Au siège social d’Airbus Helicopters, à Marignane (Bouches-du-Rhône), les chaînes de production, les bureaux de recherche et développement, les terrains d’essai et les locaux administratifs s’alignent sur 80 hectares. Parmi les milliers de salariés qui fourmillent sur place, quelque 200 employés viennent d’établissements et services d’aide par le travail (Esat) et d’entreprises adaptées (EA). Ils entretiennent les espaces verts, s’occupent d’une partie de la blanchisserie (nettoyage et livraison des tenues des collaborateurs) et gèrent plusieurs magasins d’approvisionnement destinés aux ateliers du site. Surtout, ils battent en brèche l’idée selon laquelle le handicap serait incompatible avec la technologie de pointe.
À l’entrée du 5QE, l’un des entrepôts mis à disposition par la multinationale de ses prestataires, une affiche avance un début d’explication : Coopsoc. Comprendre : Association pour la coopération sociale, une structure qui coordonne aujourd’hui l’offre de 35 établissements du secteur protégé et adapté, dont une majorité d’Esat. Et qui joue ainsi un rôle d’interlocuteur unique auprès des donneurs d’ordre.
La démarche fonctionne si bien que le partenariat avec l’ex-Eurocopter – né dès les débuts de la Coopsoc il y a 50 ans – s’est consolidé au mois de janvier via une convention pluriannuelle, assortie d’un master service agreement (contrat de fourniture de services valable pour une durée de quatre ans). À ce jour, les commandes du groupe aéronautique impliquent également 150 personnes hors du site industriel, directement dans leur Esat ou EA respectifs. « En 2014, le taux d'emploi des travailleurs en situation de handicap au sein d'Airbus Helicopters en France était de 6,9 % dont 2,8 % via la Coopsoc, précise Bernard Bourelly, responsable des politiques sociales de la multinationale. Les 4,1 % restant sont des emplois directs. » Résultat pratique ? À l’Esat Parade-Rouet, à Marseille, membre de l'association, les équipes manufacturent des poignées, filets de soute et banquettes pour hélicoptères. Une activité qui s’ajoute aux autres filières développées par l’établissement pour des clients professionnels, telles que la fabrication de petits équipements de plongée ou l’emballage de savon.
Comme une plateforme d’appels d’offres
« La Coopsoc a un rôle de mutualisation du secteur protégé et adapté, souligne Bernard Bourelly. Pour une entreprise comme Airbus, c’est utile. Il serait plus contraignant de travailler avec des prestataires trop morcelés. » Ainsi, elle a mis en ligne une plateforme afin de diffuser à ses adhérents les appels d’offres susceptibles de les concerner. À chaque fois, la procédure est la même : « Les établissements ont 48 heures pour se positionner, explique la directrice Katia Mautino. Je désigne ensuite le preneur suivant des critères précis, détaillés dans le cahier des charges de la Coopsoc. » Ils relèvent de différents aspects : capacités humaines, techniques et matérielles ; filières d’intervention de la structure candidate (définie chaque année) ; exigences du client ; niveau d’urgence de l’appel d’offres ; indicateurs d’activité (notamment le chiffre d’affaires réalisé par le postulant grâce à l'association). « Nous essayons d’amener tous les établissements au même niveau. À compétences égales, nous choisirons donc celui qui a le moins de marchés », ajoute Katia Mautino. Pas question, pour cette dernière, de juger de la qualité des prestations des structures. Les « réclamations » des clients, recueillies dans un fichier, permettent d’assurer une forme de contrôle qualité. Une fois la relation établie entre l’établissement et le client, elle peut devenir pérenne. La Coopsoc peut soit s’éclipser (en particulier lorsque le marché n’implique qu’un seul Esat), soit assurer des fonctions de gestion et de coordination des prestations (dans le cas où la réponse à l’appel d’offres s’effectue à plusieurs voix).
Des arbitrages au quotidien
Cette procédure de sélection des candidats ne souffre guère de contestation. « En dix ans, je n’ai vu que deux démissions d’établissements », observe la directrice, sur laquelle repose l’arbitrage au quotidien. Pour cause : elle doit ensuite rendre des comptes à son conseil d’administration. Composé pour un tiers de représentants des associations gestionnaires adhérentes et pour deux tiers des directeurs d’Esat également membres, cette instance se réunit régulièrement. À cela s’ajoutent les rencontres mensuelles entre tous les établissements. De quoi obliger à une certaine transparence. « Nous sommes (ou avons été) tous directeurs de structures, commente le président, Yves Chkroun. Nous avons l’œil, c’est sûr ! » Il vaut mieux, vu que les marchés qui transitent par la plateforme représentent au total 9 millions d’euros de chiffre d’affaires dont 7 millions uniquement pour Airbus Helicopters. Pour ce partenaire particulier, le conseil d’administration a donc décidé d’élargir le nombre de sous-traitants. Au cours des trois dernières années, ils sont ainsi passés de 10 à 24. En cas d'ouverture d'un marché, de nouveaux membres entreraient dans la boucle.
