Agathe Vitour, avocate spécialisée en social et médico-social, au cabinet Accens.
Le décret était-il attendu [1] ?
Agathe Vitour. Oui. La priorité était notamment de voir confirmé l’alignement des délais de recours sur ceux du droit commun : on est passé de un à deux mois francs pour contester les arrêtés tarifaires, en première instance comme en appel. Cela nous donnera de l’oxygène pour décider, avec les gestionnaires, de partir ou non en contentieux. Autre enjeu : basculer dans le droit commun permettra peut-être d’obtenir un accès plus rapide au juge via le référé, impossible avant. Si la procédure antérieure avait été pensée avec une idée de célérité, en pratique les délais pouvaient atteindre douze à quatorze mois.
La réforme intervient alors que les recours se multiplient. Pourquoi ?
A. V. C’est d’abord lié à la conjoncture : inflation non prise en compte dans les budgets, surcoûts liés à l’intérim et revalorisations non financés… La récente crispation des départements, refusant de prendre en charge ces dernières, a d’ailleurs aggravé la situation. En outre, les premiers contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (Cpom) obligatoires, intervenus entre 2015 et 2017, arrivent à échéance et les gestionnaires en constatent les effets : le creusement des déficits depuis cinq ans, les déficits non repris entre deux contrats… Leurs charges sont telles qu’ils ont compris que, sans moyens supplémentaires, ils vont dans le mur.
Neuf juridictions administratives ont pris le relais [2]. Craignez-vous une perte d’expertise ?
A. V. C’est possible puisque le contentieux sera plus disséminé sur le territoire. En outre, cette réforme signe la fin de l’échevinage associant juges professionnels et non professionnels désignés par l’administration ou représentants des gestionnaires, afin de doter les juridictions d’une sensibilité sur les enjeux financiers et de fonctionnement des structures. Désormais, les magistrats administratifs statueront seuls. Ce sera un vrai changement de culture pour eux, plus coutumiers de la commande publique. Ils aborderont une matière à laquelle ils sont peu formés en tant que juristes. Il y aura donc un travail de formation à réaliser. À nous aussi de faire preuve de pédagogie pour leur expliquer, par exemple, les problématiques induites par telle forme d’autisme ou par un public handicapé vieillissant.
Les premières décisions seront donc à surveiller ?
A.V. La jurisprudence ne sera probablement pas révolutionnée d’emblée : les tribunaux s’inscriront dans la continuité de celle du Conseil d’État, de la Cour nationale (CNTSS) et des tribunaux interrégionaux (Titss). En revanche, certains des dossiers qui leur ont été transférés fin 2024 traitent de questions inédites n’ayant pas encore fait l’objet de décisions. On attend donc avec intérêt de voir comment elles seront traitées. Plus globalement, leur positionnement par rapport au Cpom sera intéressant, car jusque-là il n’était pas toujours évident de savoir quel magistrat était compétent pour en traiter – entre le juge administratif quand il était question de sa négociation et celui de la tarification pour les décisions tarifaires prévues par le contrat. Espérons que la désignation claire d’un juge unique doté, en outre, d’une culture du contrat avec l’administration fera avancer cette matière.
Décret n° 2024-1168 du 6 décembre 2024
[1] Lire Direction[s] n° 226, p. 4
[2] Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Nantes, Paris, Toulouse et Versailles. La cour d’appel de Paris sera l’unique juridiction d’appel
Propos recueillis par Gladys Lepasteur
Publié dans le magazine Direction[s] N° 237 - janvier 2025