Certains l’ont baptisé « RSA nouvelle formule » ou « RSA rénové ». Depuis le 1er janvier, le revenu de solidarité active fait l’objet d’une profonde réforme, portée par la loi Plein emploi[1] et expérimentée depuis l’été 2023 par 18 premiers départements. Le but, avant sa généralisation l’an prochain ? Tester de « nouvelles modalités d’accompagnement renforcé » en vue d’accélérer le retour à l’emploi. Avec, en contrepartie, l’obligation pour les allocataires de réaliser au moins quinze heures d’activité hebdomadaires formalisées par contrat, a fixé le législateur. « La concrétisation a été plus ou moins rapide selon les territoires, mais aujourd’hui 19 500 allocataires sont entrés dans le dispositif au niveau national. Et on assiste à une montée en charge assez importante, avec près de 500 entrées supplémentaires par mois », renseigne l’association Départements de France.
Bouchées doubles
Premier objectif visé par cette expérimentation : raccourcir le délai entre l’inscription au RSA et l’entrée dans un parcours. Aussi, dans la métropole de Lyon, dans le Nord ou en Loire-Atlantique, les efforts se sont-ils d’abord concentrés sur les entrants. « Nous sommes aujourd’hui en mesure de leur proposer un entretien d’orientation dans les dix-huit à vingt-quatre jours qui suivent l’ouverture de leurs droits, contre soixante-dix jours auparavant », apprécie Jérôme Alemany, vice-président action sociale de proximité, insertion et lutte contre l’exclusion de la Loire-Atlantique. Résultat ? À Saint-Nazaire, déjà 1 036 allocataires (sur les 1 400 concernés par l’expérimentation) ont signé un contrat d’engagement. Pour cela, le Département a recruté : la moitié des 750 000 euros alloués par l’État en 2023 a ainsi permis d’étoffer les équipes d’accompagnement, le reste étant consacré au financement de nouvelles actions (formation, sport, mobilité…).
Même chose à Tourcoing, où le portefeuille des référents est passé de 200 à une cinquantaine de personnes pour permettre un suivi hebdomadaire. Portefeuille réduit, temps dégagé, délais raccourcis… Ces nouvelles modalités permettent aussi aux professionnels de se concentrer progressivement sur les plus éloignés de l’emploi, auxquels est systématiquement proposée une rencontre en face à face. Menée par un travailleur social et un conseiller en insertion professionnelle, elle permet de poser un premier diagnostic approfondi, d’identifier les éventuels freins et d’y apporter des réponses concrètes. Un double étayage très utile pour près d’un allocataire sur quatre dans le Nord. « On le proposait déjà, mais à moindre échelle, reconnaît Pascal Fuchs, directeur général adjoint chargé du retour à l’emploi et de l’action sociale. Grâce à l’expérimentation, on se rend compte qu’il faut le renforcer. »
Une logique tout-en-un
Libre ensuite aux territoires d’articuler leur suivi en fonction des coopérations déjà engagées. C’est ainsi que, depuis la mi-mai, la métropole de Lyon a fait évoluer ses réunions d’information-orientation pour cibler les 1 300 allocataires de Givors et Grigny bénéficiant d’un diagnostic plus approfondi dans le cadre de l’expérimentation. En un même lieu, ils peuvent rencontrer divers partenaires afin de lever les freins (services départementaux, France Travail, CAF, CPAM...).
Une logique retenue aussi par la ville de Tourcoing qui s’est dotée d’un « plateau » sur lequel cohabitent une cinquantaine d’acteurs. « Dans la même journée, l’allocataire peut ainsi avoir rendez-vous avec son référent et enchaîner avec un coach emploi, un travailleur social, un psychologue ou rencontrer une entreprise. C’est très concret et très apprécié de ceux que nous accompagnons : ils ont le sentiment que nous prenons au sérieux leurs difficultés », constate Pascal Fuchs.
Travail en réseau
Du côté des professionnels, on s’y retrouve aussi. Le travail interdisciplinaire oblige les acteurs institutionnels, les personnels de l’action sociale et les partenaires socio-économiques à collaborer. Y compris ceux qui n’en avaient pas l’habitude. « Tout le monde œuvre ensemble pour proposer une seule offre de service, et ça fonctionne ! Cela nous permet d’expérimenter un certain nombre de choses en matière de gouvernance et de coordination que l’on pourra ensuite faire rejaillir à l’échelle de la métropole si l’État continue à mettre des moyens humains et financiers pour l’accompagnement », estime Séverine Hémain, vice-présidente de la métropole de Lyon.
