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Tribunaux de la tarification
Tout doit disparaître !

20/12/2023

La loi d’orientation et de programmation de la justice, votée fin novembre, prévoit le transfert du contentieux de la tarification sanitaire et sociale aux juridictions administratives de droit commun. Une réforme susceptible de priver le secteur d’une spécialisation qui contribue pourtant à la qualité de la réponse judiciaire.

Jusqu’au 20 novembre, peu se risquaient à l’envisager. Le projet couvait certes depuis longtemps [1], mais voilà que la réforme devient réalité. Au 1er janvier 2025, les tribunaux interrégionaux et la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (TITSS et CNTSS) disparaîtront, laissant aux juridictions de droit commun le soin de traiter les recours des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) contre les décisions administratives [2]. Outre l’indignation qu’elle n’a pas manqué de susciter chez les acteurs du secteur, cette décision inquiète aussi. « D’accord, le transfert se fait mais l’urgence aujourd’hui est de savoir comment cette réforme sera mise en œuvre, alerte Adrien Casseron, adjoint à la direction du pôle Offre sociale et médico-sociale de l’organisation patronale Nexem. Or, pour l’instant, on ne peut faire que des hypothèses faute de connaître les modalités. Le pire serait qu’il y ait une rupture de procédure des contentieux tarifaires en cours. »

Simplification et optimisation

Pour justifier ce transfert, le Gouvernement s’appuie entre autres sur un rapport de la Mission d’inspection des juridictions administratives (Mija) de 2020. Il constate ainsi une diminution du nombre de litiges depuis 2014, avec « un peu moins de 200 affaires par an pour les TITSS et moins de 50 pour la CNTSS », indique la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) dans une note adressée à Direction[s].

Autre point saillant : les délais de jugement. Actuellement, ces derniers restent généralement supérieurs à un an, quand ceux des affaires portées devant les juridictions de droit commun sont en moyenne inférieurs. L’utilité de ce nouveau régime ? Unifier les règles de procédure avec les standards actuels du Code de justice administrative, en permettant un accès aux téléprocédures. Soit, en toute logique, un gain de temps et de productivité au regard de la procédure actuelle intégralement sur papier. Sur ce dernier aspect, point de débats… ou si peu. « Le rapport de la Mija a beaucoup critiqué l’ancienneté des méthodes de ces juridictions, mais la faute à qui ? Qui ne leur a pas donné les moyens d’évoluer ?, raille Adrien Casseron. De plus, si le nombre de contentieux a chuté, c’est aussi parce que de plus en plus d’établissements passent sous contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens qui, s’ils n’enlèvent pas la possibilité d’un contentieux tarifaire, l’évacuent en grande partie. »

Reste que, pour les établissements et services, bénéficier du même corpus procédural que le droit commun devrait permettre de recourir à certaines formes d’actions impossibles jusque-là, tels les référés pour demander au juge de statuer en urgence. Un atout que même le juriste du cabinet Accens avocats Olivier Poinsot, pourtant vent debout contre la disparition des TITSS et de la CNTSS, ne conteste pas : « Il est vrai que si on applique le Code de justice administrative, cela ouvre de nouvelles possibilités aux requérants. Dans ce sens, tout le monde y gagne », concède-t-il.

Disparition des juges échevins

Hormis ces quelques avancées, le nouveau régime ne parvient pas à convaincre. Le principal reproche ? La suppression annoncée de l’échevinage, organisation permettant à des personnalités exerçant dans le secteur sanitaire et social de siéger aux côtés de magistrats professionnels. Motif invoqué par la DGCS : « Une prégnance de plus en plus grande des questions de procédure et des règles de droit abstraites, et moins de questions d’appréciation susceptibles d’intéresser tout particulièrement les échevins. » Sans compter des difficultés à trouver des échevins disponibles... Ce à quoi Olivier Poinsot rétorque : « Il est malhonnête de dire que l’accroissement du niveau de technicité juridique restreint la légitimité des juges échevins. L’État n’a pas mis en œuvre le minimum de formation nécessaire qui aurait permis de renforcer leur compétence juridique, alors que c’est obligatoire dans d’autres juridictions. »

