L’astreinte est définie « comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise. » Le Code du travail précise en outre que « la durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif […] »[2].
La loi française qualifie les périodes « d’attente » de l’astreinte comme du temps de repos. Les dispositions conventionnelles ne dérogent pas à cette définition, puisque seule la contrepartie de ces temps diffère selon la convention collective applicable. Or, il ressort de la jurisprudence du 9 mars 2021 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qu’une période durant laquelle aucune activité n’est effectivement exercée par le travailleur au profit de son employeur ne constitue pas nécessairement une « période de repos ».
La question posée à la Cour était la suivante : le temps de garde durant lequel un travailleur doit être joignable par téléphone et pouvoir rejoindre son lieu de travail, en cas de besoin, dans un délai d’une heure constitue-t-il du temps de travail ou, au contraire, une période de repos au sens de l’article 2 de la directive 2003/88/CE. Dans cette affaire, il était impossible pour le salarié de rentrer à son domicile dans la mesure où son lieu d’intervention, très éloigné de son domicile, était situé dans un secteur géographique difficile d’accès. Le professionnel séjournait ainsi dans un logement de fonction mis à sa disposition par son employeur au sein de son lieu d’intervention.
Se conformer à la check-list
Selon la CJUE, c’est une analyse in concreto qui doit être menée pour déterminer si le salarié est en situation de travail ou de repos. La Cour livre en effet la position suivante : « constitue du temps de travail l’intégralité des périodes d’astreinte au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. »
La Cour luxembourgeoise dresse une « chek-list » des éléments permettant d'indiquer si une période de garde doit être qualifiée de temps de travail ou de temps de repos.
Est ainsi précisé que la distance séparant le domicile de l’endroit qu’il doit être en mesure de rejoindre dans un certain délai au cours de sa période de garde n’est pas, en tant que telle, un critère pertinent. Il en va de même concernant le caractère peu propice aux activités de loisir du secteur dont le travailleur ne peut, en pratique, s’éloigner.
Précision importante pour le champ sanitaire et médico-social, si le lieu de travail se confond avec le domicile du travailleur (logement de fonction), la seule circonstance que ce dernier soit tenu de demeurer sur son lieu de travail afin de pouvoir, en cas de besoin, être disponible pour son employeur ne suffit pas à qualifier cette période de travail.
Et le droit national ?
En droit français, le temps d’attente de la période d’astreinte n’est pas considéré comme du temps de travail effectif. Seul celui d’intervention et celui de déplacement afférent bénéficient d’une telle qualification. C'est cette posture « binaire » du droit national qui pourrait se révéler incompatible avec la position de la CJUE. En effet, l’analyse in concreto prônée par le juge européen lie les juridictions nationales, qui devront dorénavant vérifier, au cas par cas, si la qualification de temps de travail ne s’impose pas eu égard aux contraintes imposées au salarié et à leurs conséquences significatives sur sa faculté de gérer librement son temps et de se consacrer à ses propres intérêts.
Une nuance : si le temps d’astreinte venait à constituer du temps de travail pour l’appréciation du droit au repos du professionnel au sens de la réglementation européenne, la qualification de « temps de travail effectif » au sens de la législation française [3] pour le droit à rémunération connexe ne serait pas systématique. Il est néanmoins probable que de nouveaux contentieux individuels émergeront de cette décision importante de la CJUE.
[1] CJUE, n° C-344/19, 9 mars 2021, D. J. contre Radiotelevizija Slovenija
[2] Code du travail, article L3121-9
[3] C. trav., article L3121-1
Cécile Noël et Stéphane Picard, cabinet Picard Avocats
Le fantôme des chambres de veille
Le juge européen avait précisé que les heures de présence en chambre de veille devaient être intégralement comptabilisées comme heures de travail effectif [1]. À la suite de cette décision et de l’annulation par le Conseil d’État [2] des dispositions réglementaires concernées [3], le gouvernement a été contraint de mettre en conformité ce dispositif avec le respect du droit européen en matière de durée du travail. Le même sort sera-t-il réservé aux astreintes ?
[1] CJCE, 1er décembre 2005, C-14/04
[2] CE, 28 avril 2006, n° 242727
[3] Code de l'action sociale et des familles (CASF), art. R314-201 à R314-203-2
Publié dans le magazine Direction[s] N° 199 - juillet 2021