« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage… », écrivait le fabuliste. Capacité à garder le cap et son calme quand tout s'agite autour de vous, vantée par tous les aspirants à la sagesse, la patience n’est-elle pas également une vertu cardinale pour les managers ? C’est particulièrement vrai dans le champ social et médico-social, insiste Philippe Gaudon, lui-même ancien directeur général d’association, aujourd’hui coach et consultant à la tête du cabinet de conseil spécialisé Efects : « L’essentiel des professions des secteurs de l’accompagnement social, éducatif et du soin est fondé sur la patience auprès des bénéficiaires, le temps nécessaire à la qualité de la relation, à l’obtention et la stabilisation des acquis. C’est même une dimension revendiquée, comme l’illustre le cas des soignants en Ehpad, auxquels il peut être demandé une productivité "contre-nature". Il est donc logique que l’on attende du dirigeant cette même posture, "en miroir", vis-à-vis des équipes. »
Le temps long comme horizon
C’est bien ce que s’attachent à appliquer au quotidien des directeurs et directrices du secteur. « La patience me paraît incontournable lorsque l’on manage, afin de temporiser et de concerter par exemple », illustre ainsi Élisabeth Liotard, directrice de l’association Viffil SOS Femmes, à Villeurbanne (Rhône). C'est aussi une qualité intrinsèque de la fonction, de l’avis de Guillaume Salomon, directeur de territoire pour l’association Adapei 77 (Seine-et-Marne) : « Elle permet de réfléchir, de prendre une certaine hauteur de vue, ce qui fait précisément partie de la pratique managériale. »
« En outre, il est essentiel de diffuser aux collaborateurs l’idée que les choses prennent nécessairement du temps, renchérit Élisabeth Liotard. Être patient, c’est également accepter le principe que tout ne déroule pas toujours comme prévu ! Le risque de l’impatience au contraire, c’est d’aller trop vite et, par conséquent de se tromper… »
Un point que remarque la psychologue et psychothérapeute Sophie Darne. « J’observe souvent la même attitude chez les dirigeants face aux plaintes des équipes : ils le prennent contre eux-mêmes, estiment que cela les vise directement et peuvent en retour manifester un certain agacement, explique la praticienne. Or, la plainte peut avoir plusieurs fonctions qu’il faut savoir cerner : il peut par exemple s’agir d’un questionnement quant à l’organisation, à la structure. Elle peut aussi être entendue comme une demande de reconnaissance. Le manager qui répond patiemment aux professionnels laisse ainsi se dérouler le temps de la problématique soulevée, tout en sachant se montrer disponible pour bâtir "l’après", pour construire des solutions concertées. »
In media stat virtus
Ce rapport au temps long, qui nous fait « sortir de l’urgence », est donc tout à fait essentiel, souligne Sophie Darne. Pour laquelle il faut cependant savoir aussi s’écouter : « La nécessité de garder son sang-froid ne doit pas non plus basculer dans l’injonction. »
« Tout est question d’équilibre, estime Guillaume Salomon. Il faut parfois bousculer les choses. Cela fait également partie des compétences du dirigeant, qui doit être en capacité de s’adapter aux publics et aux situations. Car trop de calme peut dans certains cas engendrer une forme de frustration, voire conduire à l’inaction… » Le « patient » n’est-il pas aussi celui qui endure, qui attend, au choix, le soin, la guérison, ou observe le moment advenu de sa propre fin ?
Le reflet de la sécurité intérieure
Peut-on alors parfois excuser le manager impétueux ? Oui, juge Philippe Gaudon. « Son impatience pourra s’admettre dans certaines situations, qui justifient des mesures correctrices rapides pour la sécurité des personnes et des professionnels, telles que la gestion des risques », relève le consultant. Qui insiste sur l’exigence de rester soi-même :
« Comme toujours, cette qualité du directeur ou cadre ne sera bénéfique que si elle est la traduction sincère et authentique de sa sécurité intérieure. L’impatience peut être tolérée par les professionnels si elle se révèle juste. Ils ne sont pas dupes de managers qui seraient dans une forme d’hyper-contrôle, juste pour tenter de se conformer aux codes de maîtrise de soi prônés par l’environnement socio-culturel ambiant. Cela sonnerait faux ! »
Justine Canonne
Publié dans le magazine Direction[s] N° 208 - mai 2022