequis et la langue n’est pas un obstacle de prime abord. »

Accompagner l'élan citoyen

Autre vivier de logements, l’hébergement citoyen avec l’appui d’associations. Mi-avril, 50 000 volontariats avaient été exprimés, recensait la Dihal. Exemple dans l’Allier, où l’Association nationale d’entraide féminine (Anef 63) a été désignée référente pour coordonner le dispositif d’accueil. « Ici, le choix a été de recourir à cet hébergement, au domicile des familles ou au sein d’appartements qu’elles mettent à disposition, explique le directeur général Gilles Loubier. Notre mission est de passer de la dimension très émotionnelle de cet accueil à un dispositif plus structuré. » Et donc de « labelliser » les ménages volontaires pour ouvrir leurs portes, et de les accompagner. « Cet élan citoyen doit être accompagné, les familles doivent prendre conscience de ce qu’implique leur geste, confirme Delphine Rouilleault. Que doivent-elles faire si les personnes accueillies décompensent ? Si elles tombent malades ? Faut-il leur laisser des clés quand on part en week-end ? Un partenariat est nécessaire avec les associations qui pratiquent déjà ce type d’hébergement. »

Quoi qu’il en coûte ?

Face à l’urgence des premières semaines, difficile de prendre le temps de parler gros sous. À l’Anef 63, comme ailleurs, il a fallu puiser dans les fonds propres et embaucher quatre professionnels. Sans attendre. « Nous avons débloqué 50 000 euros sans aucune visibilité, reconnaît Gilles Loubier. Mais les associations ont maintenant l’habitude d’avancer des crédits pour l’État, c’est même leur vocation d’être plus réactives que lui. » Fin mars, le premier cadrage financier a permis d’y voir plus clair. « À terme, l’élément dimensionnant sera évidemment le nombre d’arrivées, confirme Sylvain Mathieu. Mais, pour l’heure, le volet "accompagnement" du dispositif est financièrement posé. Les dépenses opérées dans ce cadre seront couvertes et les ajustements opérés via le prochain collectif budgétaire. » Pour l’Union des professionnels du logement accompagné (Unafo), le risque économique existe : « Les 2 200 euros par personne alloués dans le cadre de l’IML sont insuffisants, en particulier pour financer l’aménagement des locaux, objecte son délégué général Arnaud de Broca. Sans compter les coûts de traduction, de suivi psychologique… Si répondre aux situations d’urgence fait partie de l’ADN des gestionnaires, ils ont aussi une association à faire tourner ! »

Pénurie de bras

« Je suis encore une fois bluffé par la capacité du monde associatif à se coordonner dès les premières heures, salue Bruno Morel. Comment organiser le transport ? Comment faire pour ceux qui n’avaient pas de billets pour repartir ? Comment gérer les propriétaires d’animaux domestiques ?… La coordination interfédérale a permis de débloquer des situations très concrètes. » Un avis partagé par Gilles Loubier : « On a encore vu là sa faculté à se mobiliser, là où l’État ne peut faire seul. Il est obligé de s’appuyer sur sa capacité à mailler, à mobiliser, sur son réseau, ses ressources… » Au risque de rajouter une charge supplémentaire sur les épaules d’organisations déjà confrontées à des tensions RH ? « On connaît tous la situation du travail social, prévient Arnaud de Broca. Même si les salariés présents sont très mobilisés, on ne pourra pas recruter du jour au lendemain ! Or, vu les besoins d’accompagnement qu’impliquent cette crise, à un moment, les forces risquent de s’épuiser. »  

« Un humanisme à deux vitesses » 

En attendant, sur le terrain, on se réjouit de l’élan solidaire constaté dans le pays. Lequel laisse toutefois à certains l’impression d’un humanisme national à deux vitesses. « C’est sûr que la mobilisation n’a pas été la même après le bombardement d’Alep… », soupire un responsable. « Le deux poids-deux mesures qu’on peut voir poindre est certes inquiétant et difficile à vivre pour les équipes, souligne le président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Pascal Brice. Mais là, la priorité est de réussir l’accueil de ces populations d’Ukraine. Cela permettra ensuite de démontrer au pays qu’il peut accueillir dans de bonnes conditions et que cela profite à tous. » De quoi inspirer la gestion des futures crises migratoires et infléchir la politique nationale d’accueil ? « Il faudra établir un bilan de cette protection temporaire et des droits qui lui sont attachés – bien plus protecteurs que ceux des demandeurs d’asile, mais bien moins que ceux des bénéficiaires de la protection subsidiaire, juge Delphine Rouilleault. Mais pas maintenant, l’heure n’est pas à la critique d’une mobilisation qui fonctionne. »

[1] Instruction n° INTV2208085J du 10 mars 2022

[2] Note n° IUSF2210333N du 1er avril 2022

[3] Instruction n° LOGI2209326C

[4] Décret n° 2022-468 du 1er avril 2022

Gladys Lepasteur

« Ne pas rester seul avec cette charge mentale »

Noémie Caponnetto, directrice du pôle Associations et directrice générale adjointe de l’Agence du don en nature

« Passerelle entre les entreprises donneuses de produits non alimentaires et notre réseau de 1 200 associations partenaires spécialisées dans l’aide aux personnes vulnérables, l’association est très sollicitée depuis le début du conflit. J’ai été frappée de voir combien mes interlocuteurs associatifs étaient affectés par les premières arrivées. Le plus dur pour eux, normalement "armés" pour faire face à la détresse qu’ils côtoient au quotidien, est sans doute le flux ininterrompu de récits qu’ils entendent, sans qu’ils aient toujours le temps de les "digérer". Sans compter le profil des arrivants, surtout des femmes et des enfants en grande détresse, qui les renvoie à leur propre situation. Les associations doivent prendre soin des salariés, en particulier des plus fragiles, qui ne doivent pas s’oublier. Même si les équipes sont tenues de gérer l’urgence, elles doivent conserver des temps pour échanger sur ce qu’elles vivent ensemble pour que personne ne se sente seul à porter une telle charge mentale. Car si les professionnels sont dans l’action aujourd’hui, tout cela peut avoir des impacts à plus long terme. »

Repères 

  • 100 000 : c’est le nombre d’hébergements que la France s’est engagée à assurer.
  • 11 200 enfants Ukrainiens étaient à mi-avril scolarisés en France depuis le début du conflit.
  • Parmi les droits attachés à la protection temporaire ? Accueil et hébergement, titre de séjour, allocation ADA, accès à la santé, au travail, à la scolarisation…

Publié dans le magazine Direction[s] N° 208 - mai 2022






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