Cour de cassation, chambre sociale, 27 janvier 2010, n° 08-45.566
« Un fait de la vie privée ne peut donner lieu à sanction disciplinaire, mais seulement à un licenciement justifié éventuellement par le trouble causé à l'entreprise par le manquement du salarié. »
L'analyse. Selon la chambre sociale de la Cour de cassation, un fait de la vie privée du salarié ne peut pas constituer une faute disciplinaire, et donc ne peut pas donner lieu à une sanction par l'employeur. Par exemple, il a été jugé que le fait pour un ambulancier, salarié d'une société d'ambulances, de n'avoir pas pu être joint en dehors de ses horaires de travail sur son téléphone personnel n'est pas une faute, même si l'objet de l'appel était une urgence (1).
Qu'en est-il lorsque le fait commis par le salarié à l'occasion de sa vie privée constitue une infraction pénale, voire donne lieu à un placement en détention ? En principe, cela ne change rien : il ainsi été jugé à plusieurs reprises par la Cour de cassation que le licenciement d'un salarié en raison de son placement en détention provisoire pour un fait sans rapport avec sa vie professionnelle ne peut pas donner lieu à une sanction disciplinaire. Par exemple, le licenciement d'un salarié prononcé en raison de sa mise en examen et de son placement en détention provisoire pour sa participation à une association de malfaiteurs et pour détention d'armes de première et quatrième catégories a été jugé comme dépourvu de cause réelle et sérieuse. De même, le trouble dans l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise résultant de l'incarcération en détention provisoire d'un éducateur spécialisé dans un institut médico-éducatif, présumé innocent, ne peut justifier un licenciement disciplinaire (2).
Dans un arrêt en date du 27 janvier 2010, la Cour de cassation rappelle ce principe. En l'espèce, un éducateur spécialisé est licencié pour des faits de manquement à l'honneur, la probité et à la délicatesse commis alors qu'il était en arrêt de travail et pour lesquels il a été condamné au plan pénal. Le salarié était chargé "d'animer, de former, d'assister et de conseiller des jeunes, parmi lesquels des jeunes délinquants, d'assurer une intervention éducative auprès de cette catégorie de la population comprenant des mineurs, des majeurs, des familles, des groupes sociaux présentant des difficultés d'intégration sociale » et occupait des fonctions de « conseiller technique en matière de prévention y compris de la délinquance au sein de l'association ». Ce salarié alors qu'il était en arrêt maladie, s'est interposé « dans un conflit entre automobilistes qui ne le concernait pas directement, conflit qu'il n'a pas cherché à apaiser, mais qu'il a au contraire exacerbé en exerçant des violences avec arme contre l'un des protagonistes, d'ailleurs âgé d'une vingtaine d'années seulement et qui lui-même ne l'avait pas menacé ». Ce conflit a ensuite donné lieu à « la découverte au domicile de l'intéressé d'autres armes à feu et d'une importante quantité de munitions, le tout détenu illégalement », faits pour lesquels ce salarié a été ensuite jugé et condamné par un tribunal correctionnel.
Trouble causé à l'entreprise
La cour d'appel a jugé le licenciement justifié car «sonce fait de la vie personnelle, même commis pendant la suspension du contrat de travail, caractérisait un manquement aux obligations professionnelles du salarié lequel avait perdu toute crédibilité et légitimité tant à l'égard de la direction de l'association que des éducateurs qu'il était chargé de conseiller et d'encadrer ». À tort selon la chambre sociale de la Haute Cour : c'est un fait de la vie privée, une sanction disciplinaire n'est pas possible.
Toutefois, la Cour de cassation rappelle que le licenciement est légalement possible s'il est justifié non par le fait lui-même, mais par le trouble causé à l'entreprise par le manquement du salarié. Si la condamnation prononcée contre le salarié a perturbé gravement l'établissement, au regard des fonctions exercées par celui-ci et de la nature des infractions pour lesquelles il a été déclaré coupable, son maintien dans l'établissement peut être rendu impossible et donc un licenciement pour motif personnel (pas un licenciement disciplinaire) peut être justifié.
Ce n'est donc pas le fait qui peut fonder un licenciement, mais seulement les répercussions négatives de celui-ci sur le fonctionnement de la structure. Il appartient à l'employeur de démontrer ces conséquences en expliquant en quoi le comportement du salarié dans sa vie personnelle, compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l'établissement, a créé un trouble caractérisé au sein de celui-ci.
Le chef d'établissement n'est donc pas démuni face à de tels faits. Si cela est nécessaire, il peut recourir à une mesure de licenciement pour motif personnel, fondé sur le trouble objectif causé au fonctionnement de l'établissement. Trouble qu'il devra veiller à pouvoir expliquer et démontrer au juge en cas de contentieux...
(1) Cass. soc., 17 février 2004, n° 01-45.889
(2) Cass. soc., 26 janvier 2010, n° 08-41.052
Florence Riquoir, juriste, cabinet Capstan, pôle santé