« Quand je suis arrivée dans cette association, c'était un peu la catastrophe. Mais j'y ai vu un beau challenge que je souhaitais relever : il y avait tout à construire. En quatre années, j’ai pu remettre à flot financièrement les établissements, réaliser les investissements nécessaires au bon état de fonctionnement, ou encore écrire les projets d’établissement, contrats de séjour, livrets d’accueil, le règlement de fonctionnement. Tout cela sans aide extérieure : j’ai piloté tout ce travail à l’interne, avec un comptable, une secrétaire, un chef de service.
"Jongler avec la psychologie de la présidente"
Malgré mon travail et mon engagement acharné, ma présidente se plaignait toujours de quelque chose. Elle voulait tout savoir, intervenait et désapprouvait mes décisions et me demandait de faire autrement. En plus de la charge de travail, il fallait jongler avec sa psychologie, faire ce qu’elle demandait tout en prenant en compte les personnels dans les problématiques qu’ils rencontraient et les accompagner au mieux. J’étais plus qu’épuisée. J'avais suffisamment bien géré le budget pour pouvoir créer un nouveau poste pour m’épauler, mais le conseil d'administration refusait : "Il n’y aura plus assez de travail pour vous." J’hallucinais ! Le pire, c'était les mercredis. La présidente demandait que j’assiste à l’ensemble des réunions de service, malgré la présence des chefs de service, avec les conseils d'administration le soir. Ma journée démarrait à 8 heures et terminait souvent entre 23 heures et minuit...
"J’avais un cancer depuis un an"
Le non-respect de ma vie privée était aussi difficile à vivre. Le dimanche, la présidente voulait faire le point pour la semaine à venir et savoir comment j’allais m’organiser. Tous les jours de la semaine, je l’avais au téléphone de 18 h 30 à presque 20 heures. J’avais constamment des maux de tête et des ganglions dans le cou. Au vu de mon rythme de travail et de mon engagement, je n'ai pas pris le temps de retourner chez mon médecin. Il s’est avéré que j’avais un cancer du cavum depuis un an. C'est seulement à ce moment que je me suis rendu compte à quel point cette pression quotidienne, ce rythme, m’avaient empêché juste de prendre un peu soin de moi.
Après mon opération et le début de ma chimiothérapie, je suis retournée travailler en mi-temps thérapeutique. J’avais une telle pression insidieuse sur la désorganisation des établissements due à mon absence, la difficulté de me remplacer par des CDD, qu’en septembre 2018 je ne pesais plus que 44 kg. J’avais peur d’être licenciée et ne pas retrouver du travail. Finalement, je suis partie quelque mois après, grâce à une rupture conventionnelle.
"En invalidité à l’âge de 48 ans"
Les conséquences ont été tellement importantes qu’aujourd’hui, à 48 ans, je suis en invalidité. Jai largement manqué de positionnement, certainement par crainte ou par besoin de reconnaissance. J’étais fière du discours véhiculé sur le fait que j'étais très travailleuse et engagée. Réaliser son travail, ses missions avec professionnalisme, ne devrait pas nous obliger à travailler comme des acharnés pour être reconnus. Pourquoi le directeur devrait-il travailler douze heures par jour ? Pourquoi ne pourrions-nous pas avoir un métier intéressant et engageant, ainsi qu'une vie privée avec du temps pour soi et sa famille? Le travail doit être à sa juste place. »
Propos recueillis par Laura Taillandier