« L’alerte ? Un accident de voiture, en 2010. J’étais chef de service et me rendais à un rendez-vous quand j’ai eu un moment d’absence et j'ai percuté une voiture. Malgré quelques jours d’arrêt, la fatigue était toujours présente. J’avais des vertiges. J’ai découvert que j’étais à l’avant-stade de l’infarctus. Pourquoi ? À force de toujours répondre oui, d’être toujours présent, de courir après le temps, de suivre les injonctions… Avec le directeur, nous étions partis dans la machine ensemble.
"J’ai dormi pendant quatre mois"
Je n’arrivais plus à dormir entre trois heures et quatre heures du matin. On accumule la fatigue, on ne mange même plus le midi car c’est le moment où on peut avancer. Il y a eu une période où je démarrais mes journées à 6 heures pour avoir le temps de faire mon travail et être ensuite disponible pour les personnels et les familles, pour faire la partie intéressante du travail. Cet équilibre que je cherchais pesait sur ma fatigue. J’ai compensé, compensé… J’ai tenu un an après mon accident.
Une fois arrêté, j’ai dormi pendant quatre mois. Je mettais mon réveil le matin pour accompagner mes enfants à l’école et je me recouchais. Puis, j’ai senti l’énergie revenir, je me suis remis à la course à pied. Au bout de cinq mois, la présidente de l’association m’a contacté pour me proposer l’intérim du poste de directeur qui, lui aussi, avait craqué. J’ai proposé un essai avec une feuille de route de six pages : l’établissement que je souhaitais diriger. J’ai eu carte blanche. Ça fait aujourd’hui dix ans que je suis à la direction.
"Être à l’écoute de soi"
Mon idée ? Remettre tout le monde à la bonne place. Une année ne fait que 365 jours. Le nombre d’enfants accueillis est connu, le nombre de personnels financés aussi. Les plannings sont organisés avec les moyens ainsi alloués en connaissance de cause. Il y a des éléments qu’on ne maîtrise pas, mais on peut organiser le reste en co-construction avec les équipes : une semaine-type, avec des roulements équitables, en prenant soin de limiter les allers-retours comme nous sommes en milieu rural. Avant de travailler un week-end, trois jours de repos ! Nous sommes déjà à la semaine de quatre jours. Avec des heures volantes à la libre appréciation des personnels pour le lien avec les partenaires. Notre ancienneté est passé de 3,5 ans à 12 ans et demi.
Je n’échappe à cette organisation. Dans ma feuille de route est inscrit le fait que l’association ne se développe pas. On partage aussi le pouvoir de décision pour que personne ne soit isolé. Les journées et les semaines restent chargés mais nous organisons des moments de convivialité dans l’établissement pour avoir un retour de bénéfice de notre travail.
Mes conseils ? Être à l’écoute de soi et interroger les signes du corps. Et ne pas s’interdire de dire les choses, surtout non ! Quand j’ai des moments de fatigue je me repose. Il faut bien poser ce que l’on a en priorité dans son agenda. Travailler aussi le management de proximité en valorisant les initiatives. Je dis toujours à mes salariés : lorsque l’on vous demande un rendez-vous, tournez tout de suite votre agenda à la semaine suivante. Les urgences : ce sont les pompiers et les gendarmes ! »
Propos recueillis par Laura Taillandier