« Ce dispositif est le fruit d’un compromis, il reste donc perfectible. Pour autant, c’est une avancée historique dont il faut se saisir ! », s’enthousiasme Thierry Brun, directeur général de l’association Messidor. Depuis le 1er janvier, l’emploi accompagné bénéficie d’une base juridique [1] promise – non sans surprise – lors de la dernière Conférence nationale du handicap. Les principes de cette mesure à durée indéterminée, potentiellement déployée sous conditions par les établissements et services d’aide par le travail (Esat), les centres de rééducation professionnelle (CRP) et plus généralement les structures du champ du handicap [2] ? Un soutien à l’insertion professionnelle et un suivi médico-social en faveur d’un travailleur handicapé, doublés d’un appui à son entreprise issue du milieu ordinaire. Un véritable changement de paradigme, dont les modalités opérationnelles laissent encore subsister quelques zones d’ombre.
Placer puis former
L’annonce de la mesure, introduite au projet de loi Travail, a pris tout le monde de court. Pourtant, l’idée n’est pas neuve. De nombreux pays étrangers ont très tôt officialisé des formes de soutien aux salariés handicapés en milieu ordinaire de travail, recense une étude du Groupement de priorité de santé (GPS) Emploi [3]. Pourquoi alors un tel retard à l’allumage dans l’Hexagone ? « L’emploi accompagné surfe sur le mouvement général d’inclusion (logement, scolarité…) qui a mis plus de temps à émerger en France, rappelle d’abord Nicolas Pazold, administrateur du Collectif français pour l’emploi accompagné (CFEA). Mais c'est aussi dû aux réticences de certains acteurs médico-sociaux qui ont craint que le dispositif n’entraîne la fermeture des établissements. Au contraire, l’idée est de proposer une alternative. » Une ambition malgré tout bien comprise par certains gestionnaires précurseurs, souvent sans soutien de l’État, rappelle un rapport parlementaire de 2014 [4].
Car c’est peu dire que la philosophie bouleverse les habitudes. « L’objectif est la remise à l’emploi directe et rapide, résume Angélique Michard, job coach à Messidor Loire. L’idée n’est pas de traiter les freins à l’emploi en amont, mais de le faire dans l’action. » Pour cela, nouveauté de taille, les salariés peuvent compter sur un appui qui va bien au-delà des simples périodes de préparation à l’emploi et de placement classiques. « C’est un accompagnement tout au long du parcours professionnel, et c’est ce qui fait sa pertinence. Si la personne a besoin de nous dans six mois, nous devons répondre présent », martèle Thierry Brun.
Acteur clé, un référent unique constitue l’interlocuteur privilégié de la relation de travail. « Il doit être une sorte de "case manager" qui devra s’appuyer sur l’équipe pluridisciplinaire, car la double compétence est importante tant les handicaps sont variés, envisage Isabelle Merian, directrice de la fédération Fagerh. Dans les CRP, cela nécessitera le recrutement de nouveaux profils ou une évolution des missions des chargés d’entreprise actuels. In fine, leurs nouvelles modalités de travail constitueront probablement un levier pour faire évoluer les pratiques des structures. »« Il est vrai que cette approche nous a conduit à réinterroger nos méthodologies de travail, confirme le directeur général de Messidor, où un service de job coaching existe depuis 2010. Là où les professionnels des milieux protégés et adaptés prennent beaucoup de précaution avec les personnes et peuvent constituer des freins au retour à l’emploi, le job coach, lui, leur fait confiance en leur permettant d’intégrer rapidement une entreprise. Et les premiers résultats sont là : sur les 200 personnes suivies en 2016, 175 contrats (CDD et CDI) ont été signés. »
RQTH obligatoire
Pourtant, des questions subsistent dans les rangs des professionnels. Et d’abord sur le public éligible qui doit détenir la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). « Seuls 30 % des personnes qui viennent à nous en sont détenteurs, s’inquiète Céline Aimetti, déléguée générale de Clubhouse France, spécialisé dans le soutien à l’insertion notamment professionnelle des personnes handicapées psychiques [5]. L’introduction de ce critère en exclut potentiellement une grande partie. » Autre public particulièrement visé ? Les « sortants » d’Esat, ce qui n’a pas échappé à l’Association nationale des directeurs et cadres Andicat. « L’emploi accompagné ne peut être considéré comme un substitut au travail protégé, prévient son président Gérard Zribi. Faute de quoi, ce serait une escroquerie, car seule une petite partie des 120 000 travailleurs d'Esat peut y prétendre. Le droit à l’emploi, quel que soit le niveau d’aptitude des personnes, suppose d’accepter la diversification de ses modalités. »
En outre, pour y avoir accès, tous devront faire l’objet d’une notification de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) des maisons départementales (MDPH)… peu réputées pour leur réactivité. « Même si des procédures d’urgence sont prévues, l’emploi accompagné doit pouvoir être mis en place rapidement pour éviter tout risque de démotivation des bénéficiaires. Aux acteurs de faire preuve de pragmatisme », table Véronique Covin, directrice du pôle développement à l’association pour l’insertion sociale et professionnelle Ladapt. Un danger pourtant pointé début novembre par les membres du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), qui préconisaient alors de permettre au service public de l’emploi de recourir si besoin au dispostif sans passer par la case MDPH. En vain.
