Que ce soit pour des questions anodines ou des enjeux stratégiques visant, par exemple, à augmenter l’efficience de la structure, arbitrer est au cœur des missions d’un directeur. « L’arbitrage, c’est la décision finale. Comme dans un match où, à un certain moment, il faut déterminer si on accorde une pénalité ou un avantage », illustre Didier Delpeyrou, directeur du centre social Solidarité Roquette (Paris). Une logique résumée par Sylvie Deffayet Davrout, docteur en leadership et professeur en management à l'École des hautes études commerciales : « Arbitrer, c’est exercer du leadership, à savoir une relation d’influence orientée vers la performance. Dans une organisation, l’arbitre est là pour faire respecter les règles, lesquelles visent à protéger les groupes et permettre aux individus d’optimiser leurs talents. »
Prise de risque permanente
Pas toujours simple pourtant de trancher, en particulier quand le choix touche des enjeux vitaux. « Au cœur de la crise Covid, j’ai dû contrer le refus de l’établissement où j’officiais de pratiquer des tests, se souvient Catherine Philippe, manager de transition. Cela a pourtant évité la création d’un cluster. » Si la tentation peut donc être forte de différer un arbitrage, voire de l’abandonner, c’est parce qu’il rime toujours avec prise de risque. Celui de se tromper d’abord. Ou de tomber dans l’interventionnisme, en particulier dans les organisations à la culture basée sur la cogestion et la coopération. C’est, là encore, s’exposer à l’impopularité ou au conflit. « L’objectif d’un dirigeant n’est pas de préserver une bonne ambiance, mais d’être au service du jeu avant d’être à celui des joueurs », recadre Sylvie Deffayet Davrout.
Quand l’enjeu est important, on peut même y jouer sa carrière, souligne Benoît Bastien, arbitre international à la Fédération française de football et coach en préparation mentale : « Un arbitre doit prendre environ 140 décisions par match, toutes évaluées par rapport aux performances de ses homologues, avec des conséquences parfois lourdes sur sa carrière et sa rémunération. »
Convaincre de sa légitimité
Pour mettre toutes les chances de leur côté, les managers peuvent s’inspirer des pros. « Premier impératif : mettre son langage corporel en accord avec son message verbal. À savoir, faire face à la personne, la regarder dans les yeux, se tenir droit », énumère Sylvie Deffayet Davrout. En clair : montrer qu’on est sûr de sa légitimité. Ce qui ne coule pas de source pour les managers de transition envoyés éteindre des incendies managériaux là où personne ne les connaît... Préalable indispensable pour eux : établir la confiance nécessaire. « Cela implique de soigner communication et transparence et de faire appel à l’intelligence émotionnelle », note Catherine Philippe. Pour convaincre, il faut être de tous les coups sur le terrain, tout en ayant une vision fine de l’ensemble du jeu – à savoir du dossier, de ses enjeux et de la méthode. Tout en privilégiant la mise en retrait pour encourager au maximum l’autonomie des équipes. « Moins on nous voit sur le terrain, mieux c’est », confirme Benoît Bastien. Autre qualité de l’arbitre : garder, en toutes circonstances, le contrôle de lui-même.
Savoir temporiser
Bien arbitrer, c’est aussi savoir mettre le temps de son côté, illustre Benoît Bastien : « Moi sur le terrain, je dispose de moins d’une seconde pour trancher, alors qu’un dirigeant peut, lui, temporiser – en rassurant sur le fait que le dossier étant désormais entre de bonnes mains, il donnera sa réponse rapidement et donc qu’il ne sert à rien d’essayer de l’influencer. » Pour sécuriser la décision et lever tout flou, synonyme d’incertitude pour les équipes, il est aussi bon de savoir remettre un arbitrage à plus tard tant qu’on n’a pas tous les éléments. « Ne pas hésiter non plus à prendre du temps pour expliquer une décision mal comprise. Cela permet d’en gagner par la suite », complète Catherine Philippe.
La posture gagnera en outre à être adaptée en fonction du public concerné. « Plus celui-ci est éloigné des réalités décisionnelles et plus il faut s’appuyer sur la lettre de la règle, recommande Didier Delpeyrou. À l’inverse, plus il sera impliqué dans la gouvernance et plus il faut faire appel à l’esprit de celle-ci. »
Une constante toutefois : toujours assumer ses décisions – ce qui n’empêche pas, si besoin, de faire appel à l’avis d’un collègue. Car « si on rumine sur un choix, on risque de manquer le suivant », pointe Benoît Bastien. Et, dans tous les cas, revenir sur le match dans une supervision collégiale, une fois la partie gagnée (ou perdue) : la meilleure façon de progresser pour devenir, peu à peu, un arbitre de classe internationale.
Catherine Piraud-Rouet
Publié dans le magazine Direction[s] N° 226 - janvier 2024