Le juriste fait référence aux conseils des prud’hommes ou aux tribunaux de commerce, constitués de conseillers non-juristes… mais formés. Or, à supposer que les assesseurs échevins soient aujourd’hui moins compétents sur la matière juridique, comment, en miroir, garantir que les magistrats administratifs du droit commun, en charge demain des contentieux des ESSMS, auront un niveau de technicité au moins équivalent ? Leur imposer une formation obligatoire compensera-t-il la perte des acteurs de terrain ? « Un juge administratif de droit commun ne disposera pas, à court ou moyen terme, d’une telle expertise, la tarification sanitaire et sociale étant un sujet complexe qui nécessite de confronter les solutions de droit et les situations concrètes pour avoir toutes les clés de compréhension et donc proposer un jugement éclairé. En outre, l’intérêt de ces contentieux est aussi de produire de la jurisprudence : que va-t-elle devenir à l’avenir ? Sera-t-elle publiée ? J’ai peur que cela ne préjuge rien de bon », confesse Sébastien Pommier, directeur général de l’association gestionnaire Adages en Occitanie et ex-juge échevin. Également perplexe, la directrice du pôle Offre sociale et médico-sociale de Nexem  s’inquiète des véritables intentions du Gouvernement. Pour Marie Aboussa, « cela en dit long sur la façon dont nous sommes pris en compte par les pouvoirs publics qui, sous couvert de réduire les délais de jugement et de moderniser les règles de procédure, nient quand même notre particularité ». Et d’espérer toujours l’ouverture de discussions avec les autorités autour de la mise en œuvre de la réforme.

Zones d’ombre

À ce titre, et dans l’attente de la publication du décret qui en fixera les modalités, les spéculations vont bon train. La première concerne le nombre et la répartition géographique des futurs tribunaux qui hériteront des contentieux, aujourd’hui répartis entre Nancy, Lyon, Paris, Bordeaux et Nantes. Les juridictions administratives compétentes seront-elles toujours au nombre de cinq en 2025, comme le préconise la Mija [3] ? « On pourrait aussi imaginer que l’État décide de tout regrouper dans une seule juridiction qui, à cette occasion, se doterait d’une nouvelle chambre avec des magistrats spécialisés. Ce serait pertinent », considère Olivier Poinsot. Quid, par ailleurs, du recours à un avocat, actuellement facultatif ? Comment garantir que les dossiers du secteur ne seront pas « noyés » dans la masse ? Sans compter qu'il « n’est pas exclu que, à la faveur des réformes tarifaires en cours, un certain nombre de structures soient tentées de déposer des recours lors d’une même année et que se forme d’un coup une grosse vague de contentieux. Ce qui allongerait certainement les délais de traitement, alors que c’est précisément ce que le Gouvernement souhaite amender, note Benoît Apollis, avocat au barreau de Paris et maître de conférences en droit public à l’université Panthéon-Assas. Toujours est-il que si la réforme proposée par l’État peut apparaître radicale, il était temps de dépoussiérer toutes ces procédures qui avaient grandement besoin d’évoluer. »

[1] L’existence des TITSS et de la CNTSS avait déjà été menacée dans les années quatre-vingt-dix

[2] Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023

[3] La mission suggère aussi de désigner une seule cour d’appel CNTSS

Carol Eyben

Repères

Art. 56 La loi d’orientation et de programmation pour la justice 2023-2027 acte la suppression des juridictions de la tarification sanitaire et sociale.

211 contentieux tarifaires dénombrés et 190 affaires jugées en 2022 (Étude d’impact soumise à la délibération du conseil des ministres le 2 mai 2023).

1er janvier 2025 : date d’entrée en vigueur de la réforme des tribunaux de la tarification.

« Un regard pluriel est une valeur ajoutée »

Pascal Brousse, directeur général du GIHP Occitanie

« En 2004, l’inspecteur en charge de la tarification de notre foyer d’accueil médicalisé a inscrit par erreur une recette qui, en réalité, était inexistante. Une erreur reconduite en 2005 et 2006. Résultat chaque année : 60 000 euros en moins, soit à peu près 20 % de notre budget total. Après un recours gracieux auprès de l’ex-Ddass, qui s’est avéré infructueux, nous nous sommes tournés vers le TITSS de Bordeaux. Deux fois, nous avons gagné en première instance. Idem en 2006, sauf que cette fois il a fallu remonter jusqu’à la CNTSS car le préfet avait fait appel. Cela exigeait un niveau d’argumentation plus structuré et réfléchi. Faute de trouver un avocat compétent sur cette question, j’ai fait l’exégèse du Code de l’action sociale et des familles, reprenant un à un les articles liés à la tarification. Je me suis aussi fait accompagner par l’union régionale Uriopss qui m’a expliqué comment fonctionnait la Cour. Sur de tels sujets de niche, la présence d’un regard pluriel, juridique et technique est une valeur ajoutée. »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 226 - janvier 2024






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