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Tribune
Du Ditep au Satep : vers une offre territorialisée

01/06/2022

Accompagner des jeunes présentant de difficultés de socialisation pose des questions d’organisation. Michel Dumesny et Pauline Martin soulignent la nécessité d’élaborer une culture commune avec l’Éducation nationale, l’ASE et la pédopsychiatrie. Ce afin d’alléger les procédures et gagner en réactivité.

Michel Dumesny et Pauline Martin (Ditep L'Essor Clairval)

Le décret du 6 janvier 2005 a fixé les conditions techniques d’organisation et de fonctionnement des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep). La notion de « difficultés psychologiques » est mise en avant, les troubles de comportement des enfants n’en étant que l’expression. Par une intervention pluridisciplinaire, l’objectif est de les accompagner vers l’autonomie et l’intégration sociale. Sept ans plus tard, l’association AIRe sollicite l’union nationale interfédérale Uniopss pour réaliser une étude du cadre réglementaire des Itep. L'idée de « dispositif » concourt à un assouplissement du fonctionnement afin de mettre en place une vraie fluidité des parcours. L’expérimentation des dispositifs intégrés menée depuis 2013 conjugue plusieurs modalités d'accompagnement dans différentes structures – Itep, service d'éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad), centre d’accueil familial spécialisé (CAFS) – sans que pour cela les familles aient besoin d’une nouvelle notification de la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Cette étude a donné lieu à l’article 91 de la loi du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé, puis au décret du 24 avril 2017 relatif au fonctionnement des établissements et services médico-sociaux en dispositif intégré (Ditep).

La résistance de la logique structurelle

Prévue d’abord pour un an puis prolongée, l’expérimentation ambitionne de sortir des modalités d’accueil qui ont tendance à figer les situations, notamment lorsqu’il s’agit d’adapter l’accompagnement pour des jeunes en voie de rescolarisation. Mais le bilan est mitigé : très peu passent d’une modalité d’accueil à l’autre. Les logiques de structures, même après plusieurs années d’expérience, sont loin d’être abolies. « Trop jeune », « trop âgé », « trop tôt », « trop tard »… Tous les directeurs savent les difficultés à établir des passerelles entre des établissements et services aux cultures différentes. L’histoire institutionnelle explique en partie ce phénomène d’inertie. Les Sessad se sont construits à côté des Itep, naturellement en dehors, et parfois plutôt contre. Même avec une direction et des services supports communs, l’égide institutionnel n’a souvent pas suffi à permettre des échanges, chacun évoluant en fonction de ses contraintes : une capacité d’accueil différente (une petite file active et une petite équipe dans le Sessad, tandis que l’Itep est un gros établissement en termes d’effectifs, qu’il s’agisse des jeunes ou des salariés), un personnel inégalement qualifié (le Sessad bénéficiant d’un plus haut niveau de qualification), et les jeunes les plus « particulièrement difficiles », pour reprendre l’expression de Michel Botbol, restant surtout à l’Itep.

Les gains du fonctionnement en Ditep

Mais de réelles améliorations sont à relever : les jeunes accueillis au Ditep de Clairval, géré par l'association L’Essor, sont aujourd’hui, conformément à leur volonté et dans leur écrasante majorité, scolarisés en milieu ordinaire. Accompagnés par les professionnels en fonction de leur projet personnalisé d’une manière individualisée, ils ne sont plus soumis aux phénomènes de violence générés par le regroupement d’enfants dont les troubles de comportement étaient précisément exacerbés par la prise en charge collective. Enfin, le suivi de la dimension thérapeutique et de leurs difficultés de socialisation leur permet de vivre de manière moins stigmatisante leur handicap.Cependant, il ressort de l’étude des besoins sur le département de l’Essonne qu’une demande très forte de proximité géographique n’est pas satisfaite. Certains jeunes font plus de 30 kilomètres, ou parfois durant plus d’une heure, du domicile familial jusqu'à l’Itep. Alors qu’il s’agit de proposer un pas de côté temporaire, qui doit leur permettre un retour voire un maintien à l’école, l’admission à l’Itep entraîne une rupture franche avec l’environnement social, familial et scolaire. Ce pas de côté prend la forme d’une mesure d’éloignement, voire de relégation, car pour un enfant, traverser le département est aussi violent et stigmatisant qu'être mis au vert en province comme du temps des instituts de rééducation.

