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Reportage
Des travailleurs d’Esat prêts pour la retraite

03/04/2024

Épinal (Vosges). Pass’Âge accompagne les travailleurs d’Esat de plus de 50 ans du département dans la transition vers la cessation d’activité, que ce soit en matière d’accès aux droits ou dans leurs projets de nouvelle vie. Une initiative récompensée d’une mention dans le cadre du Trophée Direction[s] 2023.

« Savez-vous à quoi sert cet objet ? » Amélie Lombard, chargée d’innovation sociale à Vosgelis, brandit un ouvre-bocal électrique. La jeune femme, qui travaille au sein de cet office public de l’habitat vosgien, présente successivement toutes sortes d’objets liés au maintien à domicile : pince de préhension, enfile-bouton, support pour jouer aux cartes, coupe-comprimés, déambulateur de courses avec assise intégrée… En face d’elle, de jeunes ou futurs retraités ayant pour point commun d’avoir tous travaillé en établissement et service d'aide par le travail (Esat). Les participants se montrent très intéressés par ses explications, manipulent les objets, posent des questions… Ils visitent avec grand intérêt chacune des pièces de l’appartement pédagogique.

Arrivé dans le salon, Sylvain Berschi teste le fauteuil releveur. À peine assis, il affiche un large sourire. Position allongée, puis quasi debout pour se relever sans effort… « C’est exactement le fauteuil qu’il me faudrait ! Combien ça coûte ? » Lui, n’a pas encore pris sa retraite, mais cette perspective de changement de vie l’enthousiasme : « Je travaille depuis 1992 à l’Esat de Florébois. J’ai commencé à l’atelier bois. Aujourd’hui, j’emballe des pièces. Mais je suis fatigué… » L’homme âgé de 55 ans se voit « très bien » à la retraite : « J’ai vu avec Claire, je pourrai partir de l’Esat dans trois mois ! » Claire Duchaine est la conseillère en parcours de vie de Pass’Âge. Elle est à ses côtés depuis plusieurs mois pour  l’accompagner dans ce moment-clé.

Éviter les ruptures

La plateforme de services Pass’Âge s’adresse aux travailleurs d’Esat de plus de 50 ans pour les accompagner vers la retraite. Elle a été créée en novembre 2019 par la Fédération médico-sociale (F’MS) des Vosges. « En 2017, j’ai réalisé un diagnostic qui montrait que les ouvriers de notre Esat avançaient en âge et que la cessation dactivité pouvait engendrer des situations de rupture », explique Isabelle Simonin, directrice de l’Esat Florébois. Réparti sur trois sites, cet Esat compte 132 équivalents temps plein (ETP). « 30 % de notre population a plus de 45 ans et 30 % vit en foyer d’hébergement, ajoute-t-elle. Pour ces derniers, le départ à la retraite implique aussi un changement de lieu de vie. Avant Pass’Âge, il est arrivé qu’une personne doive aller vivre dans un foyer d’accueil spécialisé à deux heures de route de là où elle vivait avant. Une autre est partie vivre en Ehpad alors qu’elle n’avait que 57 ans... » Anticiper le départ à la retraite et éviter les ruptures de parcours : tels sont les objectifs de Pass’Âge.

Créé à l’origine pour le seul Esat de la F’MS, le service s’adresse désormais à l’ensemble des établissements vosgiens. « Pass’Âge a vraiment été créé au bon moment, estime Isabelle Herrgott, adjointe de direction à l’Esat APF France handicap de Dinozé (45 ETP pour une soixantaine de travailleurs). Depuis 2021, nous constatons quatre à cinq départs à la retraite par an, alors que nous n’en avions qu’un auparavant. Or, le passage à la retraite peut être compliqué : il y a des personnes qui ont eu un début de carrière en milieu ordinaire puis en Esat. D’autres ont besoin d’être rassurées. Il y a eu aussi des inquiétudes au moment de la réforme des retraites... » Ce que cette responsable d’Esat apprécie c’est la plus-value apportée par Pass’Âge : « Ils sont présents avant, pendant et surtout après le départ en retraite. »

Répondre à toutes les questions

Pass’Âge propose en effet un accompagnement global non limité dans le temps. « Nous intervenons généralement à la demande des Esat qui abordent la question de la retraite lors des projets personnalisés quand les travailleurs approchent de la cinquantaine », explique Claire Duchaine. La conseillère de parcours de vie se rend, seule ou avec sa collègue Séverine Artel, coordinatrice de parcours, pour rencontrer les travailleurs concernés, en rendez-vous individuel ou pour une présentation collective. « Nous nous adaptons à toutes les situations. Cela arrive aussi que nous nous rendions au domicile des personnes », indique Séverine Artel. « L’important est d’établir un lien de confiance et de faire connaissance pour que les personnes puissent poser toutes leurs questions », poursuit Claire Duchaine. À quel âge pourrai-je prendre ma retraite ? Quel sera le montant de ma pension ? Si je passe à mi-temps, est-ce que je devrai travailler plus longtemps ?... Voilà les questions qui préoccupent le plus les travailleurs d’Esat.

