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Réadaptation professionnelle
L'heure de la refondation

14/09/2022

Il y a deux ans, les missions et conditions d’organisation des structures de la réadaptation professionnelle étaient revues. Une réforme qui entendait donner un nouvel élan au secteur. Reste encore à entreprendre la remise à plat des modes de pilotage et de financement.

L’ESRP d’Oissel, près de Rouen, géré par l’Epnak.

Si l'acronyme CRP vous évoque des châteaux à la campagne où des maçons en reconversion se forment à la comptabilité, alors il va falloir actualiser vos représentations. Non que cela n'existe plus, mais en un siècle d'existence, les structures de la réadaptation professionnelle ont évolué pour accompagner de nouveaux publics, avec de nouvelles prestations. Une transformation de l'offre reconnue et confortée par le décret n° 2020-1216 du 2 octobre 2020, texte fondateur très attendu par le secteur après cinq ans de concertation. Objectifs de la réforme ? Mieux répondre aux besoins des personnes en construisant une offre de services modulable, dans une logique de parcours et d'inclusion, ouverte sur l'extérieur et reposant sur des coopérations. Un lifting matérialisé par le changement de dénomination : exit les vénérables centres professionnels d'orientation (CPO) et de réadaptation professionnelle (CRP), place aux établissements et services de préorientation (ESPO) et de réadaptation professionnelle (ESRP).

Reconnaissance dans le CASF

Principale clarification opérée : l'inscription de la réadaptation dans le champ médico-social dans le Code de l'action sociale et des familles (CASF). Avant cette date, le régime juridique et financier du secteur était dispersé dans quatre codes, un corpus obsolète nuisant à sa lisibilité et à ses relations avec les différents acteurs institutionnels. Désormais dotés d'un cadre juridique unifié, les ESPO et ESRP disposent également d'une définition précise de leurs missions, allant de l'information à l'accompagnement dans l'emploi, en passant par la formation préparatoire, qualifiante ou diplômante, l'évaluation ou la remobilisation.

Largement inspiré par les propositions des acteurs, le décret a donné un nouvel élan au secteur, estime Isabelle Mérian, directrice de la Fagerh, fédération représentant 98 % des gestionnaires : « Il garantit à chaque travailleur handicapé un égal accès à la réadaptation professionnelle sans uniformiser l'offre. » Pour Emmanuel Ronot, secrétaire général de la Fagerh et directeur général de l'Établissement public national Antoine-Koenigswarter (Epnak), deuxième gestionnaire du champ avec 15 ESPO/ESRP, « la grande avancée du texte a été d'inciter les structures à se projeter au plus près de leur territoire d'implantation ». Plus question de cantonner les places à l'intérieur du fameux château : il s'agit désormais de les déplacer vers le bassin de vie et d'emploi, et d'articuler les actions avec l'ensemble des parties prenantes. En clair, de « mobiliser plus largement les compétences des 130 ESPO/ESRP », comme le préconisait fin 2019 la Stratégie interministérielle pour l'emploi des personnes handicapées.

Des pratiques légitimées

En pratique, le décret a surtout légitimé et accéléré des évolutions déjà engagées localement, mais souvent sur un mode expérimental, comme l'ouverture aux jeunes dès 16 ans. Ça et là, des établissements accompagnaient déjà de tout jeunes bénéficiaires – pas au point, toutefois, de faire baisser la moyenne d'âge du public, stabilisée autour de 40 ans. « Il est écrit noir sur blanc que l'ingénierie déployée par nos structures peut être mise au service de ce public, par exemple les sortants d'unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), d'instituts médico-éducatifs (IME) ou thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep). Cela nous permet d'étendre l'offre », explique Thierry Chosson, directeur de l'ESRP La Mothe (géré par l'association Marie-Ange Carlotti), dans l'Allier, qui développe des plans d'action avec des établissements médico-sociaux pour enfants.

Prise en charge à titre permanent ou temporaire, sur un mode séquentiel ou discontinu, à temps complet ou partiel… La réforme a aussi assoupli le rythme et l'intensité des prestations. « Il s'agit de construire des parcours à la carte, afin qu'ils soient adaptés au mieux aux besoins et possibilités de chacun », souligne Frédéric Payet, directeur territorial Grand Ouest à l'Epnak. Y compris au plan géographique puisque désormais les structures doivent se délocaliser. Tous opérateurs confondus, 34 antennes ont ainsi été créées sur toute la France, dont 14 dans des départements dépourvus d'ESRP. 54 dispositifs d'accompagnement hors site sont également recensés. Certains préexistaient au décret, comme l'offre de formation accompagnée (sur le modèle de l'emploi accompagné) coanimée depuis 2018 sur les cinq départements de Normandie par l'Association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (Adapt) et l'Epnak.

