De nombreuses personnes pourraient basculer dans la pauvreté d’ici à la fin 2020. Qui sont-elles ?
Christophe Devys. Au-delà de l’appauvrissement de ceux qui étaient déjà en situation de pauvreté, il est vrai que la crise a aussi eu un impact, moins immédiat mais très profond, sur un nouveau public. Comme les 18-25 ans sans filet de sécurité ni soutien familial et les petits commerçants qui ont dû fermer leur porte. Sans compter les indépendants, en particulier les micro-entrepreneurs qui, face à la chute de leur chiffre d’affaires, se retrouvent dans un état critique. Si leur nombre est difficile à évaluer, le chiffre d'un million régulièrement avancé semble vraisemblable, y compris pour le gouvernement. Il est probable que cela ne s’arrête pas là une fois supprimées les mesures de soutien aux entreprises (chômage partiel, fonds de solidarité…).
La réponse de l’État, qui a remis 1,8 milliard d’euros sur la table fin octobre pour financer des mesures spécifiques, n’est-elle à la hauteur?
C. D. Non. Le problème dans le volet « aides monétaires » de son plan, c’est qu’elles ne sont que ponctuelles. Comme si l’enjeu se résumait à donner aux personnes de quoi vivre un peu moins mal cette année 2020, avant la reprise. Or, il faut comprendre que nous vivons trois crises successives – sanitaire, économique et sociale – appelées à durer. Vu la gravité de la situation et la faiblesse actuelle des minima sociaux, le sujet doit s’appréhender de manière structurelle, en augmentant durablement le RSA. Une hausse de 20 % reviendrait à un budget de 2,5 milliards d’euros, à mettre en regard, par exemple, avec les 8 milliards qu’aura coûtés l’exonération de taxe d’habitation des 20 % de foyers les plus riches. C’est avant tout une question de choix politiques.
Les dispositifs prévus par le Plan Jeunes font-ils exception [1] ?
C. D. Il contient des choses pertinentes, mais les solutions avancées passent essentiellement par un renforcement de l’existant (Garantie jeunes, emplois aidés…). Or, vu quelle sera la situation des jeunes demain, il faut vite changer de braquet en instaurant pour eux un dispositif analogue à l’esprit initial du RMI : un droit à l’accompagnement, connecté à un revenu.
Que pensez-vous de la mise en œuvre de la Stratégie de 2018, sujet d’un récent bilan d’étape [2] ?
C. D. Bien qu’intéressante, cette Stratégie, déjà jugée modeste à l’époque avec ses 9 milliards d’euros de budget, affiche des résultats qui le sont tout autant. Par exemple, en 2021, on sera à peine au stade de l’expérimentation du service public d’insertion ! Quant au revenu universel d’activité (RUA), autre dossier structurant, l’exécutif devait se prononcer cet été sur la base des simulations attendues à l’issue des concertations… qui n’ont toujours pas été faites. Même si le Premier ministre a indiqué en octobre que la réforme allait être relancée, l’avenir de cette réforme reste flou. En tout état de cause, on voit mal comment elle pourrait voir le jour sous ce quinquennat.
[1] Lire Direction[s] n° 189, p. 10
[2] Mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Bilan d’étape, octobre 2020, sur www.solidarites-sante.gouv.fr
Propos recueillis par Gladys Lepasteur
Publié dans le magazine Direction[s] N° 192 - décembre 2020