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Protection judiciaire de la jeunesse
Un effet de souffle

18/09/2024

L’annonce du non-renouvellement de centaines de postes de contractuels a ouvert, cet été, une lourde crise à la Protection judiciaire de la jeunesse. Si la reprise des recrutements est promise pour mi-octobre, les syndicats échaudés, soutenus par les acteurs de la protection de l’enfance, entendent maintenir la pression pour se faire entendre du Gouvernement Barnier.

« La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Les personnels ont pu compter sur le soutien d’acteurs de la protection de l’enfance. »

« Cette période a vu les services vivre un véritable traumatisme causé par les décisions nationales et leur impact direct et ultra-violent pour les personnels concernés, ainsi que pour les équipes plongées dans un désarroi professionnel et humain. » Le courrier syndical, reçu fin août par les directions territoriale (DT) et interrégionale (DIR) Grand Centre, résume l’ampleur du cataclysme traversé ces dernières semaines par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). À l’origine : la non-reconduction de centaines de postes de contractuels, annoncée soudainement au cœur de l’été, a plongé l’institution, prise de court, dans une crise ouverte. Un véritable « plan social » dénoncé par le camp syndical, qui a aussitôt organisé la riposte depuis les établissements et services, prédisant une dégradation des conditions de travail et, in fine, de la qualité de la prise en charge. Si, depuis, la direction de la PJJ (DPJJ) a annoncé la reprise prochaine des embauches, l’épisode a d’ores et déjà laissé des traces dans cette administration, chargée de mettre en œuvre la priorité à la lutte contre la délinquance des mineurs affichée par l’exécutif depuis les révoltes urbaines de 2023.

« Quelque chose est en train de se passer »

Juin-juillet 2024. « Progressivement, on a vu se multiplier les alertes d’agents en région, indiquant que leurs contrats n’avaient pas été renouvelés, parfois au mépris des délais légaux de prévenance, raconte le secrétaire général de la CGT-PJJ, Josselin Valdenaire. Craignant la catastrophe à la rentrée, certaines DIR ont même contacté les syndicats pour dire leur inquiétude face à la vague de suppression de postes. On a vite compris que quelque chose était en train de se passer. »

Quelques jours plus tard, la confirmation tombe de la bouche même de la directrice de la PJJ : l’administration doit rapidement trouver des marges d’économies, en raison d’un « dépassement [budgétaire] très mesuré, sur une masse salariale de 490 millions d’euros, [pour lequel]  des mesures de maîtrise ont été anticipées dès le mois d’avril », expliquait-on, début août, au ministère. La faute notamment à la prime de fidélisation allouée aux agents de Seine-Saint-Denis, à celle promise dans le cadre des Jeux olympiques, au coup de rabot décidé par Bercy en février [1]… s’entendent alors justifier les syndicats. Mais aussi et, surtout, à « l’accélération des recrutements de contractuels », résultat de l’opération de séduction déployée depuis plusieurs mois par la DPJJ à la recherche de bras, expliquait sa directrice dans un entretien accordé en janvier à Direction[s] [2]. Mesure d’économies immédiate décidée pour faire face : la non-reconduction temporaire de « 250 à 500 » des contractuels que compte cette direction de 8 000 agents ce, dès le 31 août, rapporte l’intersyndicale SNPES-PJJ/FSU, CGT-PJJ, CFDT Interco justice et Unsa-SPJJ. « Ces chiffres ne veulent rien dire car il faut aussi prendre en compte tous les postes vacants, dont on ne parle pas, reprend Josselin Valdenaire. Pour les structures, ce sera plus dramatique encore. »

Pressée d’intervenir, la Chancellerie a aussitôt repris la main. Attaché à « la situation des agents susceptibles d’être concernés et à la poursuite sereine de la mission de service public de la PJJ », le cabinet du ministre démissionnaire a annoncé, début août, avoir obtenu de Bercy le dégel de trois millions d’euros permettant de sauver une partie des contrats. Combien exactement ? Lesquels ?