La fin de la concurrence sauvage
Pour les Esat, ce fonctionnement est vécu comme une régulation. En témoigne Virginie Druelle, monitrice d’atelier à Parade-Rouet. « Personellement, je n’ai pas la pression, estime-t-elle. Avec Airbus, nous recevons les commandes bien en amont. Nous avons une bonne marge pour travailler. » Autre effet bénéfique direct : « Nous ne sommes plus dans de la concurrence sauvage, plutôt dans le partage. Cela nous permet de répondre à des commandes de plus grande ampleur. Il m’est d’ailleurs arrivé d’apporter un marché que nous nous sommes ensuite redispatchés », observe Patrick Faccio, directeur de l’Esat Les Pierres Fauves, à Vitrolles, et administrateur de la Coopsoc. « À l’origine, en 1965, ce sont trois ou quatre directeurs d’Esat qui se sont regroupés pour répondre à une commande du lessivier Bonux », rappelle Yves Chkroun.
Le collectif fonctionne d’autant mieux aujourd’hui que l’association compte désormais deux commerciaux (sur sept équivalents temps plein – ETP). Lesquels permettent d'assurer 50 % des marchés qui transitent sur la plateforme, le reste des commandes provenant du réseau direct des établissements eux-mêmes. Mieux : les administrateurs de la Coopsoc ont aussi noté des effets de synergie via, notamment, des sessions de formation communes pour les travailleurs en Esat. Ce qui a abouti, par ailleurs, à la création d’un centre pédagogique à part entière.
Le coût que représente la structure leur apparaît ainsi dérisoire. La cotisation annuelle s’élève 65 euros par personne accueillie. Quant au pourcentage de chiffre d’affaires que l’association prélève sur les marchés récoltés grâce à sa plateforme, il varie entre 2,5 % et 5 %, suivant son niveau d’intervention. S’il ne s’agit que d’une mise en relation, il n’y a aucun frais.
Une activité croissante
Réceptionner, empaqueter, recenser toute la quincaillerie nécessaire à la construction d’un hélicoptère. Voilà quelques-unes des missions confiées aux travailleurs d’Esat et d’EA sur le site d’Airbus. Nul doute, pour Patrick Faccio, une mutation s’est opérée. « Au fil du temps, nos établissements se sont professionnalisés, confie-t-il. Nous sommes loin de l’enfilage de perles… » À tel point que l’activité ne cesse de croître. Et cela, grâce au fait que la Coopsoc a levé un obstacle de taille : celui de répondre à une demande de prestations dans des volumes conséquents. Face à ce constat, Yves Chkroun est très clair : « Il y a eu un effet boomerang. Vu le contexte économique, les entreprises ont fini par voir la qualité du travail. En outre, en recourant à nos structures, cela leur permettait de se décharger de leurs obligations en matière d’emploi de travailleurs handicapés (OETH)… »
Le chiffre d’affaires généré via la Coopsoc s’est ainsi multiplié. « Nous étions à 6 millions d'euros en 2015, avec trois salariés. Aujourd’hui, nous atteignons 9 millions d'euros », souligne Katia Mautino. En plus de la mécanisation dans les structures et de l’afflux des commandes, les tarifs ont aussi grimpé. « Il y a 20 ans, nous travaillions pour rien ! Puis, le savoir-faire aidant, nous nous sommes alignés sur les prix du marché », rappelle Patrick Faccio. Enfin, il y a des perspectives de développement. « Nous sommes loin d’être à flux tendus », note l’un des moniteurs d’atelier Coopsoc sur le site d’Airbus Helicopters. L’association visant également une nouvelle étape, celle de recruter de nouveaux adhérents au niveau régional.
Marjolaine Dihl. Photos : Anne van der Stegen
« Nous avons développé des savoir-faire »
Antoine Péraldi, directeur de l’Esat Léon Bérenger, à Marseille (Sauvegarde 13) et administrateur de la Coopsoc
« Pour l'Esat, en 1995, l’activité fournie via la Coopsoc représentait 61 % du chiffre d’affaires. Aujourd’hui, cette proportion est tombée à 38 %. Cela ne veut pas dire que notre activité Coopsoc a diminué. Globalement, à la Sauvegarde des Bouches-du-Rhône, les trois Esat et l’atelier protégé ont même connu une croissance de chiffre d’affaires ! Je pense que, grâce à la mutualisation et au travail avec Eurocopter [devenu Airbus Helicopters], nous avons développé des savoir-faire. De fait, nous avons dû passer aux normes ISO. Nous avons d’ailleurs monté une formation commune pour y parvenir. »
En chiffres
- 29 janvier 1965 : création de l’Association pour la coopération sociale : la Coopsoc
- Adhérents : 29 Esat, 4 EA, 2 CHRS, soit 18 associations représentant 2700 travailleurs en situation de handicap
- Équipe : 7 salariés ETP
- 9 millions d’euros de chiffre d’affaires transitent par la Coopsoc
- 400 000 euros de chiffre d’affaires réalisés directement par l'association
- 65 euros de cotisation par personne accueillie par an
Contact
04 42 77 58 30
www.coopsoc.fr
Publié dans le magazine Direction[s] N° 141 - avril 2016