« Comment j’en suis arrivée là ? L’accumulation de plusieurs choses et le sentiment de solitude face aux difficultés. Celles à recruter des personnels formés et expérimentés. Ce qui participe d’une baisse de la qualité de la prise en charge et entraîne un glissement des missions des cadres intermédiaires. Le chef de service est aussi celui auquel l’équipe s’en prend lorsqu’il y a une contestation des décisions ou des conditions de travail. Car, c’est lui qui est là.
J’étais confrontée enfin à une organisation associative extrêmement lourde avec énormément de strates hiérarchiques et de services de fonction support à côté. La circulation de l’information était complexe et plus personne ne savait vraiment ce qui relevait de son champ de compétences. Nous intervenons auprès de mineurs ce qui nous demande au contraire de l’agilité, de la rapidité, de la réactivité…
"Je me suis sentie comme écrasée"
Tout cela m’a conduit à quelque chose d’un peu fou : mon travail est venu de manière insidieuse prendre une place très importante dans ma sphère familiale et personnelle, jusqu’à ce que mon métier devienne ma passion. Comme d’autres font du sport ou du théâtre. J’en étais fière. Je me disais « tu ne dors plus que 4 heures par nuit, tu es surhumaine ! » J’étais réveillée chaque nuit par l’angoisse de ce que j’avais à faire le lendemain. J’en profitais pour faire des post-its avec les points importants, puis pour programmer les envois de mails de la journée. Arrivée à cinq heures du matin, à quoi bon se recoucher ?
Puis cela s’est aggravé. Il y a eu un évènement déclencheur, pas plus grave que d’habitude, et je me suis écroulée. Bien sûr pas devant mon équipe. J’ai fermé la porte de mon bureau et je me suis effondrée. J’ai pleuré pendant trois jours consécutifs. Je me sentie comme écrasée. Je n’avais plus de jus, plus de carburant. Je n’arrivais même plus à me lever. C’est effrayant car je suis quelqu’un de dynamique.
"Un parcours du combattant"
Le premier enjeu est de ne pas le voir comme un échec personnel et de mesurer quand on a fait tout ce qu’on a pu. Seul un robot aurait fait mieux ! L’autre difficulté du salarié en burn-out, c’est le manque de reconnaissance. C’est le travail qui m’a conduit à cette situation et pourtant ce n’est pas réellement reconnu comme tel. On se retrouve très seul. Il faut avoir l’énergie de mettre en place un accompagnement adéquat pour comprendre les leviers à actionner pour ne plus que cela se reproduise.
C’est un vrai parcours du combattant. Il y a peu de psychiatres et financièrement les séances chez le psychologue sont à notre charge. J’imaginais naïvement que l’employeur prendrait sa part. Je considère que nous sommes autant fautifs l’un que l’autre. Moi pour avoir donné au-delà de mes forces, lui pour ne pas avoir répondu à mes alertes sur l’organisation.
Ce devrait être le temps de prendre du recul et de questionner mes motivations. Mais pour l’instant, je ne suis en capacité de ne faire qu’une chose par jour : faire les courses ou lire un livre. Le burn-out est tellement impactant physiquement et psychologiquement ! Et pourtant c’est vu par l’employeur comme un mouvement d’humeur ou de contestation... Ce déni empêche le changement. Or, il faut un travail sur les organisations. Peu importe qui me remplacera, l’issue sera la même. Témoigner c’est aussi pour moi prendre mes responsabilités. »
Propos recueillis par Laura Taillandier