Situations au cas par cas

Pour y voir clair et régler les « situations au cas par cas », la place Vendôme a diligenté un état des lieux, dont les résultats n’ont à ce jour pas été rendus publics. Pour le politique, pas question de suppressions d’emplois : il s’agit plutôt de « décaler dans le temps un certain nombre de recrutements ».« On m’a effectivement dit qu’on pourrait revenir vers moi en fin d’année, confirme cette éducatrice, mère célibataire. Mais je ne peux pas attendre jusque-là ! Si je suis encore disponible, j’irai certes, mais à reculons cette fois. »

Sur le terrain, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe. À tous les étages, on a tenté de sauver ce qui pouvait l’être. Certaines DIR ont ainsi essayé de reconduire les contrats de ceux qui avaient reçu des propositions de postes, croient savoir les syndicats. « Certains cadres ont même été rappelés pendant leurs congés pour organiser ce plan social », indique Marc Hernandez, co-secrétaire national du SNPES-PJJ/FSU. Pour certains d’entre eux, il y a aura clairement un avant et un après. « Comme tous mes collègues, je suis partie en congés en juillet et à mon retour, j’ai appris, stupéfaite, ce qui était en train de se passer, raconte sonnée Marie*, cadre en établissement. Depuis mon retour, je ne fais qu’accompagner l’effondrement émotionnel et psychique d’agents, lequel touche plus globalement toute la communauté éducative qui ne sait pas comment elle va pouvoir répondre aux besoins des enfants et des familles ! »

Dans les établissements et services, la même question : comment tenir, quand l’absence soudaine d’autant de personnels accroît mécaniquement la charge de collègues déjà sous l’eau ? « Nous sommes clairement passés en mode gestion de crise, reprend Marie*. Selon les endroits, les structures sont plus ou moins touchées, mais la situation est surtout dramatique pour le milieu ouvert, dont une grande partie de l’activité consiste à mettre en œuvre des mesures d’investigation complexes, qui requièrent  du temps avec des familles cumulant les difficultés. Certains éducateurs ou psychologues, qui leur ont donné rendez-vous à la rentrée, ont brutalement compris qu’ils ne pourraient y retourner… »

La goutte d’eau

Des services pourtant, particulièrement sollicités depuis le déploiement du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM). « C’est très compliqué », confirme Aurélie*. Éducatrice entrée à la PJJ en 2018, elle enchaîne les contrats jusqu’à ce 2 août où, douze jours avant sa fin officielle, la directrice lui annonce que son contrat ne sera pas reconduit, raconte-t-elle : « Pourtant, depuis la fin juin, la DT m’assurait que c’était une question de jours… Je n’ai pas eu le temps de me retourner : j’ai eu deux jours pour rédiger trois écrits d’investigations et dire au revoir aux vingt-quatre jeunes dont j’avais la charge, sans pouvoir leur indiquer qui prendrait le relais. C’était très violent pour moi, ainsi que pour eux, avec qui il avait été parfois compliqué d’entrer en relation… » Conséquence pour le service ? « Dans mon unité, où deux autres contractuels n’ont pas été renouvelés, nos soixante mesures ont dû être réparties sur la dizaine de titulaires restants. Certains m’ont dit qu’ils refuseraient cette charge supplémentaire, d’autres qu’ils ne savaient pas comment l’absorber. »

En plein mois d’août, dans les rues de Paris, Lyon, Toulouse, Béthune ou Nantes, les personnels étaient appelés à se rassembler lors de deux journées d’action. Taux de mobilisation : autour de 13 %, soit l’équivalent « des dernières mobilisations contre la réforme des retraites ou le déploiement du CJPM », évalue la CGT. Laquelle y voit le signe d’un ras-le-bol des personnels, déjà fragilisés par le retour de la petite musique sécuritaire depuis l’été 2023 et les attaques contre la justice des mineurs jugée laxiste. « Pendant un an, on a entendu parler de sanctions, et non plus de prévention, pourtant à la base de notre travail avec les enfants, regrette Marc Hernandez. Et un an plus tard, on nous annonce la fin de ces contrats placés, par définition, d’abord sur des métiers en tension ? Ça a été la goutte d’eau ! » 

La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre, bien au-delà de la seule institution. Jusqu’aux acteurs associatifs qui, comme beaucoup, ont appris la nouvelle par les réseaux sociaux. « Notre solidarité avec les personnels est totale car nous œuvrons tous au bien-être des enfants, résume Pierre-Alain Sarthou, directeur général de la convention nationale Cnape dont les nombreux adhérents gestionnaires de centres éducatifs fermés entretiennent des relations étroites avec la DPJJ. La protection de l’enfance est un écosystème qui a besoin de tous ses rouages pour fonctionner : si l’un se grippe, cela augmente automatiquement les difficultés pour les autres. Les associations risquent donc fort d’en subir les conséquences. » Même inquiétude chez les magistrats qui ont bien compris, eux aussi, que le coût engendré par cette mesure d’économies pourrait être lourd. « Nous avons pu constater combien cela a été difficile pour les jeunes auxquels il a fallu annoncer la fin du contrat de leur éducateur, confirme à son tour Alice Grunenwald, présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. Or, on sait combien pour eux, comme pour tous ceux suivis en protection de l’enfance, la question des ruptures de prise en charge est compliquée. Tout cela laissera des traces. »

Premières conséquences ? 

