Un employeur peut-il être condamné pour « management par la peur » sans que des faits de harcèlement moral ne soient établis ? Oui, a jugé la Cour de cassation dans une récente décision. Dans cette affaire, sept salariés d’une même entreprise ont saisi les prud’hommes, estimant avoir été victimes de harcèlement de la part de leur supérieur hiérarchique. Ils ont obtenu entre 2000 et 6000 euros de dommages et intérêts de leur employeur, condamné pour manquement à son obligation de prévention des risques psychosociaux. Ce dernier s’est alors pourvu en cassation, contestant la décision au motif qu’aucun fait de harcèlement moral n’avait été reconnu, le manager mis en cause ayant été relaxé au pénal.
Pour confirmer le jugement, la Haute juridiction s’appuie sur les procès-verbaux et le rapport de l’inspection du travail qui décrivent la dégradation des conditions de travail induites par ce type de management ayant entraîné une vague de démissions. Et rappelle que l’obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral. Ainsi « pour la première fois, la cour reconnaît que ce mode de management par la peur existe et qu'il peut entraîner une souffrance au travail qui est condamnable même si les faits de harcèlement n’ont pas été juridiquement établis », relève l’avocate Carole Vercheyre-Grard.
Souffrance collective
Pour Agnès Ballereau-Boyer, avocate associée au cabinet Capstan, cet arrêt « ouvre une nouvelle voie de recours pour le salarié qui s’estime victime. S’il ne parvient pas à démontrer le harcèlement moral, il pourra chercher la responsabilité de l’employeur sur un autre point juridique, à savoir son manquement à la prévention des risques ». Autre aspect important selon la juriste ? « Le management décrit concernait l’ensemble des salariés. Ainsi, la démonstration de souffrance au travail de tout un collectif peut être plus simple à mener. Les instances représentatives du personnel pourraient avoir recours à ce fondement juridique pour porter la voix de l’ensemble des personnels et contraindre l’employeur à instaurer des changements. C’est un moyen de pression supplémentaire ».
Cass. soc. n° 16-10.885 du 6 décembre 2017
Noémie Colomb
Publié dans le magazine Direction[s] N° 162 - mars 2018