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Temps partiels dans la BAD
Le dessous des cartes

16/03/2016

Après deux ans de négociations, la branche de l’aide à domicile (BAD) a échoué à conclure un accord dérogatoire sur le temps partiel. La durée minimale de travail de 24 heures s’applique donc à un secteur qui subit déjà des conditions de travail difficiles.

« Les discussions ont duré bien trop longtemps et ont, sans doute, abouti à un texte trop complexe, analyse aujourd’hui Manuela Pinto, responsable des relations sociales à l’union nationale de l’aide à domicile UNA. Nous aurions probablement dû les restreindre à la seule question de la durée minimale conventionnelle. » Fin 2015, la branche de l’aide à domicile (BAD) a dû constater l’échec de ses négociations sur le temps partiel, deux ans après leur lancement. Les gestionnaires qui ont espéré, un temps, pouvoir bénéficier de dispositions conventionnelles plus adaptées à leurs activités, ont donc dû se résoudre : dans le champ comme ailleurs, la durée minimale de travail reste donc fixée à 24 heures par semaine pour les nouvelles embauches. Retour sur une négociation qui s’est enlisée, supplantée par celle sur les conditions de travail dans le secteur. Bien plus explosive.  

Application du droit commun

Depuis le 1er janvier 2014, les nouveaux contrats de travail doivent comporter au moins une durée de 24 heures hebdomadaires, a fixé la loi de sécurisation de l’emploi [1]. Jusqu’à la publication d’une ordonnance de simplification fin janvier 2015 [2], cette obligation devait également être applicable, à terme, aux professionnels déjà en poste et aux CDD de remplacement. Un véritable casse-tête pour la branche qui compte 76 % de temps partiels, ont tenté de plaider les fédérations auprès des pouvoirs publics. Tout en rappelant leurs spécificités : nombre important de salariés « multi-employeurs », cadrages financiers fixés par les tutelles… En vain.

L’objectif des discussions ouvertes en novembre 2013 ? Identifier les cas et métiers susceptibles d’être recrutés pour des durées moindres, et se doter d’un accord de branche étendu. Ce, avec plus ou moins d’entrain, notamment des syndicats non signataires de l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2013, inspirateur de la loi. « Négocier pour permettre des embauches à temps partiel, dans un secteur où les personnels peinent déjà à obtenir un temps plein ? Pas question ! », a rejeté d’emblée Josette Ragot, secrétaire générale adjointe de la Fédération nationale de l’action sociale Fnas-FO.

Devant le peu d’enthousiasme suscité par les premières propositions patronales, les partenaires sociaux se sont lancés dans un inventaire à la Prévert : salariés soumis à des restrictions pour raisons de santé ou intégrés aux équipes de fin de semaine, professionnels embauchés dans le cadre de nouvelles activités, personnels médicaux… Non sans y poser une condition préalable : avant tout recrutement, les employeurs auraient dû proposer aux professionnels présents une augmentation de leur temps de travail.

Donnant-donnant

Conformément à la loi, toute exception appelle des contreparties. Comme l’instauration d’une plage d’indisponibilité, permettant d’organiser les plannings pour faciliter le cumul de plusieurs emplois par les salariés concernés. Mais hors de question de fixer les horaires, ni même la durée de demi-journées (ou journées) complètes dans le texte final : au terrain d’en négocier les modalités. « C’est impossible de les figer à l’avance, tant la gestion des plannings qui dépendent des aléas liés à l’état de santé des bénéficiaires (sorties d’hospitalisation, décès…) est déjà une préoccupation quotidienne », justifie Manuela Pinto.

Mais c’est sûrement la question de la rémunération des heures complémentaires qui a cristallisé les passions. Un point pourtant absent de l’ordre du jour initial, précise le collège patronal, mais ajouté à la demande du mastodonte syndical qu’est la CFDT, décidée à rebalayer aussi certaines dispositions conventionnelles sur le temps partiel en général. Car la nouvelle législation a introduit le principe d’une première majoration de ces heures complémentaires, dès la première heure travaillée (+10 %, dans la limite du dixième du temps de travail contractuel). Tout en maintenant la seconde augmentation de 25 % pour le temps accompli au-delà [3]. Des mesures bien plus favorables que celles prévues par l’accord de branche de 2006 sur la modulation [4]. « Cela revient à une rupture d’égalité de traitement entre salariés », refuse Loïc Le Noc, secrétaire fédéral de la CFDT Santé sociaux. Comparaison n’est pas raison, martèlent les employeurs pour qui les heures complémentaires des temps partiels mensualisés et celles de dépassement annuel liées à la modulation relèvent de deux régimes juridiques différents. Cette interprétation, confirmée début février par la Direction générale du travail (DGT), est loin d’être opposable, reprend Loic Le Noc : « D’autant qu’il y a deux ans, l’administration disait le contraire ! Tout cela aurait certes un coût, mais l’explosion actuelle des compteurs de modulation provient d’abord de la mauvaise gestion des structures. » La facture est potentiellement élevée : 64 % des structures ont choisi la carte de la modulation.