Reste à clarifier l’un des points les plus controversés de la réforme : l’obligation pour l’allocataire de réaliser au moins quinze heures d’activité hebdomadaires avant tout versement. Bénévolat, travaux d’intérêt général, formation, création d’entreprise… Aucun des départements interrogés ne semble au fait des contours précis de cette mesure – tous ayant choisi d’écarter cet aspect de l’expérimentation. Frilosité, réticence, voire franche opposition ? « On ne sait pas encore exactement ce qui sera fait, mais on va s’assurer de rester associés au déploiement de la loi Plein emploi afin de défendre la parole des personnes concernées », prévient déjà Noam Leandri, président du collectif Alerte, fermement opposé au principe qui « revient sur l’inconditionnalité » de ce minimum social.
D’autant que l’obligation d’activité pourrait s’avérer complexe à mettre en œuvre en l’absence d’acteurs importants autour de la table. Comme les entreprises notamment, difficiles à motiver dans le Nord. Or, sans elles, pas d’accompagnement optimal vers l’emploi. « On voudrait proposer des immersions en entreprise ou inviter des employeurs sur notre plateau pour qu’ils présentent leurs métiers, mais nous n’arrivons pas à trouver des partenaires qui veulent jouer le jeu », déplore Pascal Fuchs.
Autre manque notable, commun à tous les territoires pilotes : celui des acteurs de l’insertion par l’activité économique (IAE). « Dans certains départements, ils n’ont même pas été invités aux réunions de lancement », déplore le réseau d’entreprises d’utilité sociale Coorace. Oubli ou méconnaissance de leur valeur ajoutée ? Une situation d’autant plus regrettable que l’IAE a un temps considéré l’expérimentation « comme une opportunité d’augmenter son quota de bénéficiaires du RSA et, ainsi, de mieux faire financer la phase d’accueil, mise en place gratuitement depuis des années par les structures », raconte Adrien Rivière, chargé de mission plaidoyer de la fédération.
De nouveaux territoires
Côté pile donc, la promesse d’un accompagnement renforcé, personnalisé et approfondi. Côté face, la menace de sanctions si les heures d’activité imposées ne sont pas réalisées. Sera-t-il possible demain de faire coexister ces deux dimensions de la réforme, jugées antinomiques par certains ? Et avec quels moyens ? « Si on devait généraliser ces modalités renforcées à l’ensemble du territoire, il nous faudrait 20 millions d’euros, évalue Jérôme Alemany. L’État pourra-t-il les payer ? Avant d’aller plus loin, il aurait été plus sage d’avoir un vrai bilan. »
Pour l’heure, et avant la généralisation, le dispositif devait être étendu à 29 territoires supplémentaires d’ici à la fin février, a précisé la ministre du Travail Catherine Vautrin. L’occasion pour le Nord, notamment concerné, d’intégrer quatre nouvelles communes dans le dispositif. « On va garder un certain nombre d’attendus, comme les diagnostics en duo, le plateau multicompétences, des portefeuilles réduits, informe Pascal Fuchs. On verra si cela fonctionne à plus grande échelle. »
[1] Loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023
Carol Eyben
« Certains expérimentateurs minimisent la conditionnalité »
Stéphane Corbin, DGA solidarité de Seine-Saint-Denis
« Si, au départ, nous nous étions portés candidats à l’expérimentation, nous y avons finalement renoncé compte tenu de l’écart entre les intentions, les moyens proposés par l’État et l’ambition recherchée avec ces heures obligatoires. Beaucoup de départements expérimentateurs semblent d’ailleurs avoir minimisé cette conditionnalité pour se concentrer sur le renforcement de l’accompagnement. Une politique dans laquelle nous sommes engagés depuis 2022 avec le dispositif Nouvelle donne qui a permis la création de 22 agences locales d’insertion (ALI), chargées d’assurer un suivi intensif et global mené par des équipes pluridisciplinaires mobilisées pour garantir la meilleure disponibilité possible. Parallèlement, nous avons développé des actions avec les entreprises, permettant aux plus éloignés de l’emploi d’y remettre un pied. En trois ans, nous avons aussi doublé les crédits d’insertion. Et cela commence à porter ses fruits : plus de 10 000 personnes sont accompagnées par les ALI. »
Repères
- 19 500 allocataires sont entrés dans le dispositif depuis juin 2023, chiffre Départements de France.
- 47 territoires pilotes sont prévus d’ici à fin février.
- 1,021 million d’euros ont été perçus par le département du Nord au titre de l’expérimentation qui concerne 2 800 allocataires.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 228 - mars 2024