Les CVS réformés doivent devenir des instances, comme ici à l’Ehpad Au Savel, à Contes (Alpes-Maritimes), où la voix des personnes accompagnées est prépondérante.
Les nouveaux conseils de la vie sociale (CVS) devaient permettre le « choc de transparence » souhaité par le Gouvernement après le scandale Orpea [1] et devenir de vrais « lieux de dialogue, de démocratie, parfois de contre-pouvoir ». Ce, en élargissant leur composition, en permettant à des autorités extérieures de s’y inviter ou encore en associant ses membres à la construction du projet d’établissement. Cependant, un an après leur entrée en vigueur, ils peinent encore à remplir leurs missions et suscitent plus d’interrogations que d’engouement...
Les choses avaient pourtant bien commencé. Après un constat unanime du besoin de revoir ces instances vieilles de vingt ans, souvent jugées mal mises en œuvre et peu efficaces, les principales fédérations du secteur se sont retrouvées fin 2021 autour de la ministre déléguée à l’Autonomie d’alors. Une rencontre suivie d’une deuxième concertation début 2022, avant une troisième prévue pour examiner le texte réglementaire en construction. « Celle-ci n’a jamais eu lieu, déplore Pascal Le Bihanic, consultant-formateur en gérontologie et animateur du blog CVS Part'âge. Nous avons vu le décret arriver brutalement, sans en avoir été informés. »
Des espoirs douchés
Et pour beaucoup, le texte final [2] qui, au-delà des seuls CVS, vise toutes les instances de participation des établissements et services sociaux et médico-sociaux, n’est pas à la hauteur des attentes. « S’il contient plusieurs points positifs, comme l’ouverture à de nouveaux intervenants tels que les proches aidants, les bénévoles ou les groupements de personnes accompagnées [3], il comporte également de nombreuses insuffisances, comme la sous-représentation des familles ou le maintien d’une présidence unique », pointe Jacques Rastoul, président de l’Inter-CVS 91. Sans compter les zones d’ombre et imprécisions relevées par tous. Quid notamment de la formulation utilisée pour élargir la composition du CVS seulement... « si la nature de l’établissement ou du service le justifie » ? Un « détail » dont dépend pourtant la présence des familles et qui n’est pas sans créer de l’ambiguïté. « Si les directeurs ont une lecture restrictive du texte, ils peuvent mettre en place un CVS avec uniquement quatre membres, dont eux, s’alarme Séverine Laboue, directrice du groupe hospitalier Loos-Haubourdin. La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) nous dit que c’est une mauvaise interprétation des dispositions que de fermer la composition de cette instance, mais le décret aurait dû créer un socle minimum plus important pour qu’il n’y ait pas de doute. » Le texte ne dit rien par ailleurs des modalités d’élection des représentants des bénévoles et du personnel médico-soignant (vote ou désignation ?), ni même du périmètre des collèges des nouveaux élus.
Manque d’engouement
En attendant, les structures ont tout de même dû se mettre en ordre de marche pour l’entrée en vigueur de la réforme, début 2023. Du moins en théorie. « Étonnamment, nous n’avons eu que très peu de questions d’adhérents, alors qu’ils sont généralement très soucieux de la démocratie participative, observe Pierre-Alain Sarthou, directeur général de la convention nationale Cnape. Je ne suis pas certain qu’ils se soient encore bien approprié le texte qui implique, il faut le dire, de nouvelles charges administratives importantes. » Même son de cloche du côté de Priscille Bignaux, cheffe de projet Participation et expression à l’APF France handicap : « Nous n’avons eu à ce stade que peu de retours, si ce n’est sur la demande d’outils. Cela dit, nous avons fait le choix de ne renouveler la composition des CVS qu’à la fin des mandats en cours. Nous finalisons en ce moment la révision du modèle de règlement intérieur, dans lequel les repères que nous avions ont été conservés, s’agissant notamment de la présence des familles et de la durée de mandat. »
Une question commence toutefois à tarauder les directeurs et changera peut-être l’appréhension encore timide de cette réforme : celle du rôle que jouera désormais dans les évaluations l’instance 3.0, qui doit être entendue lors de la procédure, informée des résultats et partie prenante de la mise en œuvre des mesures correctrices.