Saupoudrage ?
Pour 2017, cinq millions d’euros ont été mis sur la table par l’État (soit plus de 50 % du financement), sans compter les concours annoncés de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph) et de son homologue pour la fonction publique, le FIPHFP. De quoi accompagner… 1 500 personnes, chiffre le gouvernement réaliste. Cette maigre mise de départ ne sera pas sans conséquence sur le contenu des futurs appels à candidatures lancés par les agences régionales de santé (ARS), en lien avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). « Se limiteront-elles dans un premier temps à certains publics, voire à quelques territoires ?, s’interroge Isabelle Merian. Commenceront-elles par financer les opérateurs existants ? Tout est possible. » Une dernière option susceptible de jouer en faveur de certains acteurs historiques, qui se savent « hors des clous » du cahier des charges national. « Je veux croire que ce n’est qu’une première étape, se rassure Céline Aimetti. Une chose est sûre : plus nous serons nombreux à ne pas rentrer dans les cases, plus il y a de chances que le cadre évolue. »
[1] Décret n° 2016-1899 du 27 décembre 2016
[2] Sous réserve notamment d’avoir passé une convention avec le service public de l’emploi.
[3] « Étude d’opportunité sur l’emploi accompagné », réalisée par le GPS Emploi, 2014
[4] « Dynamiser l'emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire », rapport d'Annie Le Houerou, Assemblée nationale, 2014
[5] Lire Direction[s] n° 127, p. 20
Gladys Lepasteur
« Une souplesse à conserver »
Angélique Michard, job coach, association Messidor Loire
« Contrairement à un accompagnement classique, nous disposons de temps pour rester concentrés sur la personne : le suivi a été adapté à cet effet. Pour cela, j’ai un maximum de 25 dossiers, là où un professionnel de Cap emploi peut en compter 150 à 200. C’est d’autant plus déterminant que le job coaching repose d’abord sur l’empowerment : la personne, qui souvent n’ose plus espérer ni même rêver un avenir professionnel, doit rester actrice. Notre indispensable proximité se double d’une grande disponibilité pour pouvoir assurer les entretiens hebdomadaires, effectuer ensemble (y compris physiquement) le démarchage des entreprises, mais aussi pour répondre aux urgences éventuelles. Désormais cadré, le dispositif d’emploi accompagné doit conserver cette souplesse, sans imposer une lourdeur administrative préjudiciable. »
Repères
- 8,4 %. C'est le pourcentage des personnes handicapées parmi les demandeurs d'emploi. Elles présentent toujours des difficultés particulières d’insertion (âge élevé, plus faible niveau de formation…). (Source : Agefiph)
- Les résultats des expérimentations menées dans le cadre du GPS Emploi sont attendus en février, indique la CNSA.
- 5 millions d’euros. C'est la somme allouée en 2017 par l’État au dispositif et qui, complétée par l’Agefiph et le FIPHFP, permettra l’accompagnement de 1500 bénéficiaires.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 150 - février 2017