Cass. soc., 3 mai 2011, n° 10-04.104
« Attendu que si l'employeur n'est en principe pas tenu de convoquer le salarié à un entretien avant de lui notifier un avertissement, il en va autrement lorsque, au regard des dispositions d'un règlement intérieur, l'avertissement peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise ; que tel est le cas lorsque le règlement intérieur, instituant ainsi une garantie de fond, subordonne le licenciement d'un salarié à l'existence de deux sanctions antérieures pouvant être constituées notamment par un avertissement »
L'analyse
Selon le code du travail, lorsqu'un employeur envisage de sanctionner (1) un salarié, il doit convoquer ce dernier à un entretien en lui précisant l'objet de cette convocation. Les textes prévoient une exception (2) : si la sanction envisagée est un simple avertissement (ou « une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence – immédiate ou non – sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié » concerné), l'employeur n'y est alors pas obligé. À cet égard, la Cour de cassation avait également déjà décidé que même le fait qu'un avertissement contienne la menace, en cas de renouvellement des faits, d'une sanction susceptible d'avoir de telles conséquences, n'imposait pas cet entretien préalable (3).
Désormais, il en va tout autrement, lorsque, au regard des dispositions contenues dans le règlement intérieur de l'entreprise, l'avertissement peut avoir une influence sur le maintien du salarié en son sein. Rappelons que les employeurs comptant plus de 20 salariés doivent veiller à l'élaboration d'un règlement intérieur (4). Doivent y figurer les « règles, générales et permanentes, relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur » (5). Ce règlement intérieur doit en particulier reprendre l'échelle des sanctions définie par la convention collective nationale applicable.
L'arrêt rendu le 3 mai 2011 par la chambre sociale de la Cour de Cassation marque ainsi un infléchissement important. En l'espèce, le règlement intérieur de l'entreprise subordonnait l'éventuel licenciement disciplinaire d'un salarié à l'existence de deux sanctions antérieures, pouvant être constituées par des avertissements. Comme il s'agit d'une « garantie de fond » pour le salarié, les juges ont estimé que la professionnelle, en cause dans cette affaire, aurait dû être convoquée à un entretien préalable avant le prononcé de la sanction disciplinaire (un avertissement dans ce cas).
Garanties de fond
La solution appliquée ici, sur le fondement d'un règlement intérieur d'entreprise, serait très probablement la même pour l'application d'une procédure disciplinaire dans un établissement ou service du secteur social et médico-social. Qu'il soit soumis ou non à la rédaction d'un règlement intérieur, car dans les établissements comptant moins de 20 salariés, la convention collective nationale (CCN) s'applique directement si l'établissement est adhérent à une fédération patronale signataire. Or, de nombreux textes conventionnels du secteur prévoient une procédure disciplinaire semblable à celle du règlement intérieur qui a donné lieu à cette décision récente de la Cour de cassation.
La CCN du 15 mars 1966 (art. 33) et celle du 31 octobre 1951 (art. 05.03), par exemple, disposent que, sauf en cas de faute grave, il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à l'égard d'un salarié si ce dernier n'a pas fait l'objet précédemment d'au moins deux sanctions prévues par les CCN. Au rang des mesures disciplinaires énumérées par ces deux textes conventionnels : l'observation, l'avertissement, la mise à pied avec ou sans salaire pour un maximum de trois jours et, enfin, le licenciement.
Ces dispositions conventionnelles instituent donc des garanties supplémentaires pour les salariés concernés (appelées « garanties de fond »), qui doivent impérativement être respectées par les employeurs du secteur. Il convient donc désormais d'être prudent en cas de procédure disciplinaire au sein d'un établissement ou service du secteur social ou médico-social appliquant l'une de ces deux conventions collectives nationales. Même pour un simple avertissement, et ce dès le premier, la convocation à un entretien préalable s'impose.
À défaut, en cas de contentieux, la procédure pourrait être considérée comme irrégulière. Et entraîner l'annulation des sanctions prises.
(1) L'article L1331-1 du code du travail définit la sanction disciplinaire comme « toute mesure, autre que de simples observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié que l'employeur considère comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter, immédiatement ou non, la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. »
(2) Code du travail, article L1332-2
(3) Cass. soc., 13 novembre 1990, n° 87-42.812
(4) Code du travail, article L1311-2
(5) Code du travail, article L1321-1
Florence Riquoir, avocat, cabinet Capstan
Publié dans le magazine Direction[s] N° 89 - novembre 2011