Pouvoir se projeter

L’accompagnement passe bien entendu par toutes les démarches liées à la cessation d’activité (demande de relevés de carrière, dépôt de dossier retraite…) en lien avec les partenaires que sont la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat ; lire l’encadré ci-dessous), l’Agirc-Arcco et les mandataires judiciaires le cas échéant. « L’accompagnement de Pass’Âge est un vrai plus pour le majeur protégé et le mandataire car nous avons de plus en plus de travailleurs qui arrivent à l’âge de la retraite et il y a beaucoup de spécificités à connaître », témoigne Frédérique Queiroz, directrice adjointe à l’Association tutélaire des Vosges.

Mais Pass’Âge ne se limite pas à l’accès aux droits. « Prendre sa retraite, cela veut dire ne plus aller au travail tous les matins, c’est perdre des repères, des habitudes de vie, des collègues et des liens sociaux, souligne Séverine Artel. Notre rôle est de les aider à se projeter pour savoir comment occuper toutes ces heures de libre. » Des besoins sont identifiés autour du logement, de la vie sociale, de l’accès à la santé ou encore des loisirs… Aussi les deux professionnelles proposent régulièrement des actions collectives : ateliers de prévention en faveur du bien-vieillir, visites d’habitats inclusifs ou de résidences seniors, moments de convivialité...

« Le but est d’amener les personnes à échanger entre elles, les aider à voir ce qui se passe ailleurs pour qu’elles puissent faire des choix et ne pas être isolées », indique Claire Duchaine. Pour favoriser le passage de relais vers les dispositifs de droit commun, les actions, qui se déroulent à l’échelle de tout le département, s’appuient sur des partenaires variés :  groupes d’entraide mutuelle (GEM), services d’accompagnement à la vie sociale, centres locaux d’information et de coordination, organismes de vacances adaptées…

« Je fais de la pétanque ! »

« Pass’Âge est un bon partenaire pour anticiper les changements liés à l’arrêt du travail. Il permet d’éviter l’isolement social », soutient Alexia Tott, mandataire judiciaire à l’Association vosgienne pour la sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes. Tutrice de Jean-Luc Valdenaire, retraité accompagné par Pass’Âge, elle a observé chez lui un réel changement : « Il est plus ouvert qu’avant, il fait plein de choses ! » L’intéressé confirme : « J’ai pris ma retraite à 60 ans. Avant, je ne sortais pas. Claire m’a fait visiter le GEM. Maintenant, j’y vais toutes les semaines, cela me permet de voir des gens que je ne connaissais pas. Je fais de la pétanque, je suis même parti en Belgique ! »

Jean-Luc Valdenaire se rend parfois à l’Esat de Florébois où il a travaillé pendant vingt-quatre ans pour discuter avec ses anciens collègues. Parmi eux, il y en a qui l’envient, comme Lionel Vogt, 54 ans et « trente ans de boîte » qui a hâte de suivre ses traces mais devra attendre encore un an. Et ceux qui n’y pensent pas encore comme Michel Galmisch, 57 ans : « Je me sens bien ici, je veux continuer tant que j’ai la santé ! » Le travailleur se dit tout de même « rassuré » : il sait que le jour venu, il pourra compter sur Pass’Âge.

Aurélie Vion - Photos : Mathieu Cugnot/Divergence pour Direction[s]

En chiffres

- 147 personnes accompagnées depuis la création du service ; 

- Équipe : 1 ETP de conseillère en parcours de vie et 0,5 ETP de cheffe de service ; 

- 13 sites géographiques différents d’Esat gérés par 6 associations ; 

- Budget annuel : 113 600 euros annuel ; 

- Financement : pour les 3 premières années d’expérimentation financement via le Comité national coordination handicap, l’agence régionale de santé Grand Est, la fondation Macif et la Carsat ; puis, sur les fonds propres de l’association F’MS. Pour certaines actions collectives, la plateforme s’appuie sur des financements de la Conférence des financeurs, de l’Agirc-Arcco, de la CPAM, de la médecine préventive...

« Conseiller au mieux tous nos assurés »

Christelle Cablé, responsable de l’agence retraite d’Épinal

« Avant que Pass’Âge n’existe, nous voyions très peu les travailleurs d’Esat. Tout passait par les familles ou les tuteurs. Grâce à ce dispositif, nous pouvons conseiller au mieux ces assurés qui représentent un public assez particulier, il existe une pluralité de dispositifs de retraite différents. Deux gestionnaires de situations individuelles Carsat leur sont dédié, elles peuvent leur consacrer davantage de temps et s’appuyer sur les conseillères de Pass’Âge qui sont une vraie aide car elles connaissent bien les personnes. Les entretiens peuvent être des moments forts en émotions : nous avons déjà eu une personne qui a fait un malaise tellement elle était heureuse de pouvoir s’arrêter de travailler, une autre, au contraire, qui était très déçue car elle avait eu une carrière hachée… Au-delà de l’émotion, les personnes handicapées peuvent avoir des problèmes de compréhension ou de concentration. L’important est donc de s’assurer que les informations que nous leur donnons sont bien comprises, pour que les personnes puissent décider par elles-mêmes. »

Contact

- Pass’Âge

07 60 78 56 84

Publié dans le magazine Direction[s] N° 229 - avril 2024






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