Pour autant, certains gestionnaires motivés s’en sont déjà emparés. Et l’ont fait comme ils l’entendaient. « Je pars du principe que ce qui n’est pas explicitement interdit est autorisé, explique Séverine Laboue. Je me suis donc servie du décret pour étendre encore la composition des CVS des deux résidences de mon Ehpad. Toutes les personnes listées par le texte ont été incluses et j’ai par ailleurs écrit aux autorités pouvant désormais assister aux débats. Seuls les élus de la ville et la commission des usagers m’ont répondu. Aucune nouvelle en revanche du département, de l’agence régionale de santé (ARS), de la personne qualifiée ni du Défenseur des droits. » Jacques Rastoul, quant à lui, s’interroge : « Je ne vois pas très bien comment cette disposition permettant à des personnes extérieures de venir à des réunions pourra se mettre en place. Il y a 105 Ehpad en Essonne : est-il réaliste de penser que l’ARS et le département vont se déplacer dans chaque structure ? »
Au niveau national, plusieurs fédérations de directeurs et d’usagers, réunies au sein du collectif CVS Concert’, ont fait part de leurs critiques et de leurs préconisations dans un rapport transmis début février au ministère.
Porte fermée ?
Hasard du calendrier ? L’administration a publié le lendemain une foire aux questions, suivie d’une nouvelle version en avril, pour apporter des précisions sur la mise en œuvre du texte… Aussitôt jugées insuffisantes, voire contre-productives. « Ces documents comportent des contresens juridiques, s’inquiète Pascal Le Bihanic. Par exemple, il est dit que le CVS doit être consulté sur le projet d’établissement, alors que le décret précise qu’il doit y être associé, ce qui ne correspond pas au même niveau de concertation. »
Le 10 juillet, une porte semblait toutefois s’ouvrir après une rencontre avec l’ex-ministre Jean-Christophe Combe [4]. « Il a bien compris nos observations et demandé dans la foulée à la DGCS d’ouvrir un nouveau cycle de concertation », raconte Pascal Le Bihanic. Une embellie de courte durée : plus question en effet de nouvelle concertation lors de la « réunion d’échange » organisée le 25 août, soit un mois après l’arrivée d’Aurore Bergé à la tête du ministère des Solidarités et des Familles. Effet du remaniement ? « Les délégués de la DGCS nous ont dit qu’ils ne voyaient pas de raison d’en engager une, sans même mentionner notre rapport, et qu’il était préférable d’attendre la restitution des États généraux de la maltraitance et la Conférence nationale de santé pour décider ce qu’il convenait de faire », s’agace Pascal Le Bihanic. De son côté, la DGCS répond qu’elle a « entend[u] les diverses remarques et revendications du collectif » et qu’elle « rebalaie le décret et la foire aux questions au regard de [ces dernières], pour pouvoir, si besoin, apporter les précisions nécessaires ». Sous quelle forme ? Dans quel délai ? Aucun détail n’est pour l’heure avancé.
[1] Lire Direction[s] n° 206, p. 6
[2] Décret n° 2022-688 du 25 avril 2022
[3] Associations, conseils départementaux de la citoyenneté et de l'autonomie, inter-CVS...
[4] Lire Direction[s] n° 218, p. 11
Élise Brissaud
Repères
- 01/01/2023 : date d’entrée en vigueur des CVS réformés.
- 6 : nombre de nouveaux membres (représentants des personnes accompagnées, des aidants, des mandataires judiciaires MJPM, des bénévoles, des membres de l’équipe médico-soignante et le médecin coordonnateur).
- 15 jours : délai minimum pour la communication de l’ordre du jour contre 8 auparavant.
« Ce qui pose question, c’est l’effectivité »
Olivier Poinsot, juriste au cabinet Accens avocats
« Sur le papier, le CVS c’est très bien. Mais son utilité dépend surtout de la façon dont on le met en œuvre. Les établissements Orpea qui ont fait scandale avaient des CVS qui respectaient formellement les exigences réglementaires et on voit bien que cela n’a pas changé grand-chose. Le décret d’avril 2022 est intéressant car il ouvre ces instances à des regards extérieurs : encore faut-il qu’ils s’exercent et que les expressions soient prises en compte. Le problème central des CVS est donc celui de leur effectivité : est-ce qu’il existe une vraie participation des individus ? Sont-ils en capacité d’y contribuer efficacement, avec compétence et détermination ? Sur ces questions de fond, la réforme d’avril 2022 ne change malheureusement rien. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 225 - décembre 2023