Matthieu Thiebault (Adapei 35) et Yolande Fasquelle (Epnak)
« C’est la première fois de ma carrière que je me demande comment boucler le budget et que je n’arrive pas à savoir où l’on va », témoigne Brice Amand, à la tête de l’association Traits d’union, qui œuvre dans le champ du handicap et de la protection de l’enfance dans le Nord. Avec l’inflation, son inquiétude grimpe en même temps que les dépenses. « Là où le retentissement est le plus fort, c’est sur les structures d’hébergement et cela va aller crescendo », note le directeur général, qui a fait ses calculs. Son organisation doit renouveler son contrat de gaz au 31 décembre : un coût actuel de 400 000 euros qui pourrait monter jusqu’à 3 millions d’euros.
Des dépenses exponentielles
Pour tous les établissements, la facture s'annonce salée. « Nous estimons l’impact de l'inflation à environ 2,5 à 3 millions d’euros en fonctionnement en année pleine », chiffre Matthieu Thiebault, directeur général de l’association Adapei d’Ille-et-Vilaine. Le premier effet se traduit sur l’énergie : « +123 % pour l’électricité, +8 % pour les transports. Soit 2 millions d'euros par an, ça commence à faire beaucoup. » « C’est devenu très tendu pour l’achat des denrées alimentaires, avec une hausse de 12 % des coûts dans la restauration ou encore dans le domaine des travaux avec parfois plus de 20 % », surenchérit Yolande Fasquelle, directrice du Patrimoine et de la Commande publique de l’établissement public national Epnak. « Sans compter les retombées sur les fournitures à base de plastique ou les produits technologiques », complète Matthieu Thiebault. Une augmentation qui « se répercute sur le tarif hébergement. Mais ce dernier est fixé une fois une dans l’année alors que l’inflation glisse de mois en mois », observe Catherine Leblanc, directrice d’un Ehpad dans le Maine-et-Loire.
Face à ce constat, quelles solutions pour les gestionnaires ? « Minimiser les coûts sans se voiler la face. Avec la commande publique, nous avons des protections contre les hausses drastiques. Nous demandons des échantillonnages à nos fournisseurs pour mesurer l’impact réel de l’inflation et menons un vrai travail partenarial pour contractualiser les évolutions par un avenant, détaille Yolande Fasquelle. Jusqu'ici, nous avons réussi à tenir nos tarifications en activant les clauses d’indexation dans les contrats, mais la perspective de 2023 est très inquiétante. » Baisse de la température dans les locaux tertiaires, éclairage en LED, sensibilisation du personnel aux écogestes… Les établissements accélèrent aussi la réduction de leur empreinte carbone, avec ses limites. « D’un côté, il faut des constructions moins consommatrices et plus résilientes, de l’autre, il faut faire face à la hausse des prix qui requiert un fonds d’amorçage fort », relève Matthieu Thiebault.
Quid des revalorisations ?
Un exercice difficile avec des trésoreries affaiblies. « Dès cet été, nous avons eu des alertes d’établissements qui n’avaient plus de liquidités pour payer les fournisseurs ou les charges sociales. En particulier, ceux qui ne sont pas rattachés à un centre hospitalier », pointe Isabelle Sarciat-Lafaurie, secrétaire générale adjointe du syndicat Syncass-CFDT. Car, au-delà de l’inflation, les structures doivent aussi financer les revalorisations salariales. « Prime grand âge, complément de traitement indiciaire, hausse de la valeur du point d'indice… Ces mesures absolument nécessaires ont un effet considérable sur les trésoreries des petits établissements. Bien plus que l'inflation !, illustre Catherine Leblanc. Elles ne sont pas accompagnées de dotations suffisantes ou immédiates et je n’ai pas les ressources pour combler l’écart. On paie encore l’effet Covid avec un fonctionnement ralenti compte tenu des difficultés de recrutement. »
Pour passer le cap, les gestionnaires demandent aux pouvoirs publics une couverture des coûts de l’inflation et du Ségur, ainsi que l’extension des dispositifs de protection sur l’énergie au privé associatif. « Sans bouclier tarifaire, nous n’avons aucune perspective pour 2023 », s’alarme Brice Amand. Moins inquiet, Matthieu Thiebault se veut néanmoins réaliste : « Nous disposons d’un fond de roulement correct. Mais ne nous leurrons pas : il sera impossible de finir l’année avec un budget équilibré. L’État devra regarder la situation des associations qui font œuvre de délégation de service public. » Autre nécessité ? L’engagement d’un cap sur les questions médico-sociales. « L’inflation est un coup de canif supplémentaire, mais c'est une problématique globale qui requestionne le modèle du grand âge à bout de souffle, juge ainsi Catherine Leblanc. Et cette pression est désormais vécue à tous les niveaux, y compris par les équipes de direction. »
Laura Taillandier
« Dans le domicile, l’urgence c’est l’attractivité »
Philippe Lécorché, directeur de l’association Adapage de Montargis (Loiret)
« Je ne suis pas très inquiet cette année même si la hausse de 30 % dès mars-avril du prix du carburant est plus que pénalisante. Nous avons dû augmenter notre indemnité kilométrique à 0,40 euro. Nous allons aussi travailler à l'intégration de la nouvelle dotation qualité, ce qui va générer des budgets conséquents sur cinq ans. Mais encore faut-il des salariés pour mettre en place toutes ses améliorations ! Sur 135 personnels, j’ai aujourd’hui 49 absents tous motifs confondus. Notre urgence, c'est l'attractivité. Il faut que les salariés puissent bénéficier de véhicules de service. Ce serait une véritable reconnaissance et un vrai levier. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 212 - octobre 2022