Quel est le profil des directeurs aujourd’hui en poste ?
François Sarfati. Nous identifions trois groupes. Le premier (31 %) compte davantage de jeunes femmes occupant des fonctions d'adjointes. Ce sont des « super-managers » aux responsabilités limitées, mais satisfaites de ce rôle de chef d’équipe. Le deuxième groupe (29 %), non typé selon le genre, concerne des personnels plus avancés dans leur carrière, témoignant de difficultés importantes et d’une forte souffrance au travail. Le dernier (40 %) rassemble ce que nous avons appelé des « directeurs de plein exercice » : en majorité des hommes entre 45 et 65 ans, satisfaits de leur travail, parties prenantes des décisions stratégiques de leur organisation, en charge des relations avec les autorités.
Comment expliquer le mal-être de certains directeurs ?
F. S. Pour le savoir, nous avons diffusé en 2021 un questionnaire à un large panel, que nous avons réinterrogé un an après. À cette date, nous avons retrouvé des professionnels auparavant en souffrance, en pleine possession de leur fonction. Ce qui conforte l’idée que dans la carrière, il existe un passage difficile correspondant à l’arrivée dans un nouvel établissement. Dans ce secteur, ce rite de passage est une épreuve du feu. Synonyme d’une explosion de la charge de travail et des responsabilités, qui paraît infranchissable mais qu’une partie des directrices et directeurs surmontent, quand d’autres n'y parviennent pas.
Comment ont-ils franchi cette étape ?
F. S. Notre typologie montre une dynamique générationnelle liée aux évolutions du secteur. Le groupe des directeurs de plein exercice ont entamé leur carrière et acquis une position de pouvoir avant la loi de 2002 et les logiques issues du nouveau management public. Le premier groupe, quant à lui, n’a connu que ce prisme. En revanche, la situation est plus compliquée pour ceux du second groupe. Ils doivent procéder à des réorganisations dans des structures n’ayant pas encore repensé leur gouvernance dans cette optique, avec parfois des confrontations avec les corps intermédiaires. Ces directeurs regrettaient il y a un an une marge d’autonomie très faible et le manque de soutien des autorités. Ceux qui ont surmonté le cap ont appris à ne pas mener de combats perdus d’avance. Ils se sont attelés au reporting, ont rempli les indicateurs… Ce qui leur a permis de dégager des marges de manœuvre pour mener des projets qui leur tenaient à cœur. Ceux qui se sont opposés plus frontalement ont été en quelque sorte « broyés par la machine ».
Quelles leçons en tirez-vous ?
F. S. Notre idée est de voir ce que l’on peut en déduire pour l’accompagnement et la formation des directrices et directeurs en 2030. Une partie ne deviendront pas des directeurs de plein exercice. Il faut outiller ces super-managers, qui ne souhaitent pas s’éloigner du terrain, à l’animation des équipes, à la relation avec les personnes accompagnées, rendre des comptes à la hiérarchie… Apprendre à canaliser leurs aspirations. À l’inverse, les directeurs de plein exercice ont davantage un rôle d’ambassadeurs et acceptent de s’éloigner des réalités quotidiennes. Il faut donc les préparer aux relations avec les organismes de contrôle ou autorités de tarification, à la négociation avec les instances représentatives du personnel (IRP). Leur apprendre à gouverner dans un environnement socio-politique aujourd’hui incertain.
[1] « Qui sont les directrices et directeurs en 2022 ? Actualités et perspectives », étude de François Sarfati, Ruggero Iori, Jules Simha, enseignants chercheurs, commandée par les associations de cadres Andesi et ADC.
Propos recueillis par Laura Taillandier
Publié dans le magazine Direction[s] N° 212 - octobre 2022