Quel est l'objectif du Comité des financeurs, annoncé à l'issue de la Conférence des métiers ?
François Sauvadet. Nous souhaitions une instance de dialogue avec l’État sur le financement des politiques sociales. Cette méthode de travail a été concrétisée en octobre par la Première ministre. Les deux premières réunions avec des représentants des départements, le ministre des Solidarités et la secrétaire d’État chargée de l’enfance avaient un premier objectif : solder les engagements passés, comme la revalorisation du tarif horaire dans l’aide à domicile à 22 euros, pour laquelle l’État s’est engagé à une compensation pour les premiers mois à hauteur de 70 %. Cela va demander un effort important à certains départements très éloignés de ce tarif ! Les discussions ont avancé de manière satisfaisante. L’autre objectif était de travailler sur les mesures du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, adopté par l’Assemblée nationale dans les conditions complexes du « 49.3 »…
Vous avez regretté la « décision unilatérale » du gouvernement d’augmenter à nouveau le tarif de l’aide à domicile à 23 euros. Ce, quelques jours à peine après la définition d’un programme de travail commun. Une réelle collaboration est-elle possible ?
F. S. J’ai regretté une nouvelle mesure, qui certes se comprend avec l'inflation, mais a été annoncée sans discussion préalable. Le ministre des Solidarités nous a entendus et a accepté que l’augmentation au 1er janvier soit prise en charge entièrement par l’État. Je salue cet engagement qui permet d'avancer sur le chemin de la coconstruction. Il nous faut une stratégie commune sur les conditions de prise en charge du bien vieillir. Nous devons redéfinir les périmètres d’intervention avec une vision partagée, mettre les recettes en cohérence avec les dépenses. Sans quoi nous irons à l’explosion budgétaire. Dans mon département de la Côte-d’Or entre le Ségur, l’avenant 43, la hausse du point d’indice… les dépenses supplémentaires en un an s’élèvent à 32 millions d’euros sur un budget de 560 millions : c’est un vrai choc ! Il faut aussi rendre les mesures compatibles avec la réalité. On peut annoncer deux heures de vie sociale supplémentaires pour les personnes âgées, mais où trouver les professionnels pour les concrétiser ? C’est tout l’enjeu de la revalorisation des métiers du prendre soin.
Des employeurs pointent pourtant le manque d’engagement des collectivités sur les revalorisations après la Conférence des métiers…
F. S. Ce sont de faux procès ! Nous avons été très volontaristes et courageux sur la question de la rémunération. Les départements ont acté la revalorisation avec effet rétroactif lors de la Conférence des métiers, et tiendront leurs engagements ! Ils attendent la publication du décret d’application. Après, l’extension du Ségur aux autres personnels est un autre sujet. On vient déjà d’avoir l’augmentation du point d’indice… On sort des élections avec un nouveau gouvernement. On a travaillé la méthodologie. On rentre désormais dans le vif du sujet. Le rythme est soutenu !
La gouvernance de la protection de l’enfance est aussi sur la table. Qu’en attendez-vous ?
F. S. Nous avons bien avancé avec la construction du groupement d'intérêt public (GIP) Enfance en danger. Il était important qu’il soit piloté par le président du département. Le gouvernement a souhaité y faire entrer des sujets périphériques, comme la recherche des origines. Nous financerons les mesures nouvelles, mais il est hors de question qu’il y ait un transfert de dépenses de l’État au GIP ! Il va donc apporter ses personnels et les financements nécessaires pour ces sujets.
La protection de l’enfance est une question lourde de société. Les départements se sentent bien seuls face aux problèmes de prise en charge psychiatrique et psychique. Quand des médias filment en caméra cachée, ils pointent des dysfonctionnements sans les remettre dans leur contexte. Dans l’immense majorité des cas, les structures font face malgré les difficultés de recrutement ! Chacun doit avoir conscience qu’il y a aussi des parents qui nous appellent pour les protéger de leurs enfants et que la situation s’est aggravée avec la pandémie. Bien sûr, il faut s’assurer que les règles de droit soient respectées, prendre des sanctions lourdes si nécessaires, mais il faut surtout reconstruire une relation de confiance. Et cela passe par la formation.
Et dans le champ de l’autonomie ?
F. S. Il faut une loi et des financements ad hoc. On connaît la situation et les données : on ne va pas en parler encore un an ! Le gouvernement doit faire des propositions pour donner de la cohérence à l’action publique face au vieillissement. Cela dysfonctionne, car comme dans beaucoup de domaines, il manque un chef de filât plus clair. Les départements financent le prix de journée, certains même encore l’investissement et n’ont pourtant aucun pouvoir d’injonction ni de nomination de directeur d’Ehpad. Pendant la pandémie, des établissements ne nous donnaient même pas le nombre de décès dans leur structure ! Les départements doivent assumer une responsabilité pleine et entière.
La tendance n'est-elle pas plutôt de « recentraliser » les politiques sociales ?
F. S. Cette idée qui circule dans la haute administration est folle ! Et témoigne d’une méconnaissance des réalités territoriales. Reconnaître la diversité au local, ce n’est pas affaiblir le service public ! On l’a bien vu sur le RSA. La vraie injustice c’est que les départements n’ont pas les moyens d’agir.
Quel regard portez-vous sur l'expérimentation du RSA contre activité ?
F. S. Les discussions sont en cours avec la création de France Travail. 43 départements sont candidats. J'ai souhaité un copilotage via l'accréditation de Pôle emploi. On avance. Là aussi, il faut aussi les moyens des ambitions affichées. Pour assurer les activités mais pas uniquement. Si l'État verse la prestation, quels seront les moyens d'action du département pour faire respecter les termes du contrat ? L'enveloppe de 20 millions d'euros ne permettra qu'une expérimentation limitée.
Propos recueillis par Laura Taillandier
Publié dans le magazine Direction[s] N° 214 - décembre 2022