Au cœur des coopérations

Enfin, les structures sont aujourd’hui attendues sur leur capacité à coopérer avec les maisons départementales des personnes handicapées – MDPH (participation aux équipes pluridisciplinaires, évaluation préliminaire…), le service public de l'emploi (SPE), l'Éducation nationale ou encore les organismes de formation en milieu ordinaire. Il y a deux ans, l'élargissement des publics et des missions de la réadaptation avait suscité quelques inquiétudes : jusqu'où les ESPO et ESRP risquaient-ils d'empiéter sur le terrain des autres acteurs ? Depuis, la Fagerh s'emploie à rassurer ses partenaires. « Certes, le décret a ouvert largement nos possibilités d'intervention, mais l'enjeu est bien de travailler en complémentarité,de partager des compétences et de se passer des relais pour réduire les risques de rupture de parcours », insiste Isabelle Mérian. Un exemple parmi d'autres : l'expérimentation Handipro, à Paris, qui rassemble ESRP, MDPH et SPE autour des lycéens sortant d'Ulis. Des coopérations qui contribuent « à la montée en compétences des professionnels du milieu ordinaire », observe Frédéric Payet, et qui favorisent l'inclusion. « Dans un avenir proche, il est probable qu'une partie de la population sera accompagnée directement dans le droit commun, les ESPO/ESRP se concentrant sur les personnes les plus éloignées de l'emploi », anticipe-t-il. Pour Sophie Crabette, chargée de plaidoyer à la Fédération nationale des accidentés de la vie et des handicapés (Fnath), le rapprochement avec les entreprises (à travers notamment l'appui au maintien dans l'emploi) permet également « une connaissance approfondie des postes de travail et des besoins des employeurs ».

Un cadre réglementaire à compléter

Car, deux ans après la publication du décret, la « révolution culturelle » ne fait que commencer. D'autant que le contenu réglementaire n'est toujours pas complet. Début septembre, le secteur était toujours dans l'attente de la publication d'un arrêté (pourtant prêt et signé depuis avril), précisant notamment les modalités de mutualisation de services dans le cadre d'une plateforme, ou les conventions passées avec les MDPH. « Le contenu de l'arrêté étant connu, nous pouvons déjà nous en saisir, mais certains de nos partenaires institutionnels attendent des certications Cerfa ou des conventions-types », regrette Isabelle Mérian. Sans tomber dans l'écueil de la standardisation, définir un tronc commun aurait le mérite de « garantir un déploiement équitable sur tout le territoire », considère Sophie Crabette.  En Auvergne-Rhône-Alpes, 14 ESRP réfléchissent ainsi à un référentiel pour la nouvelle prestation d'aide à la décision des MDPH.

Reste aussi à construire un véritable pilotage du secteur. Le décret a beau poser les grandes lignes des attentes des pouvoirs publics, la coordination entre financeurs fait encore largement défaut. « Les établissements ont une double habilitation agence régionale de santé/région, mais ni les objectifs ni les moyens ne sont définis en commun », pointe Emmanuel Ronot. Ne pouvant être intégrés au nouveau modèle de la réadaptation professionnelle, les indicateurs d'activité et les modes de financement devront également être remis à plat. Point positif ? La communication autour du texte a aiguisé l'intérêt des autorités pour le secteur et suscité la création de groupes de travail et de réflexion, au niveau national comme en régions. Ce cadre renouvelé devant permettre aux ESPO/ESRP de remplir leur mission, conclut Thierry Payet : « Accompagner les personnes jusqu'au bout de leurs projets, dans une logique d'inclusion et d'autodétermination. »

Clémence Dellangnol

« L'enjeu est de se coordonner »

Sophie Tondelier, directrice de Cap emploi 27

« Dans l'Eure, Cap emploi et les structures du champ de la réadaptation ont déjà l'habitude de coopérer. Le décret d'octobre 2020 nous incite à aller plus loin. Par exemple, avec l'ESRP Epnak de Oissel, nous avons conclu un partenariat autour de la sécurisation des parcours. Avec l'ESRP de l'Adapt, nous envisageons de travailler au bénéfices des jeunes sortants d'Ulis. L'offre de droit commun n'est pas très adaptée pour ce public, alors pourquoi ne pas créer des projets spécifiques, visant à renforcer leurs potentiels professionnels ? Tout l'enjeu est de bien se coordonner pour ne pas brouiller les rôles. Le service public de l'emploi est référent du parcours et prescripteur, il s'appuie sur une variété de dispositifs et, le cas échéant, peut recourir aux ressources de l'établissement spécialisé. De ce point de vue, la souplesse d'intervention qu'apporte le décret est très intéressante, et contribue à la dynamique de parcours mise en œuvre par les Cap emploi. »

Repères

  • 474 170 demandeurs d'emploi en situation de handicap fin 2021, en baisse de 0,6 % sur un an (source Agefiph).
  • 56 ESPO et 79 ESRP accompagnent chaque année près de 15 000 bénéficiaires.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 212 - octobre 2022






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