Jusqu’au 1er janvier dernier, le contentieux des prestations sociales était schématiquement éclaté en première instance entre :
- les tribunaux des affaires de Sécurité sociale (Tass), pour le contentieux général les concernant ;
- ceux du contentieux de l’incapacité (TCI) pour le contentieux technique de la Sécurité sociale et celui afférent à certaines prestations (taux d’invalidité, prestation de compensation du handicap notamment) ;
- les commissions départementales d’aide sociale (CDAS) en matière d’admission à l’aide sociale obligatoire ;
- les tribunaux administratifs (TA), juges de droit commun, antérieurement compétents notamment en matière d’aide sociale extra légale.
En appel, les litiges relevaient selon le cas de la commission centrale d’aide sociale (CCAS), ou de la cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT), des cours d’appel de droit commun ou encore des cours administratives d’appel. La situation était donc particulièrement complexe. Par ailleurs, le fonctionnement des CDAS faisait l’objet de critiques récurrentes, d’autant plus infondées que les dysfonctionnements allégués résultaient essentiellement de leur manque de moyens et du désintérêt des pouvoirs publics pour cette « justice des pauvres ».
Deux possibilités étaient ouvertes pour faire évoluer la situation : soit doter ces juridictions spécialisées des moyens auxquels elles pouvaient prétendre pour traiter un contentieux relativement abondant et parfois d’une certaine complexité technique, soit les supprimer purement et simplement et transférer leurs compétences aux juridictions de droit commun. C’est la seconde option qui a été prise par la loi du 18 novembre 2016.
1 Quels transferts de compétence opérés ?
Depuis le 1er janvier 2019, le contentieux général de la Sécurité sociale (application des législations et réglementation en la matière, recouvrement des cotisations et des prestations indûment versées, etc.) et le contentieux technique de la Sécurité sociale (détermination des taux d’invalidité ou d’incapacité, décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées – CDAPH, prestation de compensation du handicap – PCH, etc.) sont transférés à des tribunaux de grande instance (TGI) spécifiquement désignés. Ils sont également compétents en matière de récupération de l’aide sociale (domaine antérieurement dévolu aux CDAS) et de recours exercés par l’État ou les départements en présence d’obligés alimentaires. Les décisions prises par les « pôles sociaux » de ces TGI relèveront en appel de cours d’appel également spécifiquement désignées.
Quant aux règlements des litiges relatifs en particulier à l’admission à l’aide sociale (aide sociale à l’hébergement, à l’enfance, RSA, aide médicale de l’État – AME, allocation personnalisée d'autonomie – APA, aide ménagère, etc.), ils relèvent désormais des tribunaux administratifs.
À noter. Les dispositions législatives et réglementaires prévoient de nombreuses et complexes dispositions visant à transférer les procédures en cours dans les juridictions supprimées vers celles nouvellement compétentes, en première instance ou en appel.
2 De nouvelles dispositions procédurales
Les recours préalables
Il est impossible de saisir directement le juge compétent. Les procédures juridictionnelles doivent, en effet, impérativement être précédées d’un recours administratif préalable, s’agissant des matières relevant du contentieux général de la Sécurité sociale, ou d’un recours préalable pour le contentieux technique de la Sécurité sociale. Le délai imparti dans ces deux cas est de deux mois à compter de la notification de la décision contestée.
Attention. Ce délai n’est opposable que s’il a été mentionné, ainsi que les voies de recours, dans la décision contestée.
La procédure contentieuse
Quelle que soit la juridiction concernée, le délai de recours dans ce cas est de deux mois à partir de la notification de la décision contestée. Là également, ce délai n’est opposable que s’il est mentionné dans la décision ou dans l’accusé de réception de la demande.
Les parties peuvent défendre elles-mêmes leur cause, et le ministère d’avocat est facultatif. Elles peuvent cependant se faire représenter notamment par :
- un avocat ;
- leur conjoint ou un ascendant ou descendant en ligne directe ;
- leur concubin ou la personne à laquelle elles sont liées par un pacte civil de solidarité (PACS) ;
- suivant le cas, un salarié, un employeur ou un travailleur indépendant exerçant la même profession, ou un représentant qualifié des organisations syndicales de salariés ou professionnelles d'employeurs ;
- un administrateur ou un employé de l'organisme partie à l'instance ou un employé d'un autre organisme de Sécurité sociale ;
- un délégué des associations de mutilés et invalides du travail les plus représentatives ou des associations régulièrement constituées depuis cinq ans au moins pour œuvrer dans les domaines des droits économiques et sociaux des usagers ainsi que dans ceux de l'insertion et de la lutte contre l'exclusion et la pauvreté.
À noter. Le représentant doit, s'il n'est pas avocat, justifier d'un pouvoir spécial.
La procédure devant les TGI spécialement désignés est orale. Les parties ont cependant la possibilité de présenter leurs prétentions et moyens par écrit sans se présenter à l’audience. En revanche, la procédure devant les tribunaux administratifs est écrite, comme c’est toujours le cas (sauf exception) devant les juridictions administratives.
Les décisions ne seront plus systématiquement précédées par l’audition des conclusions d’un rapporteur public (magistrat indépendant car ne participant pas au délibéré et chargé d’analyser le dossier pour proposer, en toute indépendance, la solution lui paraissant la plus conforme au droit).
Enfin, les décisions des tribunaux administratifs ne seront pas susceptibles d’appel, et relèveront directement en cassation du Conseil d’État.
Laurent Cocquebert, avocat à la cour
Quelles conséquences pour les justiciables ?
L’objectif de simplification et de clarification allégué par les pouvoirs publics n’est que très relativement satisfait par les nouvelles dispositions législatives. En effet, aujourd’hui comme hier, le contentieux des prestations sociales demeure éclaté entre plusieurs juridictions, selon une logique qui n’est pas toujours aisément perceptible. Surtout, les nouvelles dispositions tendent à restreindre l’accès au juge, à rendre plus complexes et plus longues les procédures (recours administratif préalable obligatoire) et à amoindrir les garanties juridictionnelles qui étaient apportées aux justiciables : procédure dérogatoire pour les litiges relevant du tribunal administratif, décisions rendues par un juge unique, non plus par une formation collégiale, et qui ne seront plus systématiquement précédées par l’audition des conclusions d’un rapporteur public indépendant… Ce qui ne manquera pas de dissuader certains justiciables de saisir la justice. Au total, l’effort de « modernisation de la justice du XXIe siècle » qu’était censé accomplir la loi du 18 novembre 2016 se traduira par un recul sans précédent des garanties accordées aux justiciables qui, s’agissant de prestations sociales, sont souvent des personnes parmi les plus fragiles et les moins à même de faire valoir leur droit.
Référence
Loi n° 2016-1547du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle
Publié dans le magazine Direction[s] N° 175 - mai 2019