Pour atteindre l’objectif des jeunes et de leurs familles d’une scolarité « comme pour les autres », proposer un accompagnement de proximité devrait pourtant être le fondement du projet. Lequel doit reposer sur deux composantes essentielles : des partenariats efficients avec l’Éducation nationale, l’aide sociale à l’enfance (ASE) et la pédopsychiatrie ; et, question délicate car bien souvent constitutive de l’identité des associations du médico-social, le renoncement au patrimoine immobilier.

Un changement systémique

Un rapport d’août 2018, passé quasiment inaperçu, interpelle justement ces problématiques clés. Élaboré par les inspections générales Igas-IGEN-IGAENR, il a donné lieu à 23 recommandations. La n° 4 propose de définir un nouveau service d’accompagnement thérapeutique, éducatif et pédagogique (Satep), territorialisé afin d’accélérer la transformation de l’offre. En effet, si le fonctionnement en Ditep a permis de pallier certaines carences et défaillances du système, il importe désormais de consolider ces acquis en simplifiant l’ensemble par une transformation systémique. La distinction entre Itep, Sessad et Ditep devrait donc s’effacer au bénéfice d’un service global d’accompagnement, proposant une offre de services diversifiée et complète, et autant que possible, territorialisée. Le Satep deviendrait ainsi la norme de droit commun. Chaque service disposerait (sauf exception limitée et si possible non durable) de toute la palette : internat, semi-internat, accueil de jour et accompagnement à domicile. Grâcez à la territorialisation, la coopération serait simplifiée et organisée avec l’Éducation nationale, le secteur psychiatrique et la protection de l’enfance.

La publication de ce rapport a constitué une véritable ouverture pour L’Essor Clairval ! Où l’idée du Satep ne vient pas se substituer au Ditep, mais au contraire l’enrichir : une seule procédure d’admission, un accompagnement des jeunes sur un territoire défini, identifié par une seule et même équipe avec le même chef de service, le même médecin psychiatre, le même psychologue, les mêmes éducateurs mettant en œuvre les trois modalités d’accueil. Car là où le dispositif se contente de faciliter le passage de l’Itep au Sessad ou inversement, l’organisation en Satep, sous l’égide institutionnel du Ditep, dépasse ce questionnement. Elle part des besoins du jeune et de sa famille et non du choix d’une modalité d’accueil. L’accompagnement s’organise de façon coconstructive selon l'offre du Satep, en allant du plus limité, parfois trois rendez-vous hebdomadaires, au plus complet si besoin. Ainsi un jeune auquel sont proposés trois accompagnements par semaine peut aussi bénéficier d’entretiens individuels, d’une soirée, ou d’un après-midi en groupe.

Toutes les formules sont possibles, et l’expérience des dispositifs intégrés, en les mettant sous les regards croisés des agences régionales de santé (ARS), des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et de l’Éducation nationale, a permis d’innover dans les prises en charge : internat séquentiel et/ou modulé, accueil de jour, du soir, prise en charge partagée, etc. Ce qui cependant ne simplifie pas la question de la mesure de l’activité.

De nouvelles relations avec les parents

Les relations avec les parents peuvent aussi changer de nature : en Itep, on les appelle essentiellement pour des problèmes de violence, ce qu’ils ont tendance à fuir. Avec le Satep, ce ne sont plus les mêmes motifs, la territorialisation permettant de bien meilleurs échanges grâce à la proximité avec les familles qui peuvent devenir un acteur fort au quotidien. L’équipe ajuste avec elles chaque semaine le planning, les activités proposées, les prises en charge… Ce qui est autrement plus intéressant et plus valorisant.