Début septembre, la directrice de la PJJ s’est voulue rassurante : ce sont finalement 239 contrats qui n’auront pas été renouvelés fin août, a-t-elle chiffré dans un courriel adressé aux agents. « Le dégel d’une partie de notre budget, obtenu en août, nous a permis de diminuer de moitié l’effort initial d’économies à réaliser [et] rendu possible la reconduction rapide de ces contrats », à savoir dès le 15 octobre, a-t-elle indiqué. « Elle nous a affirmé s’être battue pour conserver un maximum d’agents, s’agace Josselin Valdenaire. La réalité c’est que sans la mobilisation des personnels, sans la pression syndicale et médiatique, sans le courage de certaines DIR qui ont pris leurs responsabilités, cela aurait pu être bien pire. »

Et que dire des conditions de travail durant cette période ? « Les premières conséquences se font déjà ressentir dans les services, déplore l’intersyndicale : augmentation de la charge de travail, tension dans les relations professionnelles, allongement des listes d’attente, priorisation des prises en charge, missionnements proposés ou imposés pour renforcer les hébergements… »« La PJJ a mis en place, avec les DIR, des plans d’adaptation des capacités des services en hébergement, en détention et en milieu ouvert », rétorque le ministère qui assure qu’aucune unité ou service n’a fermé et que la prise en charge des jeunes a été maintenue. Si la direction prévoit « une faible augmentation des délais de prise en charge en milieu ouvert », celle-ci ne sera que « temporaire ». « Tout ça pour ça !, tempête Vincent Fritsch, élu au bureau national du SNPES-PJJ/FSU. Tout cela pose vraiment la question de la lisibilité de l’action dans cette administration à la gestion problématique. »

Une chose est sûre : à la PJJ, il y aura un avant et un après, en particulier en termes de climat social. De quoi expliquer le dépôt d’un troisième préavis de grève, qui était prévu le 19 septembre, et la demande d’audience au nouveau Premier ministre, appelé à défendre les missions éducatives de la PJJ. Parmi les actes forts attendus : un plan de titularisation pour prémunir l’institution, employeuse de 20 % de contractuels, de choix gestionnaires similaires à l’avenir. « La décision de cet été a globalement envoyé un très mauvais signal sur les moyens accordés à la protection de l’enfance : malgré la pénurie existante, des décisions politiques continuent à priver les administrations de moyens de fonctionner, s’inquiète Pierre-Alain Sarthou. Toutes ces coupes budgétaires doivent cesser. » Le message aura-t-il été entendu à Bercy, tout occupé au redressement des finances publiques ?

* Les prénoms ont été modifiés

[1] Décret n° 2024-124 du 21 février 2024

[2] Lire Direction[s] n° 227, p. 18

Gladys Lepasteur

Repères

- 239 contractuels n’ont pas été renouvelés fin août ;

- 20 % de contractuels sont employés à la PJJ (source ministère) ;

- Une mission d’évaluation sur le pilotage des effectifs en 2024 est lancée par l’inspection IGJ.

« Quand on dirige, on anticipe »

« Ceux qui, comme moi, travaillent dans la fonction publique d’État depuis au moins vingt ans, ont subi ou accompagné la réforme générale des politiques publiques qui se donne des objectifs pour atteindre son dessein politique opérationnel. Nous avions, jusque-là, toujours eu droit à une communication partagée entre les échelons, nous permettant de comprendre là où on voulait nous emmener, même si nous n’étions pas toujours d’accord. Il y avait en tout cas une logique managériale. Du moins jusqu’ici : par la brutalité de l’annonce, par l’absence d’anticipation, par la casse humaine qu’elle a engendrée et la décrédibilisation inédite de la DPJJ qu’elle a provoquée, ce qui s’est passé est une première ! Les cadres du secteur le savent : diriger, c’est savoir anticiper et donner du sens. Là, il n’y a rien de tout cela ! Comment comprendre la décision de se passer de centaines de personnels, dont les deux tiers avaient déjà resigné leur contrat ? Est-ce dû à des fautes de gestion ? Si oui, comment imaginer qu’elles soient d’une telle ampleur ? Est-ce le résultat d’une problématique interne dans un contexte politique qui, rappelons-le, était alors délétère, en particulier pour les fonctionnaires ? Voire d’un différend interministériel entre Bercy et le ministère de la Justice ? L’inspection diligentée doit nous aider à comprendre ce qui témoigne de l’incurie d’un système. »

Témoignage d’une cadre de direction, vingt-cinq ans de service à la DPJJ

Publié dans le magazine Direction[s] N° 234 - octobre 2024






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