« Nous devons transformer les modes de management pour les faire davantage reposer sur la confiance. » C’est l’une des recommandations d’un rapport sénatorial sur l’avenir du télétravail paru à l’automne dernier [1]. Entre confiance et contrôle, le travail à distance, qui s’est imposé dans bien des cas comme une solution pour assurer la continuité de l’activité pendant la crise sanitaire, a en effet « confiné » au jeu d’équilibriste pour certains managers. Mais qu’est-ce que cette ligne de conduite à laquelle appellent les parlementaires ?
Un lien de dépendance
Petit détour par un panel de définitions pour comprendre. « Faire confiance revient à se rendre dépendant d’autrui, l’étymologie étant la même que celle du verbe confier, soulève Laurent Karsenty, chercheur associé au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et à la chaire Confiance et management à l’université Paris Dauphine. Confier quelque chose à quelqu’un, c’est se rendre quelque peu vulnérable à son égard, mais on se fonde sur ses compétences et bonnes intentions pour prendre en compte nos intérêts. »
Pour être solide, ce sentiment doit aussi s’appuyer sur des faits, accumulés en fonction des interactions avec les autres. « J’ai a priori confiance, je ne peux manager sans cela, témoigne Laure Leyris, directrice de l’Ehpad public Marguerite de Flandre, à Orchies (Nord). Mais celle-ci se construit aussi au quotidien, en faisant ce que l’on dit. » Même perception chez Guillaume Salomon, directeur de territoire de l’association Adapei de Seine-et-Marne qui, pour sa part, passe par l’analogie du réservoir pour qualifier son rapport à cette notion : « Chez moi, la jauge de départ est pleine, la confiance existe de facto. Puis elle est confortée ou réduite en fonction des relations de travail. »
Quel manager êtes-vous ?
En pratique, comment s’exerce-t-elle dans le rapport avec les équipes ? « Un premier type de management reposant sur ce principe est concertatif ou consultatif : écouter les avis des professionnels, juger que la parole d’autrui compte, constitue une forme de confiance, analyse Laurent Karsenty, par ailleurs consultant et fondateur du cabinet Ergomanagement. Une autre forme est participative : elle s'appuie sur la constitution de groupes de travail en vue d’une prise de décision commune, animés par un responsable considérant ses personnels qualifiés. Enfin, le management par délégation en est la forme la plus avancée : en s’assurant préalablement des compétences, on délègue des décisions à ses collaborateurs. Ces derniers peuvent prendre toutes celles nécessaires à l’intérieur du cadre défini par le dirigeant, à condition de l’en informer. Il ne s’agit donc pas de donner un chèque en blanc : la confiance nécessaire dans ce cas se construit. »
Un cercle vertueux
Une fois tissée, elle produit un cercle vertueux. « Je fais confiance à chaque professionnel dans la place qu’il occupe, témoigne ainsi Élisabeth Liotard, directrice de l’association Viffil SOS Femmes, à Villeurbanne (Rhône). Et je dis même aux équipes qu’elles peuvent interroger les décisions. » « Cette libre parole favorise ce sentiment, lui-même garanti par le cadre institutionnel, qui le promeut jusque dans le recrutement des professionnels, auquel les personnels prennent part », acquiesce Ludivine [2], travailleure sociale au centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour femmes géré par l’association. Fraîchement salariée lors d’une création de poste d’intervenante sociale en commissariat, sa collègue Élise [2] estime quant à elle que carte blanche lui a été donnée à son arrivée : « La confiance est là d’emblée, les remontées d’informations sont prises en compte, ce qui favorise la bonne orientation des publics et ainsi un meilleur accompagnement. »
Un pari gagnant-gagnant ? « Pour le manager, cela permet de gagner du temps et d’avoir l’esprit dégagé pour se concentrer sur des tâches où il a une réelle valeur ajoutée, conclut Laurent Karsenty. Pour les collaborateurs, savoir que le dirigeant est en capacité de prendre un risque engendre une reconnaissance, qui renforce leur engagement au travail, leur prise d’initiative et leur autonomie. »
« Savoir rétablir la confiance »
Laurent Karsenty, chercheur, consultant, fondateur du cabinet ErgoManagement
« Pour un manager, restaurer la confiance rompue avec les professionnels implique diverses étapes. D’abord, identifier les sources de la défiance, les comportements qui en sont à l’origine – il peut notamment ne pas avoir répondu à des attentes des personnels, par exemple avoir échoué à effectuer des recrutements attendus pour combler un manque. Il convient ensuite de reconnaître le tort causé, comme la surcharge entraînée par le sous-effectif non résolu, et, dans la mesure du possible, offrir des compensations. Il faut aussi expliquer pourquoi les attentes n’ont pu être satisfaites. Ces étapes restent toutefois insuffisantes car la confiance est toujours une projection dans l’avenir : il faut donc prendre les mesures de nature à convaincre que la situation ne se reproduira pas, ce qui, dans l’exemple, peut consister à déclencher immédiatement certains recrutements. »
[1] « Huit questions sur l’avenir du télétravail, vers une révolution du travail à distance ? », rapport d'information n° 89, Sénat, octobre 2021
[2] Par souci de discrétion, les patronymes des professionnelles ne sont pas cités.
Justine Canonne
Publié dans le magazine Direction[s] N° 204 - janvier 2022