Mais surtout, les professionnels peuvent se recentrer sur l’accompagnement, soit leur mission première. Dans l’établissement de l’Essor, il y a dix ans seulement 5 % des jeunes étaient scolarisés à temps partiel, la proportion s’est très fortement inversée. Lorsque l’offre de soins valide une exclusion de l’institution scolaire, l’Itep passe à côté de sa raison d’être. Pour cette raison, l’Éducation nationale est le premier partenaire du secteur médico-social qui peut demander : de quoi avez-vous besoin pour accueillir ce jeune et lui permettre d'être élève ? Le Ditep ne se substitue plus au collège, mais l’organisation en Satep soutenir l’équipe pluridisciplinaire du collège (enseignants, conseiller principal d'éducation, médecin scolaire, administration) dans la compréhension clinique.

Coordonner dans la proximité

Qui dit partenariat, dit nécessité d’un territoire plus restreint en faveur d'un travail étroit avec une dizaine de collèges. Il s’agit de mettre en place des contacts réguliers et de nouer des relations de confiance. Ces derniers doivent pouvoir appeler les éducateurs, psychiatres, psychologues afin de raconter la vie en classe du jeune et les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Le Satep devient pour eux une ressource et joue un rôle de conseil sur ces enfants « pas communs que l’on a en commun ». Être aux côtés des collèges, c’est donc compléter leur savoir-faire, avec la psychiatrie de secteur, qui va traiter les crises aiguës et suivre les pathologies. Chacun des acteurs énonce ses compétences et ses besoins, et  à partir de là se tricote le maillage de l’accompagnement. Le Satep assure la coordination entre les différents acteurs au service d’un enfant et de sa famille. Aussi la question de la requalification du personnel du Satep est-elle évidemment dès lors essentielle, tout en promouvant une posture d’humilité, car on ne fait pas tout bien, tout seul.

L’abandon du « château »

La redéfinition du territoire permettant un partenariat de proximité avec une dizaine de collèges, deux ou trois centres médico-psychologiques (CMP), un hôpital, nécessite un redéploiement physique. Le Satep prend ainsi la forme de petites unités réparties sur le département. C’est dans cette dynamique que L’Essor va revendre sa propriété immobilière, celle-ci n’ayant plus de cohérence avec la mission du Satep. La question de l’organisation institutionnelle ne permet pas de faire l’économie de la question patrimoniale. Les associations sauront-elles aborder de front ce débat ? Pourtant, comment opérationnaliser l’inclusion, si l’on garde les murs ?

L’Essor Clairval a déjà pris les mesures de la porosité qu’implique le Satep, c’est-à-dire de la traduction concrète de la souplesse nécessaire à l’accompagnement des adolescents. Le propre du jeune est le réajustement. Il traverse une période de crise, d’évolution à forts enjeux. S’il est amoureux, nous le libérons le mercredi après-midi ; et s'il vit une rupture, s’il est au fond du trou, nous l’accueillons de nouveau sur cette demi-journée pour le soutenir. L’ambition d’une organisation en Satep est bien d’ajuster les besoins à la temporalité de l’adolescence dans la dimension interdisciplinaire, multi-partenariale et territorialisée.

Michel Dumesny et Pauline Martin

Carte d’identité

Nom. Michel Dumesny

Formation. Cafdes

Parcours. Directeur adjoint des clubs et équipes de prévention de l’Adsea 77, directeur d’Essonne Accueil, Directeur général adjoint d’Oppelia, directeur du Ditep Le Petit Sénart,

Fonction actuelle. Directeur du Ditep Clairval de L’Essor, à Bièvres (Essonne).

Nom. Pauline Martin

Formation. DEES, Master 1 Responsable et directeur/trice d’organisations sociales Andesi 2020, Master 2 Directeur/trice et manager stratégique des organisations sociales) en cours.

Parcours. Éducatrice spécialisée en pédopsychiatrie. Directrice adjointe du Ditep Clairval de L’Essor, à Palaiseau (Essonne).

Fonction actuelle. Directrice adjointe du Ditep Clairval.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 209 - juin 2022






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