Autre point d’achoppement, s’il en fallait ? Le régime des interruptions quotidiennes dans la BAD, doté de « trop faibles contreparties par rapport aux contraintes des salariés », a cherché à convaincre la CFDT. Nouvelle fin de non-recevoir : « Ces dispositions sont indispensables au fonctionnement des services », recadre Claire Perrault, secrétaire générale adjointe de la fédération d'aide à domicile Fnaafp-CSF.    

L’arbre et la forêt 

Aujourd’hui, du côté de l’union syndicale USB-Domicile, on relativise, non sans exclure la possibilité de rouvrir le dossier ultérieurement. En attendant, la nouvelle donne ne va pas aider à fluidifier la gestion des ressources humaines, reconnaît Laurence Jacquon, directrice adjointe de l’union nationale ADMR. « Les gestionnaires sont placés face à un triple choix : soit ils "rament" pour obtenir un volume d’heures suffisant pour recruter, soit ils trouvent des salariés acceptant d’en faire plus, ou d’autres renonçant, pour raison personnelles, à la durée minimale. » Une dernière option qui n’est pourtant de l’intérêt de personne, souligne Micheline Mauduit, directrice générale du cabinet de consultants Croff et associés. « Multiplier de tels contrats empêche de stabiliser les personnes dans l’emploi et entraîne un fort turn-over. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la qualité de service. »« De toute façon, faute de moyens, nous n’avons pas pu embaucher depuis deux ans, balaie Marie-Thérèse Dacquin, directrice de l’UNA Saint-Omer (Pas-de-Calais). Notre vrai sujet c’est d’abord celui de la distorsion de concurrence avec le secteur lucratif et du financement. » Des difficultés confirmées début février par les premiers résultats de l'étude nationale des coûts (ENC), dévoilés lors du comité de pilotage de refondation.  

Voilà qui ne devrait pas contribuer à rendre de l’attractivité au secteur. « Les services multiplient les plannings morcelés pour réaliser des économies de bouts de chandelle ! Il est urgent de trouver un terrain d’entente », prévient la CFDT. « La désorganisation des emplois du temps, et donc les conditions du travail, c’est ça le véritable et unique enjeu de négociation pour la branche aujourd’hui », résume Josette Ragot.

 

[1] Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013

[2] Ordonnance n° 2015-82 du 29 janvier 2015

[3] Dans la limite du tiers de la durée contractuelle. 

[4] Accord du 30 mars 2006

Gladys Lepasteur

« Des conditions d'emploi très dégradées »

François-Xavier Devetter, économiste, directeur adjoint du centre de recherche Clersé, à Lille

« Les indicateurs montrent combien les conditions d’emploi sont très dégradées : dès qu’elle dépasse 25 ou 26 heures d’intervention, une aide à domicile atteint un niveau de pénibilité insoutenable. D’autant que nombreux sont les moments liés à l’activité professionnelle (réunions, déplacements…) qui ne sont pas socialement reconnus. Dans d’autres secteurs en revanche (transport ferroviaire, enseignement…), des temps de récupération sont intégrés au temps de travail effectif. Si on appliquait un ratio de +39 % par exemple, ces 26 heures pourraient être équivalentes à un temps plein. Cela permettrait à la profession de rejoindre la moyenne des employés et ouvriers en termes de rémunération. Dans ce contexte, la tentative de déroger à la durée légale minimale témoigne d’abord de la contrainte budgétaire forte qui pèse sur les associations, chargées de gérer la pénurie. Seules celles qui sont correctement tarifiées peuvent proposer des emplois décents. »

 

Repères

  • Les personnels en poste avant le 1er janvier 2014 disposent d’une priorité d’accès à une durée supérieure de travail.
  • Claire Perrault (Fnaafp-CSF) : « Dans la BAD, le temps de travail augmente avec le niveau de qualification. En moyenne, les salariés de catégories B et C sont déjà au-dessus des 104 heures minimales mensuelles… »
  • Parmi les dérogations légales ? Les étudiants de moins de 26 ans, les CDD de remplacement et ceux de 7 jours au plus ou à la demande du salarié.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 141 